Métrique en Ligne
VIC_1/VIC8
Gabriel VICAIRE
L’Heure enchantée
1890
Marie-Madeleine
I
Madeleine était blonde 6 a
Comme un champ de froment 6 b
Et jamais rien au monde 6 a
Ne fut aussi charmant. 6 b
5 Madeleine était fraîche 6 a
Comme une rose en pleurs 6 b
Et d’une belle pêche 6 a
Elle avait les couleurs. 6 b
Avec son auréole 6 a
10 De longs cheveux dorés, 6 b
Madeleine était folle 6 a
Comme l’herbe des prés. 6 b
Quand elle allait, bergère, 6 a
Filant son blanc fuseau, 6 b
15 Son âme était légère 6 a
Comme un petit oiseau 6 b
Et sa voix si touchante, 6 a
Sous le ciel enchanté, 6 b
Que l’amandier qui chante 6 a
20 Pâlissait à côté. 6 b
Or, près d’une fontaine, 6 a
Le soir d’un beau lundi, 6 b
Un jeune capitaine, 6 a
En passant, l’entendit. 6 b
25 — « Qu’avez-vous, bergerette, 6 a
À chanter si gaiement ? » 6 b
— « Seigneur, une fleurette 6 a
S’entr’ouvre en ce moment. 6 b
« C’est la fleur qui commande 6 a
30 Aux gens de s’embrasser ; 6 b
C’est la fleur de la lande 6 a
Où vous allez passer. » 6 b
Et lui, répond : – « Mignonne, 6 a
Je suis le fils du roi. 6 b
35 Le printemps qui fleuronne 6 a
Est moins épris que moi. 6 b
« Écoute ma promesse 6 a
Et donne-moi la main ; 6 b
Le prêtre, à la grand’messe, 6 a
40 Nous mariera demain ! » 6 b
La fontaine était blanche 6 a
Et rose tour à tour ; 6 b
Sur la plus haute branche, 6 a
Le rossignol d’amour, 6 b
45 Le rossignol sauvage 6 a
Disait l’enchantement 6 b
De vivre en esclavage 6 a
Aux pieds de son amant. 6 b
— Petite Madeleine, 6 a
50 Que mon cœur est joyeux ! 6 b
J’ai vu la marjolaine 6 a
Qui fleurit dans tes yeux. 6 b
— « Combien je suis heureuse, 6 a
Mon chevalier si doux ! 6 b
55 Voici votre amoureuse 6 a
Qui s’abandonne à vous. 6 b
Un mot, pour se connaître, 6 a
Suffit bien à vingt ans. 6 b
Quant à quérir le prêtre, 6 a
60 Ils n’ont pas eu le temps. 6 b
Sans remords et sans crainte 6 a
Ils se sont caressés. 6 b
Une autre, une autre étreinte. 6 a
Jamais ce n’est assez. 6 b
65 Et sentant même flamme 6 a
Prête a les consumer, 6 b
Ils ont perdu leur âme 6 a
À force de s’aimer. 6 b
II
Hélas ! Le mois joli, le mois des amourettes, 6+6 a
70 Qui s’habille de rose et de vert et de bleu, 6+6 b
S’en va, tout comme un autre, à la grâce de Dieu, 6+6 b
Dans son tablier court emportant ses fleurettes. 6+6 a
Le chant du rossignol ne vibre qu’un instant, 6+6 c
Le feu qui nous brûlait n’est fait que de brindilles 6+6 d
75 Et la gaieté meurt vite au cœur des belles filles 6+6 d
Quand elles ont perdu ce qu’elles aimaient tant. 6+6 c
Pauvre Madeleine, 5 a
Pauvre cœur en peine ! 5 a
Qu’est devenu l’enfant aux boucles emmêlées 6+6 a
80 Qui chaque nuit baisait ses yeux avec douceur ? 6+6 b
Où donc est le Seigneur des bois, le beau chasseur 6+6 b
Dont l’appel s’entendait par delà les vallées ? 6+6 a
Comme il apparaissait, superbe, à l’horizon ! 6+6 c
Qu’il était doux ! Comme il jurait d’être fidèle ! 6−6 d
85 — « Ne le verrai-je plus ? — « Demande à l’hirondelle 6+6 d
Quand elle reviendra nicher dans ta maison. » 6+6 c
Pauvre Madeleine, 5 a
Pauvre cœur en peine ! 5 a
Elle à qui le soleil d’avril portait envie, 6+6 a
90 De la nuit à l’aurore elle est par les chemins. 6+6 b
Ses cheveux dénoués, tordant ses blanches mains, 6+6 b
Elle crie au passant : — « Qu’as-tu fait de ma vie ? 6+6 a
As-tu vu chevaucher le fier adolescent, 6+6 c
Qui charme d’un regard les oiseaux de la nue ? 6+6 d
95 Mon âme est avec lui. L’as-tu pas reconnue ? » 6+6 d
Et pas un n’a pour elle un mot compatissant. 6+6 c
Pauvre Madeleine, 5 a
Pauvre cœur en peine ! 5 a
Le prêtre fait la moue et le chantre ricane : 6+6 a
100 — « Ainsi nos rendez-vous dans le bois ont cessé. 6+6 b
Montre donc, mon bijou, l’anneau du fiancé. » 6+6 b
Les vieilles, se signant, murmurent : « Courtisane ! » 6+6 a
Elle, pourtant, se dit : « Qui sait, beau romarin, 6+6 c
Quand ton souffle à nouveau glissera sur ma joue ? » 6+6 d
105 Et les enfants du bourg lui jettent de la boue 6+6 d
Et son cœur est gonflé de honte et de chagrin. 6+6 c
Pauvre Madeleine, 5 a
Pauvre cœur en peine ! 5 a
Elle dit : — « Mon trésor, ton haleine est plus douce 6+6 a
110 Que le parfum lointain qui vient des orangers. 6+6 b
Tes yeux sont le feu clair qu’allument les bergers, 6+6 b
Ta bouche est une rose éclose dans la mousse. » 6+6 a
Elle dit : — « Mon Seigneur, laisse-moi t’implorer. 6+6 c
Tu m’aimais tant jadis ! Écoute mes prières. » 6+6 d
115 On la montre du doigt, on lui jette des pierres ; 6+6 d
Elle n’a même pas la force de pleurer 6+6 c
Pauvre Madeleine, 5 a
Pauvre cœur en peine ! 5 a
Et voici qu’un petit enfant demande à naître 6+6 a
120 Triste fruit du péché, maudit dès le berceau, 6+6 b
Maladie et douleur l’ont marqué de leur sceau. 6+6 b
Personne ne voudra seulement le connaître. 6+6 a
On ne lui dira pas : « Viens te faire embrasser. » 6+6 c
Il apporte avec lui le remords, non la joie ; 6+6 d
125 En un rêve innocent, tissé d’or et de soie, 6+6 d
Il ne verra jamais les anges le bercer. 6+6 c
Pauvre Madeleine, 5 a
Pauvre cœur en peine ! 5 a
Elle va chez les gens : — « Donnez-moi de l’ouvrage. 6+6 a
130 Que me faut-il pour vivre ? Un morceau de pain bis. 6+6 b
Je sais traire la vache et garder les brebis ; 6+6 b
Essayez, s’il le faut, ma force au labourage. » 6+6 a
Mais eux : — « Te crois-tu donc au milieu des païens ! 6+6 c
Va-t’en, fille de peu, va trouver tes pareilles. 6+6 d
135 Le frelon ne doit pas entrer chez les abeilles, 6+6 d
Le pain que nous mangeons n’est pas fait pour les chiens ! 6+6 c
Pauvre Madeleine, 5 a
Pauvre cœur en peine ! 5 a
Devant la huche vide elle s’est étendue. 6+6 a
140 Pressant contre son cœur le maigre nourrisson, 6+6 b
Elle chante et sanglote. Oh ! Dieu, quelle chanson ! 6+6 b
Et la nuit l’enveloppe. Elle se sent perdue. 6+6 a
De misère, à la fin, tout son lait s’est tari. 6+6 c
— « Ta mère n’a que toi ; reste encor, ma colombe, 6+6 d
145 Reste, » soupire-t-elle. — Et la nuit tombe, tombe. 6+6 d
L’enfant râle : il est mort avant d’avoir souri. 6+6 c
Pauvre Madeleine, 5 a
Pauvre cœur en peine ! 5 a
Comme elle revenait seule, du cimetière, 6+6 a
150 Le front échevelé comme un chardon bourru, 6+6 b
Une vieille édentée après elle a couru : 6+6 b
— « Eh ! folle ! vas-tu donc pleurer ta vie entière ? 6+6 a
Écoute un peu ; chez moi des marchands sont venus. 6+6 c
Ils cherchent, m’ont-ils dit, où fleurit la verveine. 6+6 d
155 Viens ; ce sont de beaux gars, ils ont la bourse pleine. » 6+6 d
Et la fillette a peur en voyant ses seins nus. 6+6 c
Pauvre Madeleine, 5 a
Pauvre cœur en peine ! 5 a
— « Non, laissez-moi. Mon âme à jamais s’est donnée, 6+6 a
160 Et celui qui l’avait dans ses mains n’en veut plus. 6+6 b
J’étais jolie et fraîche, alors que je lui plus ; 6+6 b
Ma couronne de myrte est maintenant fanée. » 6+6 a
— « Innocente ! Elle va refleurir avec toi. 6+6 c
Une fille un peu triste en est souvent plus belle. 6+6 d
165 Viens : nos hommes là-bas vident leur escarcelle ; 6+6 d
Le baiser d’un marchand vaut cent écus du roi. » 6+6 c
Pauvre Madeleine, 5 a
Pauvre cœur en peine ! 5 a
La rougeur au visage, elle tremble, indécise ; 6+6 a
170 Son enfance, un instant, passe devant ses yeux. 6+6 b
Elle revoit les prés en fleur, le ciel joyeux, 6+6 b
Le sentier verdoyant qui monte vers l’église : 6+6 a
On dirait qu’une voix lui parle d’amitié, 6+6 c
Une voix d’autrefois qui vient de la prairie. 6+6 d
175 Mais non : tous l’ont battue et marquée et flétrie ; 6+6 d
De son enfant malade ils n’ont pas eu pitié. 6+6 c
Pauvre Madeleine, 5 a
Pauvre cœur en peine ! 5 a
— « Eh bien, puisqu’il le faut, qu’un tourbillon m’emporte ! 6+6 a
180 J’ai souffert, j’ai prié, j’ai lutté bien longtemps. 6+6 b
Mais je suis faible, ô Dieu, je n’ai pas dix-huit ans. 6+6 b
Avec le mois de mai mon espérance est morte. 6+6 a
Adieu donc l’allégresse et les fleurs de chez nous, 6+6 c
Adieu, source où j’ai bu le feu qui me dévore. 6+6 d
185 Primevères d’amour, bluets de mon aurore, 6+6 d
Au vent de cette nuit vite éparpillez-vous ! » 6+6 c
Pauvre Madeleine, 5 a
Pauvre cœur en peine ! 5 a
III
Au déclin du jour, 5 a
190 Dans la maison rose, 5 b
Madelon repose, 5 b
Du sommeil d’amour. 5 a
On la dirait morte 5 a
En ses cheveux longs. 5 b
195 Trente violons 5 b
Chantent à la porte : 5 a
— « Holà ! Belle enfant, 5 a
Fille de bohème, 5 b
Dévoile à qui t’aime 5 b
200 Ton corps triomphant. 5 a
« Prépare la couche 5 a
Aux rideaux soyeux ; 5 b
Donne, avec tes yeux, 5 b
La fleur de ta bouche. » 5 a
205 Au refrain connu, 5 a
Madelon s’éveille. 5 b
Ah ! quelle merveille 5 b
Que ce beau corps nu ! 5 a
Ses épaules blanches 5 a
210 Sont grêles encor ; 5 b
Sa crinière d’or 5 b
Lui baigne les hanches. 5 a
Mais son front pâlit 5 a
Sous les améthystes 5 b
215 Et ses yeux sont tristes 5 b
Au fond du grand lit. 5 a
Flûtes et violes 5 a
Meurent de langueur : 5 b
— « Prépare, mon cœur, 5 b
220 Tes étreintes folles. 5 a
« Donne à ton galant 5 a
Ta bouche peureuse ; 5 b
Colombe amoureuse, 5 b
Montre ton sein blanc. 5 a
225 Madelon se mire, 5 a
Se mire en chantant : 5 b
— « Et voila pourtant 5 b
Ce teint qu’on admire ! 5 a
« Fleur de ma gaieté, 5 a
230 Jeunesse ingénue, 5 b
Qu’es-tu devenue 5 b
Dans la volupté ? 5 a
« Toujours l’éphémère 5 a
Lueur du désir, 5 b
235 Toujours du plaisir 5 b
La saveur amère ! 5 a
« Et, je le sais bien, 5 a
Ma beauté se fane. 5 b
Je suis courtisane 5 b
240 Et je n’aime rien ! » 5 a
Quelque chose pleure 5 a
Dans les instruments : 5 b
— « À tes pieds charmants 5 b
Veux-tu que je meure ? » 5 a
245 — « Ô menteuses voix, 5 a
Tristes ritournelles, 5 b
Amours éternelles 5 b
Qui durent un mois ! 5 a
« Ils chantent l’ivresse 5 a
250 De mes yeux fleuris ; 5 b
Pas un n’a compris 5 b
Mon cœur en détresse. » 5 a
Tout en soupirant 5 a
Madelon s’évente. 5 b
255 Sa folle servante 5 b
Arrive en courant : 5 a
— « Voyez donc, Madame, 5 a
Ce jeune étranger, 5 b
Beau comme un berger, 5 b
260 Doux comme une femme ! 5 a
« Il parle de Dieu, 5 a
De l’âme et du monde, 5 b
Et sa barbe est blonde 5 b
Et son manteau bleu. 5 a
265 « Chacun veut entendre 5 a
Cet adolescent ; 5 b
Quel air innocent ! 5 b
Que sa voix est tendre ! » 5 a
— « Ô passant divin, 5 a
270 Tourne un peu la tête ; 5 b
Toi, petite, apprête 5 b
Les coupes de vin. 5 a
« Bonne camériste, 5 a
Couvre ma beauté 5 b
275 D’un voile enchanté 5 b
De fine batiste, 5 a
« Et tu répandras 5 a
Ces parfums qu’on aime ; 5 b
Je veux, ce soir même, 5 b
280 Mourir en ses bras ! » 5 a
IV
C’était l’heure confuse où la lumière expire. 6+6 a
Sur les monts d’alentour, ineffablement bleus, 6+6 b
Le jour, en s’en allant, jetait ses derniers feux ; 6+6 b
C’était l’heure divine où le ramier soupire. 6+6 a
285 Dans la paix du couchant, parmi les fleurs des prés, 6+6 a
Jésus parlait. Sa voix arrivait jusqu’aux âmes ; 6+6 b
Au milieu du soleil qui les baignait de flammes 6+6 b
On voyait ruisseler ses longs cheveux dorés. 6+6 a
Tout un peuple était là. Retenant leur haleine, 6+6 a
290 Laboureurs, mendiants, bourgeois oubliaient tout. 6+6 b
Comme la nuit tombait, voici que tout à coup, 6+6 b
En ses riches atours, parut la Madeleine. 6+6 a
Son visage fardé luisait insolemment. 6+6 a
Elle portait au front la tiare étrangère ; 6+6 b
295 Ses jeunes seins pointaient, sous la robe légère. 6+6 b
Comme un fruit d’or promis aux lèvres de lamant. 6+6 a
Et mille anneaux couraient sur sa chair parfumée, 6+6 a
Pareils à des serpents qui se cherchent entre eux ; 6+6 b
Sa bouche frissonnait comme un rosier peureux. 6+6 b
300 Tout en elle disait : Je suis la Bien-Aimée. 6+6 a
Les femmes à sa vue ont frémi : — « Hors d’ici, 6+6 a
Toi qui prends nos époux au piège de tes charmes. 6+6 b
Sorcière de malheur, as-tu compté nos larmes ? 6+6 b
Oses-tu regarder le maître que voici ? » 6+6 a
305 Mais Jésus d’un regard aussitôt les fait taire. 6+6 a
Il dit l’enchantement du royaume des cieux ; 6+6 b
Sa voix est pénétrante et pure, et dans ses yeux 6+6 b
S’alanguit doucement une fleur de mystère. 6+6 a
Ah ! comme il savait bien d’un mot compatissant 6+6 a
310 Ramener l’infidèle et la brebis perdue ! 6+6 b
Quelles lampes d’amour éclairaient l’étendue ! 6+6 b
Comme le Paradis était resplendissant ! 6+6 a
On entendait au loin les cloches du dimanche ; 6+6 a
L’éternité passait en un divin tableau ; 6+6 b
315 Les agneaux du Berger paissaient au bord de l’eau 6+6 b
Et l’âme en plein azur s’envolait toute blanche. 6+6 a
Madeleine soudain s’agenouille en pleurant. 6+6 a
Tout à l’heure son front restait fier sous l’outrage ; 6+6 b
Mais cette voix céleste emporte son courage 6+6 b
320 Et c’est comme un œillet tombé dans le torrent. 6+6 a
Elle rougit, pâlit tour à tour ; elle compte 6+6 a
Les péchés dont le poids l’accable à tout jamais ! 6+6 b
« Oh ! dit-elle, maudit soit tout ce que j’aimais ! » 6+6 b
Le désir anxieux a fait place à la honte. 6+6 a
325 Elle pleure, elle pleure, et d’un geste éperdu, 6+6 a
Arrachant de son sein le velours et la soie, 6+6 b
Elle dépouille tout de la fille de joie ; 6+6 b
Comme un vase trop plein son cœur s’est répandu : 6+6 a
— « Mon âme qui dormait, Seigneur, s’est éveillée ; 6+6 a
330 Mes yeux s’ouvrent : Je vois ma vie en frémissant. 6+6 b
J’étais comme un jardin sous les pieds du passant 6+6 b
Et la divine fleur en moi s’est effeuillée. » 6+6 a
Elle foule en pleurant ses ornements païens 6+6 a
Et jette aux quatre vents l’or et les pierreries. 6+6 b
335 Aussi doux que l’Aurore au-dessus des prairies, 6+6 b
Jésus dit : — « Pauvre sœur, c’est pour toi que je viens. » 6+6 a
— « Est-ce vous qui parlez à celle qu’on méprise ? 6+6 a
Ô pur entre les purs, est-ce vous que j’entends ? 6+6 b
Votre voix en mon âme éveille le printemps ; 6+6 b
340 Elle effleure mon cœur comme une douce brise. 6+6 a
« Comme on voit un seigneur aux portes du château 6+6 a
Donner aux affamés les restes de sa table, 6+6 b
Vous nourrissez le monde, ô maître charitable, 6+6 b
Et les petits enfants baisent votre manteau. 6+6 a
345 « Vous tenez en vos mains tous les rois de la terre. 6+6 a
Prince du grand amour, père au cœur indulgent, 6+6 b
Vous êtes, ô mon Dieu, la fontaine d’argent 6+6 b
Où le déshérité boit et se désaltère. 6+6 a
« Mais vous que l’univers adore prosterné, 6+6 a
350 En qui le Paradis se regarde et se loue, 6+6 b
Irez-vous ramasser cette fleur dans la boue ? 6+6 b
Voudrez-vous bien encor de ce cœur profané ? » — 6+6 a
Et Jésus dit : — « Pauvre âme, il faut bien qu’on espère ; 6+6 a
Combien, dans cette nuit, ont perdu leur chemin ! 6+6 b
355 Mais qu’ils viennent à moi. Je leur tendrai la main 6+6 b
Et je leur ouvrirai la maison de mon père. 6+6 a
« Le royaume des cieux est comme un grain de blé 6+6 a
Qui porte en lui l’espoir de la moisson future. 6+6 b
J’apporte le salut à toute créature ; 6+6 b
360 Heureux celui qui pleure, il sera consolé. » 6+6 a
Comme une pâle rose au bord de l’eau courante, 6+6 a
Madeleine frissonne aux genoux du Sauveur ; 6+6 b
Son sein brûle déjà d’une unique ferveur, 6+6 b
Tout son passé n’est plus qu’une ombre indifférente. 6+6 a
365 L’éternité commence et le ciel va s’ouvrir. 6+6 a
Elle voit, dans les fleurs, la source de délices, 6+6 b
Et, comme ceux qui vont au-devant des supplices, 6+6 b
Pour racheter son âme elle est prête à mourir. 6+6 a
Le peuple s’émerveille et crie : « Est-ce bien celle 6+6 a
370 Qui nous scandalisait jadis ? Quel changement ! » 6+6 b
Jésus, le doigt levé, montre le firmament ; 6+6 b
D’une étrange beauté sa figure étincelle. 6+6 a
C’était l’heure troublante où le pâtre interdit 6+6 a
Entend passer au loin des rumeurs et des plaintes ; 6+6 b
375 Une lumière d’or baignait les villes saintes ; 6+6 b
C’était l’heure ineffable où la nuit resplendit ? 6+6 a
V
Et maintenant, c’est le silence, 8 a
Le travail et la pauvreté ; 8 b
C’est le désert illimité, 8 b
380 C’est la douce mort qui commence. 8 a
Où sont, reine du fol amour, 8 a
Les diamants de ton corsage ? 8 b
Quelle ombre sur ton beau visage, 8 b
Rose comme le point du jour ! 8 a
385 Qu’as-tu fait de ton âme étrange 8 a
Qui vibrait comme un violon ? 8 b
Qu’as-tu fait, belle Madelon, 8 b
De tes yeux fous de mauvais ange ? 8 a
Depuis la nuit de ses aveux, 8 a
390 Son front blanc s’est couvert de cendre ; 8 b
Elle a meurtri sa gorge tendre, 8 b
Elle a coupé ses longs cheveux. 8 a
Dans une grotte de feuillage, 8 a
Elle est seule au pied de la croix ; 8 b
395 Elle mange les fruits des bois 8 b
Et l’eau de pluie est son breuvage. 8 a
Parfois un oiseau bigarré 8 a
Vient se poser à côté delle ; 8 b
Elle regarde une hirondelle 8 b
400 Qui traverse le soir doré. 8 a
La mésange et le hoche-queue 8 a
Enchantent souvent son réveil ; 8 b
Elle aime à voir, en plein soleil, 8 b
Une fleurette faune ou bleue. 8 a
405 Mais, comme tout va lentement ! 8 a
De quel pas traînant marche l’heure ! 8 b
Quand donc s’ouvrira la demeure 8 b
Où l’attend l’immortel amant ? 8 a
Elle regrette ses folies 8 a
410 Et le trésor de sa beauté ; 8 b
Un âcre goût de volupté 8 b
Remonte à ses lèvres pâlies. 8 a
Et puis elle pleure : « Pitié, 8 a
Pitié, maître, pour mes faiblesses. 8 b
415 C’est donc vrai que tu me délaisses ? » 8 b
Et son cœur se brise à moitié. 8 a
Voici qu’à l’heure où le soir tombe, 8 a
Dans la pourpre du ciel en feu, 8 b
Apparaît un ange de Dieu 8 b
420 Dont la main porte une colombe : 8 a
— « Ô Madeleine aux cheveux d’or, 8 a
Que diras-tu du temps qui passe ? » 8 b
— « Seigneur, Seigneur, je suis si lasse ! » 8 b
— « Tu resteras sept ans encor. » 8 a
425 La douce image est envolée, 8 a
Et soudain tout s’est assombri. 8 b
Sur le paysage fleuri 8 b
Tombe la neige désolée. 8 a
Quels cris d’angoisse à l’horizon ! 8 a
430 Comme il éclaire et comme il vente ! 8 b
Madeleine, en son épouvante, 8 b
A presque perdu la raison. 8 a
Et tandis que tout se lamente, 8 a
La terre et l’eau, le ciel, les bois, 8 b
435 On entend rire, à pleine voix, 8 b
Au plus épais de la tourmente. 8 a
Toujours brûlants, jamais lassés 8 a
Sous les étreintes qui les pressent, 8 b
Apparaissent et disparaissent 8 b
440 Des couples d’amants enlacés. 8 a
Un œil brille, une gorge éclate ; 8 a
Il passe des mots embrasés ; 8 b
On entend le vol des baisers, 8 b
Parmi les bouches d’écarlate. 8 a
445 Un chœur chante : « Maudits, maudits 8 a
Les yeux tristes, les fronts moroses ; 8 b
Le bonheur est parmi les roses, 8 b
L’amour est le seul Paradis. » 8 a
Le souffle de l’Aurore emporte 8 a
450 Toutes ces âmes de langueur. 8 b
Madeleine, le trait au cœur, 8 b
Reste blanche comme une morte. 8 a
Que lui sert de s’agenouiller ? 8 a
Pauvre brebis sans assistance, 8 b
455 Au livre de sa pénitence 8 b
Tous les mots semblent se brouiller. 8 a
Voici qu’à l’heure où le soir tombe, 8 a
Dans la paix du firmament bleu, 8 b
Elle revoit l’ange de Dieu 8 b
460 Qui tient en ses mains la colombe. 8 a
— « Madeleine du vert printemps, 8 a
Que dis-tu, belle pécheresse ? » 8 b
— « Ô Seigneur, voyez ma détresse ! » 8 b
— « Tu resteras encor sept ans. » 8 a
465 Et de nouveau chaque heure passe 8 a
D’un pied traînant comme l’ennui ; 8 b
Et le jour succède à la nuit 8 b
Du même pas que rien ne lasse. 8 a
Les yeux tournés vers l’Orient, 8 a
470 Madeleine voit chaque année 8 b
Jeter sa couronne fanée 8 b
Au vent qui l’effeuille en riant. 8 a
Sous le soleil et sous la pluie, 8 a
Au souffle gelé des hivers, 8 b
475 Comme la fraîcheur des prés verts, 8 b
Sa beauté s’est évanouie. 8 a
C’est fini de sa chair en fleur, 8 a
Si délicate et diaphane. 8 b
Comme une rose qui se fane. 8 b
480 Son doux visage est sans couleur. 8 a
Sa bouche heureuse, fraîche et gaie, 8 a
A perdu son rire éclatant ; 8 b
On voit en son œil pénitent 8 b
S’alanguir l’âme fatiguée. 8 a
485 Mais Jésus n’est plus si lointain ; 8 a
Il lui sourit au fond des nues ; 8 b
Les larmes lui sont revenues 8 b
Comme la rosée au matin. 8 a
Sa jeunesse qui fut si blonde 8 a
490 A bien fini par s’endormir. 8 b
Elle regarde sans frémir 8 b
Le vain simulacre du monde, 8 a
Parfois un vent délicieux 8 a
Vient se mêler à son haleine. 8 b
495 C’est l’odeur de la marjolaine 8 b
Qui fleurit au jardin des cieux. 8 a
Voici qu’à l’heure où sous les branches 8 a
Pointe l’Aube, timide un peu, 8 b
Paraît encor l’Ange de Dieu, 8 b
500 La colombe dans ses mains blanches. 8 a
— « Madeleine, le jour a lui ; 8 a
Veux-tu voir le Maître en sa gloire ? » — 8 b
— « Oh non, Seigneur, je n’y peux croire ; 8 b
Mon cœur est indigne de lui. 8 a
505 « Comment m’aimerait-il encore ? 8 a
J’ai si peur et j’ai tant péché ! 8 b
Mon cœur est un oiseau caché 8 b
Qui chante de loin pour l’Aurore. » 8 a
— « Madeleine, l’époux charmé 8 a
510 Qui voit tes yeux, sait toute chose. 8 b
Viens refleurir, ô blanche rose, 8 b
Dans le palais du Bien-Aimé. » — 8 a
L’Ange, ayant dit cette parole, 8 a
Sourit comme un adolescent 8 b
515 Et, dans l’azur éblouissant, 8 b
La colombe plane et s’envole. 8 a
VI
Les portes du Ciel, les portes mystiques 5+5 a
Viennent de s’ouvrir au bruit des cantiques, 5+5 a
Les portes d’ivoire et d’or et d’argent, 5+5 a
520 Par où le roi passe après l’indigent. 5+5 a
Un rayon divin baigne la prairie 5+5 a
Où file, en riant, la Vierge Marie. 5+5 a
Mille oiseaux de pourpre aux vives couleurs 5+5 a
Jouent à se poursuivre au milieu des fleurs ; 5+5 a
525 On entend l’eau claire en son lit de mousse 5+5 a
Et l’arbre qui chante et l’herbe qui pousse. 5+5 a
Partout resplendit l’éternel Matin. 5+5 a
Sur les boutons d’or, la menthe et le thym, 5+5 a
Glisse doucement la troupe bénie 5+5 a
530 Qui porte en son cœur ta joie infinie, 5+5 a
Le chœur bienheureux, tout de blanc vêtu, 5+5 a
De ceux dont la terre aimait la vertu. 5+5 a
Comme un pâtre assemble, à l’aube fleurie, 5+5 a
Son troupeau qui sort de la bergerie, 5+5 a
535 Ainsi l’ineffable et divin berger 5+5 a
Mène ses agneaux paître en son verger 5+5 a
Et tous le saluent dans la paix de l’âme, 5+5 a
Lui, le Roi des Rois que l’Aurore acclame, 5+5 a
Qui parle au tonnerre et commande au vent 5+5 a
540 Et tient en ses mains le soleil levant. 5+5 a
Pareille à l’azur, quand le jour se lève, 5+5 a
Avec ses doux yeux tout fleuris de rêve, 5+5 a
La Vierge adorable est à son côté 5+5 a
Comme un lys au bord d’un lac enchanté ; 5+5 a
545 Quand elle parait, l’horizon s’éclaire 5+5 a
Et la nuit s’argente afin de lui plaire. 5+5 a
Mais qui vient là-bas par les prés charmants, 5+5 a
Au milieu des voix et des instruments ? 5+5 a
Quel chœur nuptial conduisent les Anges 5+5 a
550 Qui jadis berçaient Jésus dans ses langes ? 5+5 a
Tout effarouchée et le sein tremblant, 5+5 a
Madeleine marche en son manteau blanc. 5+5 a
Elle rit aux yeux, la jeune épousée, 5+5 a
Comme un églantier trempé de rosée. 5+5 a
555 Ses cheveux cendrés, ses beaux cheveux blonds, 5+5 a
Traînent maintenant jusqu’à ses talons. 5+5 a
Comme l’eau courante au milieu des saules, 5+5 a
On voit au travers ses fines épaules ; 5+5 a
En ses doigts mignons la rose a fleuri 5+5 a
560 Et son cœur malade est soudain guéri. 5+5 a
Elle a vu le Maître. Elle est consolée. 5+5 a
La cloche d’or sonne à toute volée 5+5 a
Et, comme au matin les oiseaux des bois, 5+5 a
Tous les Bienheureux chantent à la fois 5+5 a
565 — « Merveille d’amour, belle pénitente, 5+5 a
Foulez à jamais la nue éclatante. 5+5 a
« L’époux glorieux vous a pardonné ; 5+5 a
Votre front d’œillets sera couronné. 5+5 a
« Vos pieds fatigués, beaux comme la neige, 5+5 a
570 Suivront désormais le divin cortège. 5+5 a
« Vos yeux qui pleuraient, vos yeux, ô ma sœur, 5+5 a
De la violette auront la douceur. 5+5 a
« Rentrez au bercail, brebis égarée ; 5+5 a
Foulez à jamais la nue azurée. » 5+5 a
575 Ô voix d’allégresse et jour de bonheur ! 5+5 a
Madeleine tombe aux pieds du Seigneur. 5+5 a
L’aurore céleste éclaire ses charmes 5+5 a
Et de blancs muguets naissent de ses larmes, 5+5 a
De frêles muguets et de grands lys d’eau, 5+5 a
580 Diamants au front du printemps nouveau. 5+5 a
Paix délicieuse et joie éternelle ! 5+5 a
Son âme d’enfant ressuscite en elle, 5+5 a
Son cœur d’autrefois chante et refleurit ; 5+5 a
Dans l’or et les fleurs la Vierge sourit 5+5 a
585 Et le Saint des Saints donne avec tendresse 5+5 a
Sa main à baiser à la pécheresse. 5+5 a
mètre profils métriques : 6, 5, 8, 6−6, 5+5
forme globale type : suite de strophes
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