Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
VIG_1/VIG2
Alfred de VIGNY
POÈMES ANTIQUES ET MODERNES
1826
LIVRE MYSTIQUE
Éloa
La sœur des Anges
Mystère
" C'est le serpent, dit-elle ; je l'ai écouté, et il m'a trompée. "
Genèse.
CHANT PREMIER
Naissance
Il naquit sur la terreun Ange, dans le temps 6+6 a
le Médiateursauvait ses habitants. 6+6 a
Avec sa suite obscureet comme lui bannie, 6+6 b
Jésus avait quittéles murs de Béthanie ; 6+6 b
5 À travers la campagneil fuyait d'un pas lent, 6+6 a
Quelquefois s'arrêtait,priant et consolant, 6+6 a
Assis au bord d'un chample prenait pour symbole, 6+6 b
Ou du Samaritaindisait la parabole, 6+6 b
La brebis égarée,ou le mauvais pasteur, 6+6 a
10 Ou le sépulcre blancpareil à l'imposteur ; 6+6 a
Et, de là, poursuivantsa paisible conquête, 6+6 b
De la Chananéenneécoutait la requête, 6+6 b
À la fille sans guideenseignait ses chemins, 6+6 a
Puis aux petits enfantsil imposait les mains. 6+6 a
15 L'aveugle-né voyait,sans pouvoir le comprendre, 6+6 b
Le lépreux et le sourdse toucher et s'entendre, 6+6 b
Et tous, lui consacrantdes larmes pour adieu, 6+6 a
Ils quittaient le désert l'on exilait Dieu. 6+6 a
Fils de l'homme et sujetaux maux de la naissance, 6+6 b
20 Il les commençait touspar le plus grand, l'absence, 6+6 b
Abandonnant sa villeet subissant l'Édit, 6+6 a
Pour accomplir en toutce qu'on avait prédit. 6+6 a
――――――
Or, pendant ces temps-là,ses amis en Judée 6+6 b
Voyaient venir leur finqu'il avait retardée : 6+6 b
25 Lazare, qu'il aimaitet ne visitait plus, 6+6 a
Vint à mourir, ses joursétant tous révolus. 6+6 a
Mais l'amitié de Dieun'est-elle pas la vie ? 6+6 b
Il partit dans la nuit ;sa marche était suivie 6+6 b
Par les deux jeunes sœursdu malade expiré, 6+6 a
30 Chez qui dans ses périlsil s'était retiré. 6+6 a
C'étaient Marthe et Marie ;or Marie était celle 6+6 b
Qui versa les parfumset fit blâmer son zèle. 6+6 b
Tous s'affligeaient ; Jésusdisait en vain : « Il dort. » 6+6 a
Et lui-même, en voyantle linceul et le mort, 6+6 a
35 Il pleura. Larme sainteà l'amitié donnée, 6+6 b
Oh ! vous ne fûtes pointaux vents abandonnée ! 6+6 b
Des Séraphins penchésl'urne de diamant, 6+6 a
Invisible aux mortels,vous reçut mollement, 6+6 a
Et comme une merveille,au Ciel même étonnante, 6+6 b
40 Aux pieds de l'Éternelvous porta rayonnante. 6+6 b
De l'œil toujours ouvertun regard complaisant 6+6 a
Émut et fit brillerl'ineffable présent ; 6+6 a
Et l'Esprit-Saint sur elleépanchant sa puissance, 6+6 b
Donna l'âme et la vieà la divine essence. 6+6 b
45 Comme l'encens qui brûleaux rayons du soleil 6+6 a
Se change en un feu pur,éclatant et vermeil, 6+6 a
On vit alors du seinde l'urne éblouissante 6+6 b
S'élever une formeet blanche et grandissante, 6+6 b
Une voix s'entenditqui disait : « Éloa ! » 6+6 a
50 Et l'Ange apparaissantrépondit : « Me voilà. » 6+6 a
――――――
Toute parée, aux yeuxdu Ciel qui la contemple, 6+6 b
Elle marche vers Dieucomme une épouse au Temple ; 6+6 b
Son beau front est sereinet pur comme un beau lis, 6+6 a
Et d'un voile d'azuril soulève les plis ; 6+6 a
55 Ses cheveux, partagéscomme des gerbes blondes, 6+6 b
Dans les vapeurs de l'airperdent leurs molles ondes, 6+6 b
Comme on voit la comèteerrante dans les cieux 6+6 a
Fondre au sein de la nuitses rayons gracieux ; 6+6 a
Une rose aux lueursde l'aube matinale 6+6 b
60 N'a pas de son teint fraisla rougeur virginale ; 6+6 b
Et la lune, des boiséclairant l'épaisseur, 6+6 a
D'un de ses doux regardsn'atteint pas la douceur. 6+6 a
Ses ailes sont d'argent ;sous une pâle robe, 6+6 b
Son pied blanc tour à tourse montre et se dérobe, 6+6 b
65 Et son sein agité,mais à peine apeu, 6+6 a
Soulève les contoursdu céleste tissu. 6+6 a
C'est une femme aussi,c'est une Ange charmante ; 6+6 b
Car ce peuple d'Esprits,cette famille aimante, 6+6 b
Qui, pour nous, près de nous,prie et veille toujours, 6+6 a
70 Unit sa pure essenceen de saintes amours : 6+6 a
L'Archange Raphaël,lorsqu'il vint sur la Terre, 6+6 b
Sous le berceau d'Édenconta ce doux mystère. 6+6 b
Mais nulle de ces sœursque Dieu créa pour eux 6+6 a
N'apporta plus de joieau ciel des Bienheureux. 6+6 a
――――――
75 Les Chérubins brûlantsqu'enveloppent six ailes, 6+6 b
Les tendres Séraphins,dieux des amours fidèles, 6+6 b
Les Trônes, les Vertus,les Princes, les Ardeurs, 6+6 a
Les Dominations,les Gardiens, les Splendeurs, 6+6 a
Et les Rêves pieux,et les saintes Louanges, 6+6 b
80 Et tous les Anges purs,et tous les grands Archanges, 6+6 b
Et tout ce que le Cielrenferme d'habitants, 6+6 a
Tous, de leurs ailes d'orvoilés en même temps, 6+6 a
Abaissèrent leurs frontsjusqu'à ses pieds de neige, 6+6 b
Et les Vierges ses sœurs,s'unissant en cortège, 6+6 b
85 Comme autour de la Luneon voit les feux du soir, 6+6 a
Se tenant par la main,coururent pour la voir. 6+6 a
Des harpes d'or pendaientà leur chaste ceinture ; 6+6 b
Et des fleurs qu'au Ciel seulfit germer la nature, 6+6 b
Des fleurs qu'on ne voit pasdans l'Été des humains, 6+6 a
90 Comme une large pluieabondaient sous leurs mains. 6+6 a
――――――
« Heureux, chantaient alorsdes voix incomparables, 6+6 b
Heureux le monde offertà ses pas secourables ! 6+6 b
Quand elle aura passéparmi les malheureux, 6+6 a
L'esprit consolateurse répandra sur eux. 6+6 a
95 Quel globe attend ses pas ?Quel siècle la demande ? 6+6 b
Ntra-t-il d'autres cieuxafin qu'elle y commande ? » 6+6 b
――――――
Un jour… (Comment osernommer du nom de jour 6+6 a
Ce qui n'a pas de fuiteet n'a pas de retour ? 6+6 a
Des langages humainsdéfiant l'indigence, 6+6 b
100 L'éternité se voileà notre intelligence, 6+6 b
Et, pour nous faire entendreun de ces courts instants, 6+6 a
Il faut chercher pour euxun nom parmi les temps…) 6+6 a
Un jour, les habitantsde l'immortel empire, 6+6 b
Imprudents une fois,s'unissaient pour l'instruire. 6+6 b
105 « Éloa, disaient-ils,oh ! veillez bien sur vous : 6+6 a
Un Ange peut tomber ;le plus beau de nous tous 6+6 a
N'est plus ici : pourtantdans sa vertu première 6+6 b
On le nommait celuiqui porte la lumière ; 6+6 b
Car il portait l'amouret la vie en tout lieu, 6+6 a
110 Aux astres il portaittous les ordres de Dieu ; 6+6 a
La terre consacraitsa beauté sans égale, 6+6 b
Appelant Luciferl'étoile matinale, 6+6 b
Diamant radieux,que sur son front vermeil, 6+6 a
Parmi ses cheveux d'ora posé le soleil. 6+6 a
115 Mais on dit qu'à présentil est sans diadème, 6+6 b
Qu'il gémit, qu'il est seul,que personne ne l'aime, 6+6 b
Que la noirceur d'un crimeappesantit ses yeux, 6+6 a
Qu'il ne sait plus parlerle langage des Cieux ; 6+6 a
La mort est dans les motsque prononce sa bouche ; 6+6 b
120 Il brûle ce qu'il voit,il flétrit ce qu'il touche ; 6+6 b
Il ne peut plus sentirle mal ni les bienfaits ; 6+6 a
Il est même sans joieaux malheurs qu'il a faits. 6+6 a
Le Ciel qu'il habitase trouble à sa mémoire, 6+6 b
Nul ange n'oseraitvous conter son histoire, 6+6 b
125 Nul ange n'oseraitdire une fois son nom. » 6+6 a
Et l'on crut qu'Éloale maudirait ; mais non, 6+6 a
L'effroi n'altéra pointson paisible visage, 6+6 b
Et ce fut pour le Cielun alarmant présage. 6+6 b
Son premier mouvementne fut pas de frémir, 6+6 a
130 Mais plutôt d'approchercomme pour secourir ; 6+6 a
La tristesse apparutsur sa lèvre glacée 6+6 b
Aussitôt qu'un malheurs'offrit à sa pensée ; 6+6 b
Elle apprit à rêver,et son front innocent 6+6 a
De ce trouble inconnurougit en s'abaissant ; 6+6 a
135 Une larme brillaitauprès de sa paupière. 6+6 b
Heureux ceux dont le cœurverse ainsi la première ! 6+6 b
――――――
Un ange eut ces ennuisqui troublent tant nos jours, 6+6 a
Et poursuivent les grandsdans la pompe des cours ; 6+6 a
Mais, au sein des banquets,parmi la multitude, 6+6 b
140 Un homme qui gémittrouve la solitude ; 6+6 b
Le bruit des nations,le bruit que font les rois, 6+6 a
Rien n'éteint dans son cœurune plus forte voix. 6+6 a
Harpes du Paradis,vous étiez sans prodiges ! 6+6 b
Chars vivants dont les yeuxont d'éclatants prestiges ! 6+6 b
145 Armures du Seigneur,pavillons du saint lieu, 6+6 a
Étoiles des bergerstombant des doigts de Dieu, 6+6 a
Saphirs des encensoirs,or du céleste dôme, 6+6 b
Délices du nebel,senteurs du cinnamome, 6+6 b
Vos bruits harmonieux,vos splendeurs, vos parfums 6+6 a
150 Pour un ange attristédevenaient importuns ; 6+6 a
Les cantiques sacréstroublaient sa rêverie, 6+6 b
Car rien n'y répondaità son âme attendrie 6+6 b
Et soit lorsque Dieu même,appelant les esprits, 6+6 a
Dévoilait sa grandeurà leurs regards surpris, 6+6 a
155 Et montrait dans les cieux,foyer de la naissance, 6+6 b
Les profondeurs sans nomde sa triple puissance, 6+6 b
Soit quand les chérubinsreprésentaient entre eux 6+6 a
Ou les actes du Christou ceux des bienheureux, 6+6 a
Et répétaient au Cielchaque nouveau mystère 6+6 b
160 Qui, dans les mêmes temps,se passait sur la terre, 6+6 b
La crèche offerte aux yeuxdes mages étrangers, 6+6 a
La famille au désert,le salut des bergers, 6+6 a
Éloa, s'écartantde ce divin spectacle, 6+6 b
Loin de leur foule et loindu brillant tabernacle, 6+6 b
165 Cherchait quelque nuage dans l'obscurité 6+6 a
Elle pourrait du moinsrêver en liberté. 6+6 a
――――――
Les anges ont des nuitscomme la nuit humaine. 6+6 b
Il est dans le Ciel mêmeune pure fontaine ; 6+6 b
Une eau brillante y courtsur un sable vermeil ; 6+6 a
170 Quand un ange la puise,il dort, mais d'un sommeil 6+6 a
Tel que le plus aimédes amants de la terre 6+6 b
N'en voudrait pas quitterle charme solitaire, 6+6 b
Pas même pour revoirdormant auprès de lui 6+6 a
La beauté dont la têtea son bras pour appui. 6+6 a
175 Mais en vain Éloas'abreuvait dans son onde, 6+6 b
Sa douleur inquièteen était plus profonde ; 6+6 b
Et toujours dans la nuitun rêve lui montrait 6+6 a
Un ange malheureuxqui de loin l'implorait. 6+6 a
Les vierges quelquefois,pour conntre sa peine, 6+6 b
180 Formant une prièreinentendue et vaine, 6+6 b
L'entouraient, et, prenantces soins qui font souffrir, 6+6 a
Demandaient quels trésorsil lui fallait offrir, 6+6 a
Et de quel prix seraitson éternelle vie, 6+6 b
Si le bonheur du Cielflattait peu son envie ; 6+6 b
185 Et pourquoi son regardne cherchait pas enfin 6+6 a
Les regards d'un archangeou ceux d'un séraphin. 6+6 a
Éloa répondaitune seule parole : 6+6 b
« Aucun d'eux n'a besoinde celle qui console. 6+6 b
On dit qu'il en est un» Mais détournant leurs pas, 6+6 a
190 Les vierges s'enfuyaientet ne le nommaient pas. 6+6 a
――――――
Cependant, seule, un jour,leur timide compagne, 6+6 b
Regarde autour de soila céleste campagne, 6+6 b
Étend l'aile et sourit,s'envole, et dans les airs 6+6 a
Cherche sa terre amieou des astres déserts. 6+6 a
――――――
195 Ainsi dans les forêtsde la Louisiane, 6+6 b
Bercé sous les bambouset la longue liane, 6+6 b
Ayant rompu l'œuf d'orpar le soleil mûri, 6+6 a
Sort de son lit de fleursl'éclatant Colibri ; 6+6 a
Une verte émeraudea couronné sa tête, 6+6 b
200 Des ailes sur son dosla pourpre est déjà prête, 6+6 b
La cuirasse d'azurgarnit son jeune cœur, 6+6 a
Pour les luttes de l'airl'oiseau part en vainqueur… 6+6 a
Il promène en des lieuxvoisins de la lumière 6+6 b
Ses plumes de corailqui craignent la poussière ; 6+6 b
205 Sous son abri sauvageétonnant le ramier, 6+6 a
Le hardi voyageurvisite le palmier. 6+6 a
La plaine des parfumsest d'abord délaissée ; 6+6 b
Il passe, ambitieux,de l'érable à l'alcée, 6+6 b
Et de tous ses festinscroit trouver les apprêts 6+6 a
210 Sur le front du palmisteou les bras du cyprès ; 6+6 a
Mais les bois sont trop grandspour ses ailes naissantes. 6+6 b
Et les fleurs du berceaude ces lieux sont absentes ; 6+6 b
Sur la verte savaneil descend les chercher ; 6+6 a
Les serpents-oiseleursqu'elles pourraient cacher 6+6 a
215 L'effarouchent bien moinsque les forêts arides. 6+6 b
Il poursuit près des eauxle jasmin des Florides, 6+6 b
La nonpareille au fondde ses chastes prisons, 6+6 a
Et la fraise embauméeau milieu des gazons. 6+6 a
――――――
C'est ainsi qu'Éloa,forte dès sa naissance, 6+6 b
220 De son aile argentéeessayant la puissance, 6+6 b
Passant la blanche voie des feux immortels 6+6 a
Brûlent aux pieds de Dieucomme un amas d'autels, 6+6 a
Tantôt se balançantsur deux jeunes planètes, 6+6 b
Tantôt posant ses piedssur le front des comètes, 6+6 b
225 Afin de découvrirles êtres nés ailleurs, 6+6 a
Arriva seule au fonddes Cieux inférieurs. 6+6 a
――――――
L'Éther a ses degrés,d'une grandeur immense, 6+6 b
Jusqu'à l'ombre éternelle le chaos commence. 6+6 b
Sitôt qu'un ange a fuil'azur illimité, 6+6 a
230 Coupole de saphirsqu'emplit la Trinité, 6+6 a
Il trouve un air moins pur ;là passent des nuages, 6+6 b
La tournent des vapeurs,serpentent des orages, 6+6 b
Comme une garde agile,et dont la profondeur 6+6 a
De l'air que Dieu respireéteint pour nous l'ardeur. 6+6 a
235 Mais, après nos soleilset sous les atmosphères 6+6 b
, dans leur cercle étroit,se balancent nos sphères, 6+6 b
L'espace est désert, triste,obscur, et sillonné 6+6 a
Par un noir tourbillonlentement entrné. 6+6 a
Un jour douteux et pâleéclaire en vain la nue, 6+6 b
240 Sous elle est le chaoset la nuit inconnue ; 6+6 b
Et, lorsqu'un vent de feubrise son sein profond, 6+6 a
On devine le videimpalpable et sans fond. 6+6 a
――――――
Jamais les purs esprits,enfants de la lumière, 6+6 b
De ces trois régionsn'atteignent la dernière ; 6+6 b
245 Et jamais ne s'égareaucun beau séraphin 6+6 a
Sur ces degrés confusdont l'Enfer est la fin. 6+6 a
Même les chérubins,si forts et si fidèles, 6+6 b
Craignent que l'air impurne manque sous leurs ailes, 6+6 b
Et qu'ils ne soient forcés,dans ce vol dangereux, 6+6 a
250 De tomber jusqu'au fonddu chaos ténébreux. 6+6 a
Que deviendrait alorsl'exilé sans défense ? 6+6 b
Du rire des démonsl'inextinguible offense, 6+6 b
Leurs mots, leurs jeux railleurs,lent et cruel affront, 6+6 a
Feraient baisser ses yeux,feraient rougir son front. 6+6 a
255 Péril plus grand peut-êtreil lui faudrait entendre 6+6 b
Quelque chant d'abandonvoluptueux et tendre, 6+6 b
Quelque regret du Ciel,un récit douloureux 6+6 a
Dit par la douce voixd'un ange malheureux. 6+6 a
Et même, en lui prêtantune oreille attendrie, 6+6 b
260 Il pourrait oublierla céleste patrie, 6+6 b
Se plaire sous la nuitet dans une amitié 6+6 a
Qu'auraient nouée entre euxles chants et la pitié. 6+6 a
Et comment remonterà la vte azurée, 6+6 b
Offrant à la lumièreéclatante et dorée 6+6 b
265 Des cheveux dont les flotssont épars et ternis, 6+6 a
Des ailes sans couleurs,des bras, un col brunis, 6+6 a
Un front plus pâle, empreintde traces inconnues 6+6 b
Parmi les fronts sereinsdes habitants des nues, 6+6 b
Des yeux dont la rougeurmontre qu'ils ont pleuré, 6+6 a
270 Et des pieds noirs encord'un feu pestiféré ? 6+6 a
――――――
Voila pourquoi, toujoursprudents et toujours sages, 6+6 b
Les anges de ces lieuxredoutent les passages. 6+6 b
――――――
C'était là cependant,sur la sombre vapeur, 6+6 a
Que la vierge Éloase reposait sans peur ; 6+6 a
275 Elle ne se troublaqu'en voyant sa puissance, 6+6 b
Et les bienfaits nouveauxcausés par sa présence. 6+6 b
Quelques mondes punissemblaient se consoler ; 6+6 a
Les globes s'arrêtaientpour l'entendre voler. 6+6 a
S'il arrivait aussiqu'en ces routes nouvelles 6+6 b
280 Elle touchât l'un d'euxdes plumes de ses ailes, 6+6 b
Alors tous les chagrinss'y taisaient un moment, 6+6 a
Les rivaux s'embrassaientavec étonnement ; 6+6 a
Tous les poignards tombaientoubliés par la haine ; 6+6 b
Le captif souriantmarchait seul et sans chne ; 6+6 b
285 Le criminel rentraitau temple de la loi ; 6+6 a
Le proscrit s'asseyaitau palais de son roi ; 6+6 a
L'inquiète insomnieabandonnait sa proie ; 6+6 b
Les pleurs cessaient partout,hors les pleurs de la joie ; 6+6 b
Et, surpris d'un bonheurrare chez les mortels, 6+6 a
290 Les amants séparéss'unissaient aux autels. 6+6 a
――――――
CHANT DEUXIÈME
Séduction
Souvent parmi les montsqui dominent la terre 6+6 b
S'ouvre un puits naturel,profond et solitaire ; 6+6 b
L'eau qui tombe du ciels'y garde, obscur miroir 6+6 a
, dans le jour, on voitles étoiles du soir. 6+6 a
295 Là, quand la villageoisea, sous la corde agile, 6+6 b
De l'urne, au fond des eaux,plongé la frêle argile, 6+6 b
Elle y demeure oisive,et contemple longtemps 6+6 a
Ce magique tableaudes astres éclatants, 6+6 a
Qui semble orner son front,dans l'onde souterraine, 6+6 b
300 D'un bandeau qu'envîraientles cheveux d'une reine. 6+6 b
Telle, au fond du chaosqu'observaient ses beaux yeux, 6+6 a
La vierge, en se penchant,croyait voir d'autres Cieux. 6+6 a
Ses regards, éblouispar les soleils sans nombre, 6+6 b
N'apercevaient d'abordqu'un abîme et que l'ombre. 6+6 b
305 Mais elle y vit bientôtdes feux errants et bleus 6+6 a
Tels que des froids maraisles éclairs onduleux ; 6+6 a
Ils fuyaient, revenaient,puis échappaient encore ; 6+6 b
Chaque étoile semblaitpoursuivre un météore ; 6+6 b
Et l'ange, en souriantau spectacle étranger, 6+6 a
310 Suivait des yeux leur volcirculaire et léger. 6+6 a
Bientôt il lui semblaqu'une pure harmonie 6+6 b
Sortait de chaque flammeà l'autre flamme unie : 6+6 b
Tel est le choc plaintifet le son vague et clair 6+6 a
Des cristaux suspendusau passage de l'air, 6+6 a
315 Pour que, dans son palais,la jeune Italienne 6+6 b
S'endorme en écoutantla harpe éolienne. 6+6 b
Ce bruit lointain devintun chant surnaturel 6+6 a
Qui parut s'approcherde la fille du Ciel ; 6+6 a
Et ces feux réunisfurent comme l'aurore 6+6 b
320 D'un jour inespéréqui semblait près d'éclore. 6+6 b
A sa lueur de roseun nuage embaumé 6+6 a
Montait en longs détoursdans un air enflammé, 6+6 a
Puis lentement formasa couche d'ambroisie, 6+6 b
Pareille à ces divans dort la molle Asie. 6+6 b
325 Là, comme un ange assis,jeune, triste et charmant, 6+6 a
Une forme célesteapparut vaguement. 6+6 a
――――――
Quelquefois un enfantde la Clyde écumeuse, 6+6 b
En bondissant parcourtsa montagne brumeuse, 6+6 b
Et chasse un daim légerque son cor étonna, 6+6 a
330 Des glaciers de l'Arvenaux brouillards du Crona, 6+6 a
Franchit les rocs mousseux,dans les gouffres s'élance, 6+6 b
Pour passer le torrentaux arbres se balance, 6+6 b
Tombe avec un pied sûr,et s'ouvre des chemins 6+6 a
Jusqu'à la neige encorvierge de pas humains ; 6+6 a
335 Mais bientôt, s'égarantan milieu des nuages, 6+6 b
Il cherche les sentiersvoilés par les orages ; 6+6 b
Là, sous un arc-en-cielqui couronne les eaux, 6+6 a
S'il a vu, dans la nueet ses vagues réseaux, 6+6 a
Passer le plaid légerd'une Écossaise errante, 6+6 b
340 Et s'il entend sa voixdans les échos mourante, 6+6 b
Il s'arrête enchanté,car il croit que ses yeux 6+6 a
Viennent d'apercevoirla sœur de ses aïeux, 6+6 a
Qui va faire frémir,ombre encore amoureuse, 6+6 b
Sous ses doigts transparentsla harpe vaporeuse ; 6+6 b
345 Il cherche alors commentOssian la nomma, 6+6 a
Et, debout sur sa roche,appelle Évir-Coma. 6+6 a
――――――
Non moins belle apparut,mais non moins incertaine, 6+6 b
De l'ange ténébreuxla forme encor lointaine, 6+6 b
Et des enchantementsnon moins délicieux 6+6 a
350 De la vierge célesteoccupèrent les yeux. 6+6 a
Comme un cygne endormiqui seul, loin de la rive, 6+6 b
Livre son aile blancheà l'onde fugitive, 6+6 b
Le jeune homme inconnumollement s'appuyait 6+6 a
Sur ce lit de vapeursqui sous ses bras fuyait. 6+6 a
355 Sa robe était de pourpre,et, flamboyante ou pâle, 6+6 b
Enchantait les regardsdes teintes de l'opale. 6+6 b
Ses cheveux étaient noirs,mais pressés d'un bandeau ; 6+6 a
C'était une couronneou peut-être un fardeau : 6+6 a
L'or en était vivantcomme ces feux mystiques 6+6 b
360 Qui, tournoyants, brûlaientsur les trépieds antiques. 6+6 b
Son aile était ployée,et sa faible couleur 6+6 a
De la brume des soirsimitait la pâleur. 6+6 a
Des diamants nombreuxrayonnent avec grâce 6+6 b
Sur ses pieds délicatsqu'un cercle d'or embrasse ; 6+6 b
365 Mollement entourésd'anneaux mystérieux, 6+6 a
Ses bras et tous ses doigtséblouissent les yeux. 6+6 a
Il agite sa maind'un sceptre d'or armée, 6+6 b
Comme un roi qui d'un montvoit passer son armée, 6+6 b
Et, craignant que ses vœuxne s'accomplissent pas, 6+6 a
370 D'un geste impatientaccuse tous ses pas : 6+6 a
Son front est inquiet ;mais son regard s'abaisse, 6+6 b
Soit que, sachant des yeuxla force enchanteresse, 6+6 b
Il veuille ne montrerd'abord que par degrés 6+6 a
Leurs rayons caressantsencor mal assurés, 6+6 a
375 Soit qu'il redoute aussil'involontaire flamme 6+6 b
Qui dans un seul regardrévèle l'âme à l'âme. 6+6 b
Tel que dans la forêtle doux vent du matin 6+6 a
Commence ses soupirspar un bruit incertain 6+6 a
Qui réveille la terreet fait palpiter l'onde ; 6+6 b
380 Élevant lentementsa voix douce et profonde, 6+6 b
Et prenant un accenttriste comme un adieu, 6+6 a
Voici les mots qu'il dità la fille de Dieu : 6+6 a
――――――
« D' viens-tu, bel Archange ? vas-tu ? quelle voie 6+6 b
Suit ton aile d'argentqui dans l'air se déploie ? 6+6 b
385 Vas-tu, te reposantau centre d'un Soleil, 6+6 a
Guider l'ardent foyerde son cercle vermeil ; 6+6 a
Ou, troublant les amantsd'une crainte iale, 6+6 b
Leur montrer dans la nuitl'Aurore boale ; 6+6 b
Partager la roséeaux calices des fleurs, 6+6 a
390 Ou courber sur les montsl'écharpe aux sept couleurs ? 6+6 a
Tes soins ne sont-ils pasde surveiller les âmes 6+6 b
Et de parler, le soir,au cœur des jeunes femmes ; 6+6 b
De venir comme un rêveen leurs bras te poser, 6+6 a
Et de leur apporterun fils dans un baiser ? 6+6 a
395 Tels sont tes doux emplois,si du moins j'en veux croire 6+6 b
Ta beauté merveilleuseet tes rayons de gloire. 6+6 b
Mais plutôt n'es-tu pasun ennemi naissant 6+6 a
Qu'instruit à me haïrmon rival trop puissant ? 6+6 a
Ah ! peut-être est-ce toiqui, m'offensant moi-même, 6+6 b
400 Conduiras mes Païenssous les eaux du baptême ; 6+6 b
Car toujours l'ennemim'oppose triomphant 6+6 a
Le regard d'une viergeou la voix d'un enfant. 6+6 a
Je suis un exiléque tu cherchais peut-être : 6+6 b
Mais, s'il est vrai, prends gardeau Dieu jaloux ton mtre ; 6+6 b
405 C'est pour avoir aimé,c'est pour avoir sauvé, 6+6 a
Que je suis malheureux,que je suis réprouvé. 6+6 a
Chaste beauté ! viens-tume combattre ou m'absoudre ? 6+6 b
Tu descends de ce Cielqui m'envoya la foudre, 6+6 b
Mais si douce à mes yeux,que je ne sais pourquoi 6+6 a
410 Tu viens aussi d'en haut,bel Ange, contre moi. » 6+6 a
――――――
Ainsi l'esprit parlait.A sa voix caressante, 6+6 b
Prestige préparécontre une âme innocente, 6+6 b
A ces douces lueurs,au magique appareil 6+6 a
De cet ange si doux,à ses frères pareil, 6+6 a
415 L'habitante des Cieux,de son aile voilée, 6+6 b
Montait en reculantsur sa route étoilée, 6+6 b
Comme on voit la baigneuseau milieu des roseaux 6+6 a
Fuir un jeune nageurqu'elle a vu sous les eaux. 6+6 a
Mais en vain ses deux piedss'éloignaient du nuage, 6+6 b
420 Autant que la colombeen deux jours de voyage 6+6 b
Peut s'éloigner d'Alepet de la blanche tour 6+6 a
D' la sultane envoieune lettre d'amour : 6+6 a
Sous l'éclair d'un regardsa force fut brisée ; 6+6 b
Et, dès qu'il vit ployerson aile mtrisée, 6+6 b
425 L'ennemi séducteurcontinua tout bas : 6+6 a
« Je suis celui qu'on aimeet qu'on ne connt pas. 6+6 a
Sur l'homme j'ai fondémon empire de flamme, 6+6 b
Dans les désirs du cœur,dans les rêves de l'âme, 6+6 b
Dans les liens des corps,attraits mystérieux, 6+6 a
430 Dans les trésors du sang,dans les regards des yeux. 6+6 a
C'est moi qui fais parlerl'épouse dans ses songes ; 6+6 b
La jeune fille heureuseapprend d'heureux mensonges ; 6+6 b
Je leur donne des nuitsqui consolent des jours, 6+6 a
Je suis le Roi secretdes secrètes amours. 6+6 a
435 J'unis les cœurs, je rompsles chnes rigoureuses, 6+6 b
Comme le papillonsur ses ailes poudreuses 6+6 b
Porte aux gazons émusdes peuplades de fleurs, 6+6 a
Et leur fait des amourssans périls et sans pleurs. 6+6 a
J'ai pris au Créateursa faible créature ; 6+6 b
440 Nous avons, malgré lui,partagé la Nature : 6+6 b
Je le laisse, orgueilleuxdes bruits du jour vermeil, 6+6 a
Cacher des astres d'orsous l'éclat d'un Soleil ; 6+6 a
Moi, j'ai l'ombre muette,et je donne à la terre 6+6 b
La volupté des soirset les biens du mystère. 6+6 b
445 « Es-tu venue, avecquelques Anges des cieux, 6+6 a
Admirer de mes nuitsle cours délicieux ? 6+6 a
As-tu vu leurs trésors ?Sais-tu quelles merveilles 6+6 b
Des Anges ténébreuxaccompagnent les veilles ? 6+6 b
――――――
« Sitôt que, balancésous le pâle horizon, 6+6 a
450 Le soleil rougissanta quitté le gazon, 6+6 a
Innombrables Esprits,nous volons dans les ombres 6+6 b
En secouant dans l'airnos chevelures sombres : 6+6 b
L'odorante roséealors jusqu'au matin 6+6 a
Pleut sur les orangers,les lilas et le thym. 6+6 a
455 La Nature, attentiveaux lois de mon empire, 6+6 b
M'accueille avec amour,m'écoute et me respire ; 6+6 b
Je redeviens son âme,et pour mes doux projets 6+6 a
Du fond des élémentsj'évoque mes sujets. 6+6 a
Convive accoutuméde ma nocturne fête, 6+6 b
460 Chacun d'eux en chantantà s'y rendre s'apprête. 6+6 b
Vers le ciel étoilé,dans l'orgueil de son vol, 6+6 a
S'élance, le premier,l'élégant rossignol ; 6+6 a
Sa voix sonore, à l'onde,à la terre, à la nue, 6+6 b
De mon heure chérieannonce la venue ; 6+6 b
465 Il vante mon approcheaux pâles alisiers, 6+6 a
Il la redit encoreaux humides rosiers ; 6+6 a
Héraut harmonieux,partout il me proclame ; 6+6 b
Tous les oiseaux de l'ombreouvrent leurs yeux de flamme. 6+6 b
Le vermisseau reluit ;son front de diamant 6+6 a
470 Répète auprès des fleursles feux du firmament, 6+6 a
Et lutte de clartésavec le météore 6+6 b
Qui rôde sur les eauxcomme une pâle aurore. 6+6 b
L'étoile des marais,que détache ma main, 6+6 a
Tombe et trace dans l'airun lumineux chemin. 6+6 a
――――――
475 « Dédaignant le remordset sa triste chimère, 6+6 b
Si la vierge a quittéla couche de sa mère, 6+6 b
Ces flambeaux naturelss'allument sous ses pas, 6+6 a
Et leur feu clair la guideet ne la trahit pas. 6+6 a
Si sa lèvre s'altèreet vient près du rivage 6+6 b
480 Chercher comme une coupeun profond coquillage, 6+6 b
L'eau soupire et bouillonne,et devant ses pieds nus 6+6 a
Jette aux bords sablonneuxla conque de Vénus. 6+6 a
Des esprits lui font voirde merveilleuses choses, 6+6 b
Sous des bosquets remplisde la senteur des roses ; 6+6 b
485 Elle apeoit sur l'herbe, leur main la conduit, 6+6 a
Ces fleurs dont la beauténe s'ouvre que la nuit, 6+6 a
Pour qui l'aube du jouraussi sera cruelle, 6+6 b
Et dont le sein modestea des amours comme elle. 6+6 b
Le silence la suit ;tout dort profondément ; 6+6 a
490 L'ombre écoute un mystèreavec recueillement. 6+6 a
Les vents, des prés voisins,apportent l'ambroisie 6+6 b
Sur la couche des boisque l'amant a choisie. 6+6 b
Bientôt deux jeunes voixmurmurent des propos 6+6 a
Qui des bocages sourdsaniment le repos. 6+6 a
495 Au fond de l'orme épaisdont l'abri les accueille, 6+6 b
L'oiseau réveillé chanteet bruit sous la feuille. 6+6 b
L'hymne de voluptéfait tressaillir les airs, 6+6 a
Les arbres ont leurs chants,les buissons leurs concerts, 6+6 a
Et, sur les bords d'une eauqui gémit et s'écoule, 6+6 b
500 La colombe de nuitlanguissamment roucoule. 6+6 b
――――――
« La voilà sous tes yeuxl'œuvre du Malfaiteur ; 6+6 a
Ce méchant qu'on accuseest un Consolateur 6+6 a
Qui pleure sur l'esclaveet le dérobe au mtre, 6+6 b
Le sauve par l'amourdes chagrins de son être, 6+6 b
505 Et, dans le mal communlui-même enseveli, 6+6 a
Lui donne un peu de charmeet quelquefois l'oubli. » 6+6 a
――――――
Trois fois, durant ces mots,de l'Archange naissante 6+6 b
La rougeur colorala joue adolescente, 6+6 b
Et, luttant par trois foiscontre un regard impur, 6+6 a
510 Une paupière d'orvoila ses yeux d'azur. 6+6 a
――――――
CHANT TROISIÈME
Chute
D' venez-vous, Pudeur,noble crainte, ô Mystère, 6+6 b
Qu'au temps de son enfancea vu ntre la terre, 6+6 b
Fleurs de ses premiers joursqui germez parmi nous, 6+6 a
Rose du Paradis !Pudeur, d' venez-vous ? 6+6 a
515 Vous pouvez seule encorremplacer l'innocence, 6+6 b
Mais l'arbre défenduvous a donné naissance ; 6+6 b
Au charme des vertusvotre charme est égal, 6+6 a
Mais vous êtes aussile premier pas du mal ; 6+6 a
D'un chaste vêtementvotre sein se décore : 6+6 b
520 Ève avant le serpentn'en avait pas encore ; 6+6 b
Et, si le voile purorne votre maintien, 6+6 a
C'est un voile toujours,et le crime a le sien ; 6+6 a
Tout vous trouble, un regardblesse votre paupière, 6+6 b
Mais l'enfant ne craint rien,et cherche la lumière. 6+6 b
525 Sous ce pouvoir nouveau,la Vierge fléchissait, 6+6 a
Elle tombait déjà,car elle rougissait ; 6+6 a
Déjà presque soumiseau joug de l'Esprit sombre, 6+6 b
Elle descend, remonte,et redescend dans l'ombre. 6+6 b
Telle on voit la perdrixvoltiger et planer 6+6 a
530 Sur des épis brisésqu'elle voudrait glaner, 6+6 a
Car tout son nid l'attend ;si son vol se hasarde, 6+6 b
Son regard ne peut fuircelui qui la regarde 6+6 b
Et c'est le chien d'arrêtqui, sombre surveillant, 6+6 a
La suit, la suit toujoursd'un œil fixe et brillant. 6+6 a
――――――
535 Ô des instants d'amourineffable délire ! 6+6 b
Le cœur répond au cœurcomme l'air à la lyre. 6+6 b
Ainsi qu'un jeune amant,interprète adoré, 6+6 a
Explique le désirpar lui-même inspiré, 6+6 a
Et contre la pudeuraidant sa bien-aimée, 6+6 b
540 Entrnant dans ses brassa faiblesse charmée, 6+6 b
Tout enivré d'espoir,plus qu'à demi vainqueur, 6+6 a
Prononce les sermentsqu'elle fait dans son cœur, 6+6 a
Le prince des Esprits,d'une voix oppressée, 6+6 b
De la Vierge timideexpliquait la pensée. 6+6 b
545 Éloa, sans parler,disait : « Je suis à toi ; » 6+6 a
Et l'Ange ténébreuxdit tout bas : « Sois à moi ! 6+6 a
« Sois à moi, sois ma sœur,je t'appartiens moi-même ; 6+6 b
Je t'ai bien méritée,et dès longtemps je t'aime, 6+6 b
Car je t'ai vue un jour.Parmi les fils de l'air 6+6 a
550 Je me mêlais, voilécomme un soleil d'hiver. 6+6 a
Je revis une foisl'ineffable contrée, 6+6 b
Des peuples lumineuxla patrie azurée, 6+6 b
Et n'eus pas un regretd'avoir quitté ces lieux 6+6 a
la crainte toujourssiège parmi les Dieux. 6+6 a
555 Toi seule m'apparuscomme une jeune étoile 6+6 b
Qui de la vaste nuitperce à l'écart le voile ; 6+6 b
Toi seule me parusce qu'on cherche toujours, 6+6 a
Ce que l'homme poursuitdans l'ombre de ses jours, 6+6 a
Le dieu qui du bonheurconnt seul le mystère, 6+6 b
560 Et la Reine qu'attendmon trône solitaire. 6+6 b
Enfin, par ta présence,habile à me charmer, 6+6 a
Il me fut révéléque je pouvais aimer. 6+6 a
――――――
« Soit que tes yeux, voilésd'une ombre de tristesse, 6+6 b
Aient entendu les miensqui les cherchaient sans cesse, 6+6 b
565 Soit que ton origine,aussi douce que toi, 6+6 a
T'ait fait une patrieun peu plus près de moi, 6+6 a
Je ne sais, mais depuisl'heure qui te vit ntre, 6+6 b
Dans tout être crééj'ai cru te reconntre ; 6+6 b
J'ai trois fois en pleurantpassé dans l'Univers ; 6+6 a
570 Je te cherchais partout :dans un souffle des airs, 6+6 a
Dans un rayon tombédu disque de la lune, 6+6 b
Dans l'étoile qui fuitle ciel qui l'importune, 6+6 b
Dans l'arc-en-ciel, passageaux Anges familier, 6+6 a
Ou sur le lit moelleuxdes neiges du glacier ; 6+6 a
575 Des parfums de ton volje respirais la trace ; 6+6 b
En vain j'interrogeailes globes de l'espace, 6+6 b
Du char des astres pursj'obscurcis les essieux, 6+6 a
Je voilai leurs rayonspour attirer tes yeux, 6+6 a
J'osai même, enhardipar mon nouveau délire, 6+6 b
580 Toucher les fibres d'orde la céleste lyre. 6+6 b
Mais tu n'entendis rien,mais tu ne me vis pas. 6+6 a
Je revins à la terre,et je glissai mes pas 6+6 a
Sous les abris de l'homme tu reçus naissance. 6+6 b
Je croyais t'y trouverprotégeant l'innocence, 6+6 b
585 Au berceau balancéd'un enfant endormi, 6+6 a
Rafrchissant sa lèvreavec un souffle ami ; 6+6 a
Ou bien comme un rideaudéveloppant ton aile, 6+6 b
Et gardant contre moi,timide sentinelle, 6+6 b
Le sommeil de la viergeaux côtés de sa sœur, 6+6 a
590 Qui, rêvant, sur son seinla presse avec douceur. 6+6 a
Mais seul je retournaisous ma belle demeure, 6+6 b
J'y pleurai comme ici,j'y gémis, jusqu'à l'heure 6+6 b
le son de ton volm'émut, me fit trembler, 6+6 a
Comme un prêtre qui sentque son Dieu va parler. » 6+6 a
――――――
595 Il disait ; et bientôtcomme une jeune reine, 6+6 b
Qui rougit de plaisirau nom de souveraine, 6+6 b
Et fait à ses sujetsun geste gracieux, 6+6 a
Ou donne à leurs transportsun regard de ses yeux, 6+6 a
Éloa, soulevantle voile de sa tête, 6+6 b
600 Avec un doux sourireà lui parler s'apprête, 6+6 b
Descend plus près de lui,se penche, et mollement 6+6 a
Contemple avec orgueilson immortel amant. 6+6 a
Son beau sein, comme un flotqui sur la rive expire, 6+6 b
Pour la première foisse soulève et soupire ; 6+6 b
605 Son bras, comme un lis blancsur le lac suspendu, 6+6 a
S'approche sans effroilentement étendu ; 6+6 a
Sa bouche parfuméeen s'ouvrant semble éclore, 6+6 b
Comme la jeune roseaux faveurs de l'aurore, 6+6 b
Quand, le matin lui verseune frche liqueur, 6+6 a
610 Et qu'un rayon du jourentre jusqu'à son cœur. 6+6 a
Elle parle, et sa voixdans un beau son rassemble 6+6 b
Ce que les plus doux bruitsauraient de grâce ensemble ; 6+6 b
Et la lyre accordéeaux flûtes dans les bois, 6+6 a
Et l'oiseau qui se plaintpour la première fois, 6+6 a
615 Et la mer quand ses flotsapportent sur la grève 6+6 b
Les chants du soir aux piedsdu voyageur qui rêve, 6+6 b
Et le vent qui se joueaux cloches des hameaux, 6+6 a
Ou fait gémir les joncsde la fuite des eau : 6+6 a
――――――
« Puisque vous êtes beau,vous êtes bon, sans doute ; 6+6 b
620 Car, sitôt que des Cieuxune âme prend la route, 6+6 b
Comme un saint vêtementnous voyons sa bonté 6+6 a
Lui donner en entrantl'éternelle beauté. 6+6 a
Mais pourquoi vos discoursm'inspirent-ils la crainte ? 6+6 b
Pourquoi sur votre fronttant de douleur empreinte ? 6+6 b
625 Comment avez-vous pudescendre du Saint Lieu ? 6+6 a
Et comment m'aimez-vous,si vous n'aimez pas Dieu ? » 6+6 a
――――――
Le trouble des regards,grâce de la décence, 6+6 b
Accompagnait ces mots,forts comme l'innocence ; 6+6 b
Ils tombaient de sa bouche,aussi doux, aussi purs, 6+6 a
630 Que la neige en hiversur les coteaux obscurs ; 6+6 a
Et comme, tout nourrisde l'essence première, 6+6 b
Les anges ont au cœurdes sources de lumière, 6+6 b
Tandis qu'elle parlait,ses ailes à l'entour, 6+6 a
Et son sein et son brasrépandirent le jour : 6+6 a
635 Ainsi le diamantluit au milieu des ombres. 6+6 b
L'archange s'en effraye,et sous ses cheveux sombres 6+6 b
Cherche un épais refugeà ses yeux éblouis ; 6+6 a
Il pense qu'à la findes temps évanouis, 6+6 a
Il lui faudra de mêmeenvisager son mtre, 6+6 b
640 Et qu'un regard de Dieule brisera peut-être ; 6+6 b
Il se rappelle aussitout ce qu'il a souffert 6+6 a
Après avoir tentéJésus dans le désert. 6+6 a
Il tremble ; sur son cœur l'enfer recommence, 6+6 b
Comme un sombre manteaujette son aile immense, 6+6 b
645 Et veut fuir. La terreurréveillait tous ses maux. 6+6 a
――――――
Sur la neige des monts,couronne des hameaux, 6+6 a
L'Espagnol a blessél'aigle des Asturies, 6+6 b
Dont le vol menaçaitses blanches bergeries ; 6+6 b
Hérissé, l'oiseau partet fait pleuvoir le sang, 6+6 a
650 Monte aussi vite au cielque l'éclair en descend, 6+6 a
Regarde son Soleil,d'un bec ouvert l'aspire, 6+6 b
Croit reprendre la vieau flamboyant empire ; 6+6 b
Dans un fluide d'oril nage puissamment, 6+6 a
Et parmi les rayonsse balance un moment ; 6+6 a
655 Mais l'homme l'a frappéd'une atteinte trop sûre ; 6+6 b
Il sent le plomb chasseurfondre dans sa blessure ; 6+6 b
Son aile se dépouille,et son royal manteau 6+6 a
Vole comme un duvetqu'arrache le couteau. 6+6 a
Dépossédé des airs,son poids le précipite ; 6+6 b
660 Dans la neige du montil s'enfonce et palpite, 6+6 b
Et la glace terrestrea d'un pesant sommeil 6+6 a
Fermé cet œil puissantrespecté du Soleil. 6+6 a
Tel, retrouvant ses mauxau fond de sa mémoire, 6+6 b
L'Ange maudit penchasa chevelure noire, 6+6 b
665 Et se dit, pénétréd'un chagrin infernal : 6+6 a
« Triste amour du péché !sombres désirs du mal ! 6+6 a
De l'orgueil, du savoirgigantesques pensées ! 6+6 b
Comment ai-je connuvos ardeurs insensées ? 6+6 b
Maudit soit le moment j'ai mesuré Dieu ! 6+6 a
670 Simplicité du cœur,à qui j'ai dit adieu ! 6+6 a
Je tremble devant toi,mais pourtant je t'adore ; 6+6 b
Je suis moins criminelpuisque je t'aime encore ; 6+6 b
Mais dans mon sein flétritu ne reviendras pas ! 6+6 a
Loin de ce que j'étais,quoi ! j'ai fait tant de pas ! 6+6 a
675 Et de moi-même à moisi grande est la distance, 6+6 b
Que je ne comprends plusce que dit l'innocence ; 6+6 b
Je souffre, et mon esprit,par le mal abattu, 6+6 a
Ne peut plus remonterjusqu'à tant de vertu. 6+6 a
――――――
« Qu'êtes-vous devenus,jours de paix, jours célestes ? 6+6 b
680 Quand j'allais, le premierde ces Anges modestes, 6+6 b
Prier à deux genouxdevant l'antique loi, 6+6 a
Et ne pensais jamaisau delà de la foi ? 6+6 a
L'éternité pour mois'ouvrait comme une fête ; 6+6 b
Et, des fleurs dans mes mains,des rayons sur ma tête, 6+6 b
685 Je souriais, j'étais…J'aurais peut-être aimé ! » 6+6 a
Le Tentateur lui-mêmeétait presque charmé ; 6+6 a
Il avait oubliéson art et sa victime, 6+6 b
Et son cœur un momentse reposa du crime. 6+6 b
Il répétait tout bas,et le front dans ses mains : 6+6 a
690 « Si je vous connaissais,ô larmes des humains ! » 6+6 a
――――――
Ah ! si dans ce momentla Vierge t pu l'entendre, 6+6 b
Si la céleste mainqu'elle t osé lui tendre 6+6 b
L't saisi repentant,docile à remonter 6+6 a
Qui sait ? le mal peut-êtret cessé d'exister. 6+6 a
695 Mais, sitôt qu'elle vitsur sa tête pensive 6+6 b
De l'Enfer déceléla douleur convulsive, 6+6 b
Étonnée et tremblante,elle éleva ses yeux ; 6+6 a
Plus forte, elle parutse souvenir des Cieux, 6+6 a
Et souleva deux foisses ailes argentées, 6+6 b
700 Entr'ouvrant pour gémirses lèvres enchantées, 6+6 b
Ainsi qu'un jeune enfant,s'attachant aux roseaux, 6+6 a
Tente de faibles crisétouffés sous les eaux. 6+6 a
Il la vit prête à fuirvers les Cieux de lumière. 6+6 b
Comme un tigre éveillébondit dans la poussière, 6+6 b
705 Aussitôt en lui-même,et plus fort désormais, 6+6 a
Retrouvant cet espritqui ne fléchit jamais, 6+6 a
Ce noir esprit du malqu'irrite l'innocence, 6+6 b
Il rougit d'avoir pudouter de sa puissance, 6+6 b
Il rétablit la paixsur son front radieux, 6+6 a
710 Rallume tout à coupl'audace de ses yeux, 6+6 a
Et longtemps en silenceil regarde et contemple 6+6 b
La victime du Cielqu'il destine à son temple ; 6+6 b
Comme pour lui montrerqu'elle résiste en vain, 6+6 a
Et s'endurcir lui-mêmeà ce regard divin. 6+6 a
715 Sans amours, sans remords,au fond d'un cœur de glace, 6+6 b
Des coups qu'il va porteril médite la place, 6+6 b
Et, pareil au guerrierqui, tranquille à dessein, 6+6 a
Dans les défauts du fercherche à frapper le sein, 6+6 a
Il compose ses traitssur les désirs de l'ange ; 6+6 b
720 Son air, sa voix, son gesteet son maintien, tout change 6+6 b
Sans venir de son cœur,des pleurs fallacieux 6+6 a
Paraissent tout à coupsur le bord de ses yeux. 6+6 a
La vierge dans le Cieln'avait pas vu de larmes, 6+6 b
Et s'arrête ; un soupiraugmente ses alarmes. 6+6 b
725 Il pleure amèrementcomme un homme exilé, 6+6 a
Comme une veuve auprèsde son fils immolé ; 6+6 a
Ses cheveux dénouéssont épars ; rien n'arrête 6+6 b
Les sanglots de son seinqui soulèvent sa tête. 6+6 b
Éloa vient et pleure ;ils se parlent ainsi : 6+6 a
――――――
730 « Que vous ai-je donc fait ?Qu'avez-vous ? Me voici. 6+6 a
― Tu cherches à me fuir,et pour toujours peut-être. 6+6 b
Combien tu me punisde m'être fait conntre ! 6+6 b
― J'aimerais mieux rester ;mais le Seigneur m'attend. 6+6 a
Je veux parler pour vous,souvent il nous entend. 6+6 a
735 Il ne peut rien sur moi,jamais mon sort ne change, 6+6 b
Et toi seule es le Dieuqui peut sauver un Ange. 6+6 b
― Que puis-je faire ? Hélas !dites, faut-il rester ? 6+6 a
― Oui, descends jusqu'à moi,car je ne puis monter. 6+6 a
― Mais quel don voulez-vous ?― Le plus beau, c'est nous-mêmes. 6+6 b
740 Viens ! ― M'exiler du Ciel ?― Qu'importe, si tu m'aimes ? 6+6 b
Touche ma main. Bientôtdans un mépris égal 6+6 a
Se confondront pour nouset le bien et le mal. 6+6 a
Tu n'as jamais comprisce qu'on trouve de charmes 6+6 b
A présenter son seinpour y cacher des larmes. 6+6 b
745 Viens, il est un bonheurque moi seul t'apprendrai ; 6+6 a
Tu m'ouvriras ton âme,et je l'y répandrai. 6+6 a
Comme l'aube et la luneau couchant reposée 6+6 b
Confondent leurs rayons,ou comme la rosée 6+6 b
Dans une perle seuleunit deux de ses pleurs 6+6 a
750 Pour s'empreindre du baumeexhalé par les fleurs, 6+6 a
Comme un double flambeauréunit ses deux flammes, 6+6 b
Non moins étroitementnous unirons nos âmes. 6+6 b
― Je t'aime et je descends.Mais que diront les Cieux ? » 6+6 a
――――――
En ce moment passadans l'air, loin de leurs yeux, 6+6 a
755 Un des célestes chœurs,, parmi les louanges, 6+6 b
On entendit ces motsque répétaient des Anges : 6+6 b
« Gloire dans l'Univers,dans les Temps, à celui 6+6 a
Qui s'immole à jamaispour le salut d'autrui. » 6+6 a
Les Cieux semblaient parler.C'en était trop pour elle. 6+6 b
――――――
760 Deux fois encor levantsa paupière infidèle, 6+6 b
Promenant des regardsencore irrésolus, 6+6 a
Elle chercha ses Cieuxqu'elle ne voyait plus. 6+6 a
――――――
Des Anges au Chaosallaient puiser des mondes. 6+6 b
Passant avec terreurdans ses plaines profondes, 6+6 b
765 Tandis qu'ils remplissaientles messages de Dieu, 6+6 a
Ils ont tous vu tomberun nuage de feu. 6+6 a
Des plaintes de douleur,des réponses cruelles, 6+6 b
Se mêlaient dans la flammeau battement des ailes. 6+6 b
――――――
« me conduisez-vous,bel Ange ? ― Viens toujours. 6+6 a
770 ― Que votre voix est triste,et quel sombre discours ! 6+6 a
N'est-ce pas Éloaqui soulève ta chne ? 6+6 b
J'ai cru t'avoir sauvé.― Non, c'est moi qui t'entrne. 6+6 b
― Si nous sommes unis,peu m'importe en quel lieu ! 6+6 a
Nomme-moi donc encoreou ta sœur ou ton Dieu ! 6+6 a
775 ― J'enlève mon esclaveet je tiens ma victime. 6+6 b
― Tu paraissais si bon !Oh ! qu'ai-je fait ? ― Un crime. 6+6 b
― Seras-tu plus heureux ?du moins es-tu content ? 6+6 a
― Plus triste que jamais.― Qui donc es-tu ? ― Satan. » 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
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