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12 longueur métrique
6-6 mètre
VIC_1/VIC5
Gabriel VICAIRE
L’Heure enchantée
1890
Les Sauvageons
Ce sont trois vieilles sœurs,trois vénérables fées. 6+6 a
D’antiques nénupharsgrotesquement coiffées. 6+6 a
En tuniques d’argent,hélas ! pleines de trous, 6+6 a
Elles hantent encorla forêt de Jailloux. 6+6 a
5 Lorsque le vent du soirpleure comme une harpe, 6+6 a
D’aucuns ont apeule bout de leur écharpe, 6+6 a
Et c’est avec leurs yeux,doucement étonnés, 6+6 a
Leurs yeux naïfs, pareilsà ceux des nouveau-nés. 6+6 a
Tout ce qu’on entrevoitdes féeriques royaumes. 6+6 a
10 Elles ont cousinéjadis avec les gnomes ; 6+6 a
Elles datent du temps l’on dansait en rond, 6+6 a
Dans la clairière, autourdu petit Obéron, 6+6 a
Miranda montrait,aux cloches de matines, 6+6 a
Son gracieux visageentre les églantines, 6+6 a
15 Merlin l’enchanteur,las d’avoir tant lutté, 6+6 a
Par l’amour à la fins’endormait enchanté. 6+6 a
Le bois est leur asileElles n’en sortent guère, 6+6 a
Car l’homme, toujours lâcheet fou, leur fait la guerre, 6+6 a
Et le mtre, au doux frontcouronné de jasmin, 6+6 a
20 Le mtre n’est plus làpour leur tendre la main. 6+6 a
On dit que leurs regardssouilleraient l’innocence, 6+6 a
Que le diable autrefoisleur a donné naissance, 6+6 a
Près de la mer qui brille,au pays des ajoncs, 6+6 a
Et tous les gens d’iciles nomment Sauvageons. 6+6 a
25 Tant que le dur soleilillumine la terre, 6+6 a
Elles restent ainsidans ce bois solitaire, 6+6 a
Le front dans les genoux,n’osant même parler, 6+6 a
Comme la mère en deuilqu’on ne peut consoler. 6+6 a
Mais quand la nuitaux calmes yeux,la nuit clémente, 4+4+4 a
30 Sur les collines d’orjette un pan de sa mante 6+6 a
Et berce doucementl’univers endormi, 6+6 a
À cette heure déjàse mêlent à demi 6+6 a
La rivière et les bois,les prés et les fontaines, 6+6 a
Dans cette paix auguste des formes lointaines 6+6 a
35 Semblent en s’effleurantéchanger un secret, 6+6 a
Quelle sérénitétombe de la forêt ! 6+6 a
Comme elle se fait douceet tendre et maternelle ! 6+6 a
Est-ce l’esprit des mortsqui ressuscite en elle ? 6+6 a
A-t-elle reconnucelui qui doit venir ? 6+6 a
40 On dirait un tombeauqui garde un souvenir, 6+6 a
Et les trois vieilles sœurssavent bien la comprendre. 6+6 a
Elle aime à les revoir,se plais à les entendre. 6+6 a
Son rêve est immuableet beau comme le leur. 6+6 a
Frôlant une broussaille,effeuillant une fleur, 6+6 a
45 Elles vont, elles vont,pauvres petites fées. 6+6 a
Le vent court à traversleurs robes dégrafées 6+6 a
Et sur leurs cous ridésmêle leurs cheveux blancs. 6+6 a
Elles vont, elles vonttoujours. Leurs bras tremblants 6+6 a
Dans la nuit qui s’effareont des battements d’ailes. 6+6 a
50 Leurs jambes en fuseaux,ridiculement grêles, 6+6 a
Ont peine à se tenir,en dépit des bâtons… 6+6 a
Leurs nez crochus d’oiseauxpicorent leurs mentons, 6+6 a
Leur tête branle ainsique leurs mains maigrelettes 6+6 a
Et leurs os font du bruitcomme ceux des squelettes. 6+6 a
55 Elles vont. Les chevreuilssortent de leurs abris 6+6 a
Et, pour les voir passer,ouvrent des yeux surpris. 6+6 a
L’écureuil les regardeet fait une culbute, 6+6 a
Le crapaud les salueavec un air de flûte, 6+6 a
Et les chauves-sourisaux ailes de velours 6+6 a
60 Les frôlent lourdement.Elles marchent toujours, 6+6 a
Écoutant le passédivin qui les appelle. 6+6 a
La forêt, n’est-ce pasla suprême chapelle 6+6 a
Ou gît encore au basde l’autel renversé 6+6 a
Le Dieu mystique en beauqu’on n’a pas remplacé ? 6+6 a
65 Les trois sœurs voient partoutsa radieuse image, 6+6 a
Et, complice, la briseaccueille leur hommage. 6+6 a
Voici le carrefour tourna tant de fois 6+6 a
La ronde des ondinset des dames des bois. 6+6 a
Que de perles alorsau cou de la nuit brune ! 6+6 a
70 Quel chapelet d’éclatsde rire au clair de lune ! 6+6 a
Comme tous les échosépient enamourés ! 6+6 a
Ainsi qu’un fol essaimde papillons dorés, 6+6 a
Passaient et repassaientdans la lumière bleue 6+6 a
Les pourpoints de satinet les robes à queue. 6+6 a
75 La viole d’amour,mêlée aux violons, 6+6 a
Disait l’éclat tendre etcharmant des cheveux blonds, 6+6 a
Les yeux de violette resplendit l’aurore, 6+6 a
Les bouches de vingt ansque le baiser colore. 6+6 a
Et tout à coupla douce voixs’alanguissait. 4+4+4 a
80 Beau comme le soleild’Avril, apparaissait 6+6 a
Celui dont le sourireensorcelle le monde, 6+6 a
Le jeune homme qui tientla Rose. Oh ! quelle ronde ! 6+6 a
Comme elle déroulaitses anneaux gracieux ! 6+6 a
Quelle musique folleéclatait sous les cieux. 6+6 a
85 Comme on s’aimait ! Les fleursétaient surnaturelles. 6+6 a
Et dans l’azur profondvolaient des tourterelles. 6+6 a
Hélas ! Le vent du Norda soufflé méchamment. 6+6 a
Un jour a dissipél’antique enchantement ; 6+6 a
Demoiselles des bois,sylphes, lutins et gnomes 6+6 a
90 Sont partis de concertau pays des fantômes 6+6 a
Et le cercle magiqueest près de s’effacer. 6+6 a
Les vieilles sœurs pourtantvoudraient encor danser. 6+6 a
Soulevant tour à tourleurs tuniques fanées 6+6 a
s’effeuille un bouquetde roses surannées, 6+6 a
95 Elles vont murmurantune espère de chant, 6+6 a
Et c’est tout à la foisridicule et touchant. 6+6 a
Elles ont oubliéles syllabes de joie 6+6 a
Qui font en plein hiverque le printemps verdoie. 6+6 a
Et cependant, voyez :À la pâle clarté 6+6 a
100 De la nuit, leur visagea repris sa beauté. 6+6 a
Voyez : ce ne sont plusdéjà les béquillardes 6+6 a
Sur qui s’apitoyaientles louves et les hardes. 6+6 a
Elles ont redresséleur dos endolori 6+6 a
Et leur bouche maussadea presque refleuri. 6+6 a
105 L’esprit consolateura détaché leurs chnes. 6+6 a
L’âme de la forêt,l’âme antique des chênes 6+6 a
A passé dans leur âmeet la fait tressaillir 6+6 a
Comme le gui sacréqu’un prêtre va cueillir. 6+6 a
Celle qu’on appelaitjadis la sœur née, 6+6 a
110 La plus grave des troiset la plus obstinée, 6+6 a
Celle qui conduisait,en des temps plus heureux, 6+6 a
La ronde merveilleuseautour des chemins creux, 6+6 a
S’est tout à coup dresséeau bord de la clairière, 6+6 a
Et la nuit en silenceécoute sa prière, 6+6 a
115 La nuit, qui reconnaisla voix de son enfant 6+6 a
Et ne se courbe passous l’homme triomphant : 6+6 a
— « Filles du vieux Bélen,quelles métamorphoses 6+6 a
Depuis le jour sacréqui reçut nos aveux, 6+6 b
Lorsque nous regardions,des lys dans nos cheveux, 6+6 b
120 L’aurore se leversur les campagnes roses ! 6+6 a
« Le ciel nous souriaitcomme un père indulgent. 6+6 a
L’univers nu riaiten sa beauté sans voiles, 6+6 b
Et nous aimions a voirdu réseau des étoiles 6+6 b
Sortir la lune blondeet le soleil d’argent. 6+6 a
125 « Quelle fleur de gaieté !La terre adolescente 6+6 a
Offrait ses jeunes seinsà tous, sans se lasser. 6+6 b
L’amour, comme un enfant,se laissait caresser, 6+6 b
La vie était sans tacheet la mort innocente. 6+6 a
« Des hommes sont venus,stupides et méchants, 6+6 a
130 Dont l’haleine glacéea soufflé notre joie. 6+6 b
Ils ont dit : « Fais silence »à l’aube qui flamboie, 6+6 b
Ils ont voilé de noirla pourpre des couchants. 6+6 a
« Et maintenant le mondea peur de la lumière. 6+6 a
L’azur délicieuxne saurait l’enchanter. 6+6 b
135 Il n’ose plus sourireet n’ose plus chanter ; 6+6 b
La seule fleur qu’il aimeest la rose trémière. 6+6 a
« L’homme a tout désapprisdes rites vénérés. 6+6 a
Son corps lui fait horreur,son âme l’épouvante. 6+6 b
Adieu, la source viveet claire. Il vente, il vente, 6+6 b
140 Il vente sans relâcheaux bois désespérés ! — 6+6 a
Tandis que la nuit douceapaise ses murmures 6+6 a
Et que le vent s’endortau milieu des ramures, 6+6 a
Ainsi parle la féeindomptable, et sa voix 6+6 a
S’éparpille en échosdouloureux dans le bois. 6+6 a
145 Avec sa face morneet sa haute stature, 6+6 a
Elle semble évoquerl’immortelle nature ; 6+6 a
La rigide forêtla regarde en pleurant. 6+6 a
Une brise a soufflésur le monde expirant. 6+6 a
Et voici qu’en rêvant,la clairière soupire 6+6 a
150 Et que les fleurs au loins’efforcent de sourire. 6+6 a
La plus jeune des sœurss’est levée à son tour. 6+6 a
Au fond de ses yeux passeune image d’amour, 6+6 a
Une image tremblanteet qui se décolore. 6+6 a
En vain tout la délaisse.Elle revoit encore 6+6 a
155 Le jeune homme idéalqui l’avait su toucher, 6+6 a
Et son cœur attendrine s’en peut détacher : 6+6 a
 — « Ô face rieuse, 5 a
 Divin oiseleur 5 b
 Aux beaux yeux couleur 5 b
160  De la scabieuse, 5 a
 Chasseur ingénu, 5 a
 Qu’es-tu devenu ? 5 a
 « Dès que je m’éveille, 5 a
 Tes paroles d’or 5 b
165  Comme un son de cor 5 b
 Frappent mon oreille. 5 a
 Oiseau du printemps, 5 a
 C’est toi que j’entends. 5 a
 « La pierre des fées 5 a
170  Vire lentement. 5 b
 Un bruissement 5 b
 De voix étouffées, 5 a
 Et je t’apeois, 5 a
 Pervenche des bois. 5 a
175  « Alouette franche, 5 a
 Au ciel prends ton vol ; 5 b
 Chante, rossignol, 5 b
 Sur la verte branche, 5 a
 Que mon bien-aimé 5 a
180  En soit consumé. 5 a
 « Marguerites folles, 5 a
 Voici mon époux ; 5 b
 Vite effeuillez-vous, 5 b
 Et que vos corolles 5 a
185  Volent sur les jeux 5 a
 Du mtre joyeux. 5 a
 « Je veux qu’il repose 5 a
 Jusqu’au matin bleu 5 b
 Sur ma couche en feu, 5 b
190  Mes lèvres de rose, 5 a
 Sans que mon baiser 5 a
 Puisse s’épuiser 5 a
 « Ah ! toujours l’attendre 5 a
 Au bord de l’étang ! 5 b
195  Pourquoi tarder tant, 5 b
 Ô mon amour tendre ? 5 a
 As-tu déserté 5 a
 Le cercle enchanté ? 5 a
 « L’amandier que l’âge 5 a
200  N’a point trop pâli, 5 b
 L’amandier joli, 5 b
 L’amandier sauvage, 5 a
 Vaudrait refleurir 5 a
 Avant de mourir ! » — 5 a
205 Elle a fini. Ses pleurs,comme une frche ondée, 6+6 a
Inondent lentementsa figure ridée. 6+6 a
À voir son désespoir,qui ne s’attendrirait ? 6+6 a
Les oiseaux bigarrésqui peuplent la forêt 6+6 a
Se sont tous éveilléspour lui rendre courage. 6+6 a
210 Le torrent dont le bruitest pareil à l’orage 6+6 a
Murmure à petits coupscomme un ruisseau des champs. 6+6 a
Il semble qu’on entendeau loin de vagues chants. 6+6 a
Au plus épais du bois,dans les hautes fougères, 6+6 a
Passent, en soupirant,mille formes légères. 6+6 a
215 C’est partout comme un tendreet lent susurrement ; 6+6 a
Mais la troisième sœurse lève brusquement ; 6+6 a
Tout son geste menaceet sa voix irritée 6+6 a
Retentit sourdementdans cette nuit hantée : 6+6 a
 — « Hélas ! Il est mort,ils l’ont égorgé ! 5+5 a
220  L’enfant radieux,l’enfant de notre âme, 5+5 b
 Et son doux espritressemble à la flamme 5+5 b
 Qui plane au-dessusd’un bourg saccagé ! 5+5 a
 « Plus de lâches cris,de vaines prières. 5+5 a
 Que sert d’appelerde nos bras tremblants ? 5+5 b
225  Il ne viendra plus,avec ses chiens blancs, 5+5 b
 Boire à l’eau qui dortau fond des clairières. 5+5 a
 « Le front couronnéde volubilis, 5+5 a
 Il ne viendra plus,comme un faon sauvage, 5+5 b
 À l’eau des torrentsbaigner son visage, 5+5 b
230  Beau comme une roseau milieu des lys. 5+5 a
 « L’homme vil a peurde la poésie, 5+5 a
 Le hibou s’effareau lever du jour ; 5+5 b
 Ils l’ont égorgé,l’enfant de l’amour, 5+5 b
 Son rire insultaitleur hypocrisie. 5+5 a
235  « Ô mtre des cœurs,frêle adolescent 5+5 a
 Qui faisais rêverla forêt superbe, 5+5 b
 Ton corps adorableest couché sur l’herbe 5+5 b
 Et tes cheveux d’ortrnent dans le sang. 5+5 a
 « Tes beaux cheveux, blondscomme une saulaie, 5+5 a
240  Un matin d’avril,dans les prés fleuris, 5+5 b
 Tes cheveux d’amour,les voilà flétris. 5+5 b
 Comme ils t’ont fait mal !montre-moi ta plaie, 5+5 a
 « Montre ton front pâleet ton cœur charmant, 5+5 a
 Tes yeux sans regard,ta bouche entr’ouverte ; 5+5 b
245  Ô gentil seigneurde la combe verte, 5+5 b
 Dormiras-tu doncéternellement ? 5+5 a
 « Quand le jour s’apaiseet que la nuit tombe 5+5 a
 Entre les bouleauxdu bois endormi, 5+5 b
 Ne verrons-nous plusse perdre à demi 5+5 b
250  Ta forme légère,ô blanche colombe ? 5+5 a
 « Chut !… Là-bas, là-bas,dans cette clarté 5+5 a
 Qui baigne les piedsde la forêt brune, 5+5 b
 Comme un rossignoldans un rais de lune, 5+5 b
 Chante doucementle cor enchanté. 5+5 a
255  « Est-ce toi qui viens,prince du mystère, 5+5 a
 En son abandonparler au cœur las ? 5+5 b
 Est-ce toi qui viens,branche de lilas, 5+5 b
 De son lourd sommeiléveiller la terre ? 5+5 a
 « Ah ! tout nous accable,et nous languissons 5+5 a
260  Loin du clair soleilet de la rosée. 5+5 b
 Nos cœurs ont à tousservi de risée ; 5+5 b
 Le temps est finides belles chansons. 5+5 a
 « Ne diras-tu pasle mot qui délivre ? 5+5 a
 Ainsi qu’autrefois,parle en souriant ; 5+5 b
265  De tes flèches d’orcrible l’Orient, 5+5 b
 Fais qu’on aime encoreet qu’on puisse vivre ! » 5+5 a
Les trois sœurs maintenantchantent à l’unisson. 6+6 a
Dans la forêt, passeun magique frisson, 6+6 a
On dirait qu’un oiseauvole de branche en branche, 6+6 a
270 Et voici quela jeune Lune,en robe blanche, 4+4+4 a
Part, cueillant les lysdu céleste jardin. 6+6 a
Elle semble, en passant,faire un signe. Et soudain 6+6 a
La nuit se fait plus douceencor, plus caressante. 6+6 a
Le monde, comme aux joursde sa grâce naissante, 6+6 a
275 S’épanouit sans crainteet redevient heureux. 6+6 a
Les arbres enchantés,qui murmurent entre eux, 6+6 a
S’éveillent à la findu sommeil séculaire ; 6+6 a
Le vent a pour toujoursoublié sa colère. 6+6 a
Voyez, voyez : Là-bas,dans le ciel incertain, 6+6 a
280 Qui donc surgit parmiles roses du matin ? 6+6 a
C’est lui, le précurseurde l’éternelle aurore, 6+6 a
Lui qui dit au printempssilencieux d’éclore, 6+6 a
Qui fait que l’oiseau chanteet qu’embaume la fleur, 6+6 a
Lui, le chasseur divin,l’immortel oiseleur 6+6 a
285 Dont l’arc épouvantaitles bêtes de mensonge, 6+6 a
Le jeune homme adorable,aux yeux couleur de songe, 6+6 a
Qui souffle son ardeurdans les vents embrasés 6+6 a
Et sème à pleines mainsl’amour et les baisers ! 6+6 a
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