Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
VIG_1/VIG22
Alfred de VIGNY
POÈMES ANTIQUES ET MODERNES
1826
LES DESTINÉES
ŒUVRES POSTHUMES
POÈMES PHILOSOPHIQUES
Les Destinées
Depuis le premier jour de la création, 6+6 a
Les pieds lourds et puissants de chaque Destie 6+6 b
Pesaient sur chaque tête et sur toute action. 6+6 a
Chaque front se courbait et traçait sa journée, 6+6 b
5 Comme le front d'un bœuf creuse un sillon profond 6+6 c
Sans dépasser la pierre où sa ligne est bornée. 6+6 b
Ces froides déités liaient le joug de plomb 6+6 c
Sur le crâne et les yeux des hommes leurs esclaves, 6+6 a
Tous errants, sans étoile, en un désert sans fond ; 6+6 c
10 Levant avec effort leurs pieds chargés d'entraves, 6+6 a
Suivant le doigt d'airain dans le cercle fatal, 6+6 b
Le doigt des Volontés inflexibles et graves. 6+6 a
Tristes divinités du monde oriental, 6+6 b
Femmes au voile blanc, immuables statues, 6+6 c
15 Elles nous écrasaient de leur poids colossal. 6+6 b
Comme un vol de vautours sur le sol abattues, 6+6 c
Dans un ordre éternel, toujours en nombre égal 6+6 a
Aux têtes des mortels sur la terre épandues, 6+6 c
Elles avaient po leur ongle sans pitié 6+6 a
20 Sur les cheveux dressés des races éperdues, 6+6 b
Trnant la femme en pleurs et l'homme humilié. 6+6 a
Un soir, il arriva que l'antique planète 6+6 b
Secoua sa poussière.Il se fit un grand cri : 6+6 c
« Le Sauveur est venu, voici le jeune athlète ; » 6+6 b
25 « Il a le front sanglant et le côté meurtri, 6+6 c
Mais la Fatali meurt au pied du Prophète ; 6+6 a
La Croix monte et s'étend sur nous comme un abri ! » 6+6 c
Avant l'heure où, jadis, ces choses arrivèrent, 6+6 a
Tout homme était courbé, le front pâle et flétri ; 6+6 b
30 Quand ce cri fut jeté, tous ils se relevèrent. 6+6 a
Détachant les nœuds lourds du joug de plomb du Sort, 6+6 b
Toutes les nations à la fois s'écrièrent : 6+6 c
« Ô Seigneur ! est-il vrai ? le Destin est-il mort ? » 6+6 b
Et l'on vit remonter vers le ciel, par voes, 6+6 c
35 Les filles du Destin, ouvrant avec effort 6+6 a
Leurs ongles qui pressaient nos races désoes ; 6+6 c
Sous leur robe aux longs plis voilant leurs pieds d'airain, 6+6 a
Leur main inexorable et leur face inflexible ; 6+6 b
Montant avec lenteur en innombrable essaim, 6+6 a
40 D'un vol inaperçu, sans ailes, insensible, 6+6 b
Comme apparaît au soir, vers l'horizon lointain, 6+6 c
D'un nuage orageux l'ascension paisible. 6+6 b
Un soupir de bonheur sortit du cœur humain ; 6+6 c
La terre frissonna dans son orbite immense, 6+6 a
45 Comme un cheval frémit délivré de son frein. 6+6 c
Tous les astres émus restèrent en silence, 6+6 a
Attendant avec l'Homme, en la même stupeur, 6+6 b
Le suprême décret de la Toute-Puissance, 6+6 a
Quand ces filles du Ciel, retournant au Seigneur, 6+6 b
50 Comme ayant retrou leurs régions natales, 6+6 c
Autour de Jéhovah se rangèrent en chœur, 6+6 b
D'un mouvement pareil levant leurs mains fatales, 6+6 c
Puis chantant d'une voix leur hymne de douleur, 6+6 a
Et baissant à la fois leurs fronts calmes et pâles : 6+6 c
55 « Nous venons demander la Loi de l'avenir. 6+6 a
Nous sommes, ô Seigneur, les froides Desties 6+6 b
Dont l'antique pouvoir ne devait point faillir. » 6+6 a
« Nous roulions sous nos doigts les jours et les années : 6+6 b
Devons-nous vivre encore ou devons-nous finir, 6+6 c
60 Des Puissances du ciel, nous, les fortes es ? 6+6 b
« Vous détruisez d'un coup le grand piège du Sort 6+6 c
Où tombaient tour à tour les races consternées. 6+6 a
Faut-il combler la fosse et briser le ressort ? 6+6 c
« Ne mènerons-nous plus ce troupeau faible et morne, 6+6 a
65 Ces hommes d'un moment, ces condamnés à mort, 6+6 b
Jusqu'au bout du chemin dont nous posions la borne ? 6+6 a
« Le moule de la vie était creusé par nous. 6+6 b
Toutes les passions y répandaient leur lave, 6+6 c
Et les événements venaient s'y fondre tous. 6+6 b
70 « Sur les tables d'airain où notre loi se grave, 6+6 c
Vous effacez le nom de la FATALITÉ, 6+6 a
Vous déliez les pieds de l'homme notre esclave. 6+6 c
« Qui va porter le poids dont s'est épouvan 6+6 a
Tout ce qui fut créé ? ce poids sur la pene, 6+6 b
75 Dont le nom est en bas : RESPONSABILITÉ ? » 6+6 a
Il se fit un silence, et la terre affaissée 6+6 b
S'arrêta comme fait la barque sans rameurs 6+6 c
Sur les flots orageux, dans la nuit balane. 6+6 b
Une voix descendit, venant de ces hauteurs 6+6 c
80 Où s'engendrent, sans fin, les mondes dans l'espace ; 6+6 a
Cette voix de la terre emplit les profondeurs : 6+6 c
« Retournez en mon nom. Reines, je suis la Grâce. 6+6 a
L'homme sera toujours un nageur incertain 6+6 b
Dans les ondes du temps qui se mesure et passe. 6+6 a
85 « Vous toucherez son front, ô filles du Destin ! 6+6 b
Son bras ouvrira l'eau, qu'elle soit haute ou basse, 6+6 c
Voulant trouver sa place et deviner sa fin. 6+6 b
« Il sera plus heureux, se croyant maître et libre, 6+6 c
En luttant contre vous dans un combat mauvais 6+6 a
90 Où moi seule, d'en haut, je tiendrai l'équilibre. 6+6 c
« De moi ntra son souffle et sa force à jamais. 6+6 a
Son mérite est le mien, sa loi perpétuelle : 6+6 b
Faire ce que je veux pour venir OÙ JE SAIS. » 6+6 a
――――――
Et le chœur descendit vers sa proie éternelle 6+6 b
95 Afin d'y ressaisir sa domination 6+6 c
Sur la race timide, incomplète et rebelle. 6+6 b
On entendit venir la sombre Légion 6+6 c
Et retomber les pieds des femmes inflexibles, 6+6 a
Comme sur nos caveaux tombe un cercueil de plomb. 6+6 c
100 Chacune prit chaque homme en ses mains invisibles ; 6+6 a
Mais, plus forte à présent dans ce sombre duel, 6+6 b
Notre âme en deuil combat ces Esprits impassibles. 6+6 a
Nous soulevons parfois leur doigt faux et cruel. 6+6 b
La volonté transporte à des hauteurs sublimes 6+6 c
105 Notre front éclai par un rayon du ciel. 6+6 b
Cependant sur nos caps, sur nos rocs, sur nos cimes, 6+6 c
Leur doigt rude et fatal se pose devant nous, 6+6 a
Et, d'un coup, nous renverse au fond des noirs abîmes. 6+6 c
Oh ! dans quel désespoir nous sommes encor tous ! 6+6 a
110 Vous avez élargi le COLLIER qui nous lie, 6+6 b
Mais qui donc tient la chaîne ? — Ah ! Dieu Juste, est-ce vous ? 6+6 a
Arbitre libre et fier des actes de sa vie, 6+6 b
Si notre cœur s'entr'ouvre au parfum des vertus, 6+6 c
S'il s'embrase à l'amour, s'il s'élève au génie, 6+6 b
115 Que l'ombre des Destins, Seigneur, n'oppose plus 6+6 c
A nos belles ardeurs une immuable entrave, 6+6 a
A nos efforts sans fin des coups inattendus ! 6+6 c
Ô sujet d'épouvante à troubler le plus brave ! 6+6 a
Question sans réponse où vos saints se sont tus ! 6+6 b
120 Ô mystère ! ô tourment de l'âme forte et grave ! 6+6 a
Notre mot éternel est-il : C'ÉTAIT ÉCRIT ? 6+6 b
— SUR LE LIVRE DE DIEU, dit l'Orient esclave ; 6+6 a
Et l'Occident répond : SUR LE LIVRE DU CHRIST. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
logo du CRISCO logo de l'université