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VIG_1/VIG15
Alfred de VIGNY
POÈMES ANTIQUES ET MODERNES
1826
LIVRE MODERNE
La Neige
Poème
I
QU'IL est doux, qu'il est doux d'écouter des histoires, 6+6 a
Des histoires du temps passé, 8 b
Quand les branches d'arbre sont noires, 8 a
Quand la neige est épaisse, et charge un sol glacé ! 6+6 b
5 Quand seul dans un ciel pâle un peuplier s'élance, 6+6 a
Quand sous le manteau blanc qui vient de le cacher 6+6 b
L'immobile corbeau sur l'arbre se balance, 6+6 a
Comme la girouette au bout du long clocher ! 6+6 b
Ils sont petits et seuls, ces deux pieds dans la neige. 6+6 a
10 Derrière les vitraux dont l'azur le protège, 6+6 a
Le roi pourtant regarde et voudrait ne pas voir, 6+6 b
Car il craint sa colère et surtout son pouvoir. 6+6 b
De cheveux longs et gris son front brun s'environne, 6+6 a
Et porte en se ridant le fer de la couronne ; 6+6 a
15 Sur l'habit dont la pourpre a peint l'ample velours, 6+6 b
L'empereur a jeté la lourde peau d'un ours. 6+6 b
Avidement courbé, sur le sombre vitrage 6+6 a
Ses soupirs inquiets impriment un nuage. 6+6 a
Contre un marbre frappé d'un pied appesanti, 6+6 b
20 La sandale romaine a vingt fois retenti. 6+6 b
Est-ce vous, blanche Emma, princesse de la Gaule ? 6+6 a
Quel amoureux fardeau pèse à sa jeune épaule ? 6+6 a
C'est le page Éginard, qu'à ses genoux le jour 6+6 b
Surprit, ne dormant pas, dans la secrète tour. 6+6 b
25 Doucement son bras droit étreint un cou d'ivoire, 6+6 a
Doucement son baiser suit une tresse noire, 6+6 a
Et la joue inclinée, et ce dos où les lis 6+6 b
De l'hermine entourés sont plus blancs que ses plis. 6+6 b
Il retient dans son cœur une craintive haleine, 6+6 a
30 Et de sa dame ainsi pense alléger la peine, 6+6 a
Et gémit de son poids, et plaint ses faibles pieds 6+6 b
Qui, dans ses mains, ce soir ; dormiront essuyés ; 6+6 b
Lorsqu'arrêtée Emma vante sa marche sûre, 6+6 a
Lève un front caressant, sourit et le rassure, 6+6 a
35 D'un baiser mutuel implore le secours, 6+6 b
Puis repart chancelante et traverse les cours. 6+6 b
Mais les voix des soldats résonnent sons les voûtes, 6+6 a
Les hommes d'armes noirs en ont fermé les routes ; 6+6 a
Éginard, échappant à ses jeunes liens, 6+6 b
40 Descend des bras d'Emma, qui tombe dans les siens. 6+6 b
II
Un grand trône ombragé des drapeaux d'Allemagne 6+6 a
De son dossier de pourpre entoure Charlemagne. 6+6 a
Les douze pairs, debout sur ses larges degrés, 6+6 b
Y font luire l'orgueil des lourds manteaux dorés. 6+6 b
45 Tous posent un bras fort sur une longue épée, 6+6 a
Dans le sang des Saxons neuf fois par eux trempée ; 6+6 a
Par trois vives couleurs se peint sur leurs écus 6+6 b
La gothique devise autour des rois vaincus. 6+6 b
Sous les triples piliers des colonnes moresques, 6+6 a
50 En cercle sont placés des soldats gigantesques, 6+6 a
Dont le casque fermé, chargé de cimiers blancs, 6+6 b
Laisse à peine entrevoir les yeux étincelants. 6+6 b
Tous deux joignant les mains, à genoux sur la pierre, 6+6 a
L'un pour l'autre en leur cœur cherchant une prière, 6+6 a
55 Les beaux enfants tremblaient, en abaissant leur front, 6+6 b
Tantôt pâle de crainte ou rouge de l'affront. 6+6 b
D'un silence glacé régnait la paix profonde. 6+6 a
Bénissant en secret sa chevelure blonde, 6+6 a
Avec un lent effort, sous ce voile, Éginard 6+6 b
60 Tente vers sa maîtresse un timide regard. 6+6 b
Sous l'abri de ses mains Emma cache sa tête, 6+6 a
Et, pleurant, elle attend l'orage qui s'apprête : 6+6 a
Comme on se tait encore, elle donne à ses yeux 6+6 b
A travers ses beaux doigts un jour audacieux. 6+6 b
65 L'empereur souriait en versant une larme, 6+6 a
Qui donnait à ses traits un ineffable charme ; 6+6 a
Il appela Turpin, l'évêque du palais, 6+6 b
Et d'une voix très douce il dit : « Bénissez-les. » 6+6 b
Qu'il est doux, qu'il est doux d'écouter des histoires, 6+6 a
70 Des histoires du temps passé, 8 b
Quand les branches d'arbre sont noires, 8 a
Quand la neige est épaisse et charge un sol glacé ! 6+6 b
mètre profils métriques : 8, 6+6
forme globale type : suite de strophes
schéma : 3(abab) 15(aabb)
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