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| = césure
VIG_1/VIG1
Alfred de VIGNY
POÈMES ANTIQUES ET MODERNES
1826
LIVRE MYSTIQUE
Moïse
Poème
Le soleil prolongeait sur la cime des tentes 6+6 a
Ces obliques rayons, ces flammes éclatantes, 6+6 a
Ces larges traces d'or qu'il laisse dans les airs, 6+6 b
Lorsqu'en un lit de sable il se couche aux déserts. 6+6 b
5 La pourpre et l'or semblaient revêtir la campagne. 6+6 a
Du stérile Nébo gravissant la montagne, 6+6 a
Moïse, homme de Dieu, s'arrête, et, sans orgueil, 6+6 b
Sur le vaste horizon promène un long coup d'œil. 6+6 b
Il voit d'abord Phasga, que des figuiers entourent ; 6+6 a
10 Puis, au-delà des monts que ses regards parcourent, 6+6 a
S'étend tout Galaad, Éphraïm, Manassé, 6+6 b
Dont le pays fertile à sa droite est placé ; 6+6 b
Vers le Midi, Juda, grand et stérile, étale 6+6 a
Ses sables où s'endort la mer occidentale ; 6+6 a
15 Plus loin, dans un vallon que le soir a pâli, 6+6 b
Couronné d'oliviers, se montre Nephtali ; 6+6 b
Dans des plaines de fleurs magnifiques et calmes, 6+6 a
Jéricho s'aperçoit : c'est la ville des palmes ; 6+6 a
Et, prolongeant ses bois, des plaines de Phogor, 6+6 b
20 Le lentisque touffu s'étend jusqu'à Ségor. 6+6 b
Il voit tout Chanaan, et la terre promise, 6+6 a
Où sa tombe, il le sait, ne sera point admise. 6+6 a
Il voit, sur les Hébreux étend sa grande main, 6+6 b
Puis vers le haut du mont il reprend son chemin. 6+6 b
――――――
25 Or, des champs de Moab couvrant la vaste enceinte, 6+6 a
Pressés au large pied de la montagne sainte, 6+6 a
Les enfants d'Israël s'agitaient au vallon 6+6 b
Comme les blés épais qu'agite l'aquilon. 6+6 b
Dès l'heure où la rosée humecte l'or des sables 6+6 a
30 Et balance sa perle au sommet des érables, 6+6 a
Prophète centenaire environné d'honneur, 6+6 b
Moïse était parti pour trouver le Seigneur. 6+6 b
On le suivait des yeux aux flammes de sa tête, 6+6 a
Et, lorsque du grand mont il atteignit le faîte, 6+6 a
35 Lorsque son front perça le nuage de Dieu 6+6 b
Qui couronnait d'éclairs la cime du haut lieu, 6+6 b
L'encens brûla partout sur les autels de pierre. 6+6 a
Et six cent mille Hébreux, courbés dans la poussière, 6+6 a
À l'ombre du parfum par le soleil doré, 6+6 b
40 Chantèrent d'une voix le cantique sacré ; 6+6 b
Et les fils de Lévi s'élevant sur la foule, 6+6 a
Tels qu'un bois de cyprès sur le sable qui roule, 6+6 a
Du peuple avec la harpe accompagnant les voix, 6+6 b
Dirigeaient vers le ciel l'hymne du Roi des rois. 6+6 b
――――――
45 Et, debout devant Dieu, Moïse ayant pris place, 6+6 a
Dans le nuage obscur lui parlait face à face. 6+6 a
Il disait au Seigneur : « Ne finirai-je pas ? 6+6 b
Où voulez-vous encor que je porte mes pas ? 6+6 b
Je vivrai donc toujours puissant et solitaire ? 6+6 a
50 Laissez-moi m'endormir du sommeil de la terre. ― 6+6 a
Que vous ai-je donc fait pour être votre élu ? 6+6 b
J'ai conduit votre peuple où vous avez voulu. 6+6 b
Voilà que son pied touche à la terre promise. 6+6 a
De vous à lui qu'un autre accepte l'entremise, 6+6 a
55 Au coursier d'Israël qu'il attache le frein ; 6+6 b
Je lui lègue mon livre et la verge d'airain. 6+6 b
« Pourquoi vous fallut-il tarir mes espérances, 6+6 a
Ne pas me laisser homme avec mes ignorances, 6+6 a
Puisque du mont Horeb jusques au mont Nébo 6+6 b
60 Je n'ai pas pu trouver le lieu de mon tombeau ? 6+6 b
Hélas ! vous m'avez fait sage parmi les sages ! 6+6 a
Mon doigt du peuple errant a guidé les passages. 6+6 a
J'ai fait pleuvoir le feu sur la tête des rois ; 6+6 b
L'avenir à genoux adorera mes lois ; 6+6 b
65 Des tombes des humains j'ouvre la plus antique, 6+6 a
La mort trouve à ma voix une voix prophétique, 6+6 a
Je suis très grand, mes pieds sont sur les nations, 6+6 b
Ma main fait et défait les générations. ― 6+6 b
Hélas ! je suis, Seigneur, puissant et solitaire, 6+6 a
70 Laissez-moi m'endormir du sommeil de la terre ! 6+6 a
――――――
« Hélas ! je sais aussi tous les secrets des cieux, 6+6 b
Et vous m'avez prêté la force de vos yeux. 6+6 b
Je commande à la nuit de déchirer ses voiles ; 6+6 a
Ma bouche par leur nom a compté les étoiles, 6+6 a
75 Et, dès qu'au firmament mon geste l'appela, 6+6 b
Chacune s'est hâtée en disant : « Me voilà. » 6+6 b
J'impose mes deux mains sur le front des nuages 6+6 a
Pour tarir, dans leurs flancs la source des orages ; 6+6 a
J'engloutis les cités sous les sables mouvants ; 6+6 b
80 Je renverse les monts, sous les ailes des vents ; 6+6 b
Mon pied infatigable est plus fort que l'espace ; 6+6 a
Le fleuve aux grandes eaux se range quand je passe, 6+6 a
Et la voix de la mer se tait devant ma voix. 6+6 b
Lorsque mon peuple souffre, ou qu'il lui faut des lois, 6+6 b
85 J'élève mes regards, votre esprit me visite ; 6+6 a
La terre alors chancelle et le soleil hésite, 6+6 a
Vos anges sont jaloux et m'admirent entre eux. ― 6+6 b
Et cependant, Seigneur, je ne suis pas heureux ; 6+6 b
Vous m'avez fait vieillir puissant et solitaire, 6+6 a
90 Laissez-moi m'endormir du sommeil de la terre ! 6+6 a
――――――
« Sitôt que votre souffle a rempli le berger, 6+6 b
Les hommes se sont dit : « Il nous est étranger » ; 6+6 b
Et les yeux se baissaient devant mes yeux de flamme, 6+6 a
Car ils venaient, hélas ! d'y voir plus que mon âme. 6+6 a
95 J'ai vu l'amour s'éteindre et l'amitié tarir ; 6+6 b
Les vierges se voilaient et craignaient de mourir. 6+6 b
M'enveloppant alors de la colonne noire, 6+6 a
J'ai marché devant tous, triste et seul dans ma gloire, 6+6 a
Et j'ai dit dans mon cœur : « Que vouloir à présent ? » 6+6 b
100 Pour dormir sur un sein mon front est trop pesant, 6+6 b
Ma main laisse l'effroi sur la main qu'elle touche, 6+6 a
L'orage est dans ma voix, l'éclair est sur ma bouche ; 6+6 a
Aussi, loin de m'aimer, voilà qu'ils tremblent tous, 6+6 b
Et, quand j'ouvre les bras, on tombe à mes genoux. 6+6 b
105 Ô Seigneur ! j'ai vécu puissant et solitaire, 6+6 a
Laissez-moi m'endormir du sommeil de la terre ! » 6+6 a
――――――
Or, le peuple attendait, et, craignant son courroux, 6+6 b
Priait sans regarder le mont du Dieu jaloux ; 6+6 b
Car s'il levait les yeux, les flancs noirs du nuage 6+6 a
110 Roulaient et redoublaient les foudres de l'orage, 6+6 a
Et le feu des éclairs, aveuglant les regards, 6+6 b
Enchaînait tous les fronts courbés de toutes parts. 6+6 b
Bientôt le haut du mont reparut sans Moïse. 6+6 a
Il fut pleuré. Marchant vers la terre promise, 6+6 a
115 Josué s'avançait pensif, et pâlissant, 6+6 b
Car il était déjà l'élu du Tout-Puissant. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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