Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
VIV_5/VIV168
Renée VIVIEN
À l'heure des mains jointes
1906
AINSI JE PARLERAI…
Si le Seigneur penchait | son front sur mon trépas, 6+6 a
Je lui dirais : « O Christ, | je ne te connais pas. 6+6 a
« Seigneur, ta stricte loi | ne fut jamais la mienne, 6+6 a
Et je vécus ainsi | qu’une simple païenne. 6+6 a
5 « Vois l’ingénuité | de mon cœur pauvre et nu. 6+6 a
Je ne te connais point. | Je ne t’ai point connu. 6+6 a
« J’ai passé comme l’eau, | j’ai fui comme le sable. 6+6 a
Si j’ai péché, jamais | je ne fus responsable. 6+6 a
« Le monde était autour | de moi, tel un jardin. 6+6 a
10 Je buvais l’aube claire | et le soir cristallin. 6+6 a
« Le soleil me ceignit | de ses plus vives flammes, 6+6 a
Et l’amour m’inclina | vers la beauté des femmes. 6+6 a
« Le ciel, d’un bleu velours, | s’étalait comme un dais… 6+6 a
Une vierge parut | sur mon seuil. J’attendais. 6+6 a
15 « La nuit tomba… Puis le | matin nous a surprises 6−6 a
Maussadement, de ses | maussades lueurs grises. 6−6 a
« Et dans mes bras qui la | pressaient, elle a dormi 6−6 a
Ainsi que dort l’amante | aux bras de son ami. 6+6 a
« Depuis lors, j’ai vécu | dans le trouble d’un rêve, 6+6 a
20 Toute une éternité | dans la minute brève. 6+6 a
« Elle était belle, avec | des yeux glauques et froids, 6+6 a
Et j’aimai cette femme, | au mépris de tes lois. 6+6 a
« Comme je ne cherchais | que l’amour, obsédée 6+6 a
Par un regard, les gens | de bien m’ont lapidée. 6+6 a
25 « Ceux-là qui s’indignaient | de voir mon front serein 6+6 a
Espéraient me courber | sous leur pesant dédain. 6+6 a
« Mais, comme je naquis | douloureusement fière, 6+6 a
J’ai méprisé ceux-là | qui me jetaient la pierre. 6+6 a
« Et je n’écoutai plus | que la voix que j’aimais, 6+6 a
30 Ayant compris que nul | ne comprendrait jamais… 6+6 a
« Déjà la nuit approche, | et mon nom périssable 6+6 a
S’efface, tel un mot | qu’on écrit sur le sable. 6+6 a
« Le couchant a jailli | comme un vin du pressoir… 6+6 a
Nul ne murmurera | mes strophes, vers le soir. 6+6 a
35 « Et maintenant, Seigneur, | juge-moi. Car nous sommes 6+6 a
Face à face, devant | le silence des hommes. 6+6 a
« Autant que doux, l’amour | me fut jadis amer. 6+6 a
Et je n’ai mérité | ni le ciel ni l’enfer. 6+6 a
« J’écouterais très mal | les cantiques des anges, 6+6 a
40 Pour avoir entendu | jadis des chants étranges, 6+6 a
« Les chants de ce Lesbos | dont les cœurs se sont tus… 6+6 a
Et je ne saurais point | célébrer tes vertus. 6+6 a
« Je n’ai jamais tenté | de révolte farouche : 6+6 a
Le baiser fut le seul | blasphème de ma bouche. 6+6 a
45 « Laisse-moi, me hâtant | vers le soir bienvenu, 6+6 a
Rejoindre celles-là | qui ne t’ont point connu… 6+6 a
« J’irai, loin du troupeau | de tes chastes fidèles, 6+6 a
Me souvenir, parmi | les chemins d’asphodèles, 6+6 a
« Et là, parlant d’amour | à celle que je vis 6+6 a
50 Si blonde, et qui charma | longtemps mes yeux ravis, 6+6 a
« J’apprendrai que les lys | sont plus beaux que les roses, 6+6 a
Et que le chant a moins | d’infini que les pauses… 6+6 a
« Les yeux emplis encor | du soleil trépassé, 6+6 a
Nous considérerons | notre brûlant passé. 6+6 a
55 « Psappha, les doigts errants | sur la lyre endormie, 6+6 a
S’étonnera de la | beauté de mon amie, 6−6 a
« Et la vierge de mon | désir, pareille aux lys, 6−6 a
Lui semblera plus blanche | et plus souple qu’Atthis. 6+6 a
« Psappha nous jettera, | de sa fervente haleine, 6+6 a
60 Les odes dont les sons | charmèrent Mytilène. 6+6 a
« Et nous préparerons | les fleurs et le flambeau, 6+6 a
Nous qui l’avons aimée | en un siècle moins beau. 6+6 a
« Psappha nous versera, | parmi l’or et les soies 6+6 a
Des couches molles, le | nektar mêlé de joies. 6−6 a
65 « Elle nous montrera, | dans un sourire clair, 6+6 a
Le verger lesbien | qui s’ouvre sur la mer, 6+6 a
« Le doux verger plein de | cigales, d’où s’échappe. 6−6 a
Vibrant comme une voix, | le parfum de la grappe. 6+6 a
« Nos robes ondoieront | parmi les blancs péplos… 6+6 a
70 Dika, Timas, Atthis, | Éranna de Télos… 6+6 a
« Nous verrons les seins nus | d’une prêtresse brune 6+6 a
Qui mènera les chœurs | dansants au clair de lune… 6+6 a
« O Christ que l’on redoute | à l’heure du trépas, 6+6 a
Je ne t’ai point connu. | Je ne te connais pas. 6+6 a
75 « Je te l’ai dit : je fus | une simple païenne. 6+6 a
Laisse-moi me hâter | vers la douceur ancienne, 6+6 a
« Et, puisque enfin l’instant | de ma mort est venu, 6+6 a
Retrouver celles-là | qui ne t’ont point connu. » 6+6 a
mètre profil métrique : 6−6
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