Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
VIC_1/VIC3
Gabriel VICAIRE
L’Heure enchantée
1890
Merlin
I
Merlin revient d’Écosse. Il a tant navigué, 6+6 a
Tant livré de combats et pris de citadelles, 6+6 b
Qu’à la fin, par Saint George, il se sent fatigué. 6+6 a
Mais dans le clair matin glissent des hirondelles 6+6 b
5 Et Merlin, par les bois, cueille la fleur d’oubli. 6+6 c
Son cœur, prêt à renaître, est loin des infidèles. 6+6 b
L’âge courbe son front, les veilles l’ont pâli. 6+6 c
Bah ! d’un jeune garçon il revêt l’apparence. 6+6 a
On dirait à le voir un écolier joli. 6+6 c
10 Tout rit. Le ciel est bleu, du bleu de l’espérance. 6+6 a
L’escarcelle au côté, la plume au chaperon, 6+6 b
Merlin est plus gaillard que le soleil de France. 6+6 a
Il s’amuse, en passant, du vol d’un moucheron, 6+6 b
D’un lièvre qui s’enfuit, d’une chèvre qui broute, 6+6 c
15 D’un bourdon qui bourdonne au cœur d’un liseron. 6+6 b
Des oiseaux chantent. Lui, gravement les écoute. 6+6 c
Il respire les fleurs, il regarde le vent 6+6 a
Faire danser de folles ombres sur la route. 6−6 c
Et c’est ce grand Merlin, brave autant que savant, 6+6 a
20 Qui tranche deux païens d’un coup de son ée, 6+6 b
Et parle mieux latin qu’un moine en son couvent. 6+6 a
II
De rosée, au matin, la campagne est treme ; 6+6 b
Une églantine d’or brille à chaque buisson ; 6+6 c
La forêt, de silence, est toute enveloppée. 6+6 b
25 Merlin, pour marcher mieux, entonne une chanson, 6+6 c
Et voici qu’il arrive auprès d’une fontaine 6+6 a
Que borde joliment un ruban de cresson. 6+6 c
Ô devin sans rival, ô grave capitaine, 6+6 a
Que vois-tu se mirer dans le flot indolent ? 6+6 b
30 Est-ce le faon timide ou la biche hautaine ? 6+6 a
Non ; mais ses cheveux d’or noués à son bras blanc, 6+6 b
Une enfant de quinze ans à peine, qui repose 6+6 c
Et, sous un dais de fleurs, sommeille ou fait semblant. 6+6 b
Merlin, riant, s’approche et lui jette une rose. 6+6 c
35 Lentement la dormeuse entr’ouvre ses doux yeux, 6+6 a
Et l’eau n’est pas si fraîche et le ciel est moins rose. 6+6 c
Le sage pour le coup en devient tout soyeux. 6+6 a
Depuis cent ans passés qu’il rôde par le monde, 6+6 b
A-t-il jamais rien vu qui soit plus merveilleux ? 6+6 a
40 — « Enfant délicieuse, es-tu la Rosemonde 6+6 b
Qu’emporte en plein azur l’aile du colibri, 6+6 c
Ou la fille aux yeux bleus du roi de Trébizonde ? » 6+6 b
La belle, à ce discours, a gentiment souri. 6+6 c
Une clarté descend des bois à la ravine ; 6+6 a
45 Il semble que l’aurore ait de nouveau fleuri. 6+6 c
— « Surement vous rêvez, messire… » — « Ah ! je devine : 6+6 a
Une fée. On s’en doute à voir ce pied mignon. » 6+6 b
— « Nenni, fait l’innocente, et sa bouche est divine. 6+6 a
« Je ne suis qu’une enfant. Viviane est mon nom. 6+6 b
50 Mon père est d’ici près, qu’on dit bon gentilhomme. 6+6 c
Il a trente écuyers qui portent son pennon. 6+6 b
« Et vous, beau page ? — « Moi, dit Merlin, je me nomme 6+6 c
Merlot de la Huchette et je suis écolier. 6+6 a
Mon maître est plus puissant que l’empereur de Rome. 6+6 c
55 « Il a, pour le servir, un lutin familier. 6+6 a
Qu’une femme lui plaise, il la transforme en cygne. 6+6 b
Un jour il a chan le Diable en cordelier. » 6+6 a
— « En vérité ! » — « Mais oui. Moi-même, quoique indigne, 6+6 b
J’ai dans mon sac plus d’un joli tour, grâce à Dieu ! 6+6 c
60 Pour appeler le vent il me suffit d’un signe. 6+6 b
« J’évoque le soleil à minuit. Pauvre jeu ! 6+6 c
Chacun sait que l’Aurore est une aventurière. 6+6 a
— « M’est avis, Monseigneur, que vous mentez un peu. » 6+6 c
III
Merlin, ses longs cheveux rejetés en arrière, 6+6 a
65 Va couper un bâton au buisson d’églantiers 6+6 b
Et trace un rond magique au cœur de la clairière. 6+6 a
Ô merveille ! Le bois, les mousses, les sentiers, 6+6 b
Tout s’efface à l’instant et l’on voit apparaître 6+6 c
Un palais où l’amour nicherait volontiers. 6+6 b
70 Les murs en sont d’ivoire. À chaque porte un reître 6+6 c
Veille, l’épée au poing, la pertuisane au flanc. 6+6 a
Une princesse blonde est à chaque fenêtre. 6+6 c
Tout autour, un jardin s’éveille, étincelant, 6+6 a
Comme pris au réseau d’une brume argene, 6+6 b
75 Et chaque fleur qui s’ouvre a son papillon blanc. 6+6 a
Une folle clameur vers le ciel est mone. 6+6 b
Par l’escalier de marbre et d’or, sous les jasmins, 6+6 c
Descend nonchalamment une foule enchane. 6+6 b
C’est Lancelot du Lac et ses cousins germains, 6+6 c
80 La reine Blanchefleur avec ses demoiselles, 6+6 a
Et tous, en amoureux, s’entre-croisent les mains. 6+6 c
Les belles ont les yeux langoureux des gazelles ; 6+6 a
Les galants sont hardis et frappent des talons ; 6+6 b
Un ramier bleu sur chaque couple bat des ailes. 6−6 a
85 Voici les tambourins avec les violons. 6+6 b
En avant, cavaliers ! Et la ronde tournoie. 6+6 c
Hourrah ! Les cheveux bruns s’entremêlent aux blonds. 6+6 b
Des mots enamourés, des paroles de joie 6+6 c
S’envolent vers l’azur et le vont embraser. 6+6 a
90 Autour des roses flotte un nuage de soie. 6+6 c
Hourrah ! La ronde passe et repasse. Un baiser 6+6 a
S’échappe tout à coup, implorant qui le veuille, 6+6 b
Et parmi tant de fleurs ne sait où se poser. 6+6 a
De l’œillet au muguet, du lys au chèvrefeuille, 6+6 b
95 Il plane, dans la brise embaumée, et toujours 6+6 c
Une bouche adorable est là qui le recueille. 6+6 b
IV
Viviane regarde. En ses yeux de velours 6+6 c
Tremble languissamment la radieuse image 6+6 a
Du palais fantastique avec ses quatre tours. 6+6 c
100 Merlin se dresse. Il fait un grand geste de mage. 6+6 a
Dames, seigneurs, château, tout disparaît soudain. 6+6 b
Et Viviane dit : « Oh ! comme c’est dommage ! 6+6 a
« Ami, si vous m’aimez, épargnez ce jardin. 6+6 b
Mais lui n’a déjà plus son allure farouche. 6+6 c
105 C’est, comme tout à l’heure, un amoureux blondin. 6+6 b
— « Vois ces fleurs. Qu’en passant ta douce main les touche, 6+6 c
Leur tendre coloris sera plus éclatant ; 6+6 a
Elles n’auront jamais la frcheur de ta bouche. 6+6 c
« Ce jardin, où le ciel se regarde en chantant, 6+6 a
110 N’a pas le charme pur de ton adolescence. 6+6 b
Puisqu’il a su te plaire, accepte-le pourtant. » 6+6 a
Viviane rougit et, dans son innocence, 6+6 b
Elle frappe des mains et saute de plaisir. 6+6 c
Ses yeux sont pleins d’amour et de reconnaissance. 6+6 b
115 Passe un grand papillon. Il faut bien le saisir. 6+6 c
Preste comme le vent, elle vole où l’entraîne 6+6 a
L’aile capricieuse et tendre du désir. 6+6 c
Elle charme les lys de sa voix de sirène 6+6 a
Et parle couramment la langue des oiseaux ; 6+6 b
120 Le parterre magique a reconnu sa reine. 6+6 a
Mais qu’une demoiselle, au milieu des roseaux, 6+6 b
La frêle brusquement, elle revient, peureuse, 6+6 c
Près de Merlin, qui rêve au bord des claires eaux. 6+6 b
— « Ah ! que la vie est douce et que je suis heureuse ! 6+6 c
125 Comment faites-vous donc pour avoir tant d’esprit, 6+6 a
Mon beau page ? On dirait que je suis amoureuse. 6+6 c
« Pour que ce fût l’aurore et que mon cœur s’ouvrît, 6+6 a
Voyez : il a pourtant suffi d’une parole. » 6+6 b
Et ses lèvres s’en vont à Merlin, qui sourit. 6+6 a
130 Puis, entre deux baisers : — « Peut-être suis-je folle. 6+6 b
Emmenez-moi. J’ai tort de vous le demander, 6+6 c
Mais j’aurais tant de joie à vous suivre à l’école ! » 6+6 b
Le front baissé, comme un enfant qu’on va gronder, 6−6 c
Elle tombe à genoux. Son amant la relève ; 6+6 a
135 Sur son cœur à jamais il voudrait la garder. 6+6 c
Hélas ! cette heure d’or n’est pour lui qu’une trêve. 6+6 a
Arthur est encor faible et réclame son bras. 6+6 b
Il ne peut s’attarder dans le jardin du rêve. 6+6 a
— « Ô mon enfant chéri, jamais tu n’aimeras 6+6 b
140 Comme je t’aime. Adieu. Les anémones blanches 6+6 c
Fleuriront de nouveau quand tu me reverras. » 6+6 b
— « Me quitter !… — « Vois, dé le soleil sous les branches 6+6 c
Ne jette autour de nous qu’un reflet adouci. 6+6 a
Quand tu me reverras fleuriront les pervenches. 6+6 c
145 « Ce que tu veux, enfant, je le voudrais aussi. 6+6 a
Ne pleure pas ; mon cœur est tien, comme naguère. 6+6 b
Si tu crois à l’amour, il faut m’attendre ici. » 6+6 a
V
Un an s’est écoulé. Merlin revient de guerre. 6+6 b
Il a tant combattu qu’il se sent fatigué. 6+6 c
150 Bah ! la fatigue est loin. Car il n’y pense guère. 6+6 b
Par la forêt joyeuse il chemine, il est gai ; 6+6 c
Il est redevenu l’écolier en maraude 6+6 a
Qui chante la jeunesse et l’espérance, ô gué. 6+6 c
Un lièvre qui détale, une abeille qui rôde, 6+6 a
155 C’est tout ce qu’on peut voir et tout ce qu’on entend, 6+6 b
Et la lumière est d’or sous le bois d’émeraude. 6+6 a
Bientôt s’est éveillé le rossignol chantant. 6+6 b
Le bon Merlin lui rend ses devoirs, puis il pense 6+6 c
À l’oiseau merveilleux qui soupire et l’attend. 6+6 b
160 Arthur de tout service aujourd’hui le dispense. 6+6 c
Il est libre et voici le jardin sans pareil 6+6 a
Où comme un lys d’amour fleurit sa récompense. 6+6 c
Ô bonheur ! Viviane est là dans le soleil ; 6+6 a
À la claire fontaine elle rêve, seulette, 6+6 b
165 Et jamais un printemps n’eut le teint si vermeil. 6+6 a
Ce n’est plus la timide et simple bachelette 6+6 b
Qui tremblait comme un faon que le chasseur poursuit ; 6+6 c
La rose s’est ouverte après la violette. 6+6 b
Sa beauté, c’est le jour qui dissipe la nuit, 6+6 c
170 Le grand feu qu’on allume au sommet des montagnes ; 6+6 a
Sa divine jeunesse a la saveur d’un fruit. 6+6 c
Telle, au milieu des fleurs, ses rieuses campagnes, 6+6 a
Apparaît Viviane aux yeux de son amant. 6+6 b
Et lui, songe. Il a vu le soleil des Espagnes, 6+6 a
175 Il a bu l’âpre vin du pays Allemand 6+6 b
Et gté la douceur des filles d’Italie ; 6+6 c
Jamais il n’a connu pareil enchantement. 6+6 b
— « Oh ! pourquoi, Viviane, êtes-vous si jolie ? 6+6 c
Quand vous me regardez, qu’avez-vous dans les yeux ? 6+6 a
180 Il passe sur mon front comme un vent de folie. 6+6 c
« Devant ce frais visage à l’air impérieux 6+6 a
Je ne sais que plier les genoux comme un lâche. 6+6 b
Je tremble et rependant je vois s’ouvrir les cieux. » 6+6 a
Et Viviane dit : — « Qu’est-ce donc qui vous fâche ? 6+6 b
185 Si je suis belle ainsi, c’est de vous avoir plu. 6+6 c
Vous plaire est tout mon rêve et mon unique tâche. 6+6 b
« Tout ce qui charme en moi, le maître l’a voulu. 6+6 c
Ô maître, doux ami, rapportez-vous ce livre 6+6 a
Où, si près l’un de l’autre, un jour nous avons lu ? 6+6 c
190 « J’étais comme en prison. Votre voix me délivre. 6+6 a
Ne m’entendiez-vous pas ? Mon cœur vous appelait, 6+6 b
Allez dans la lumière et laissez-moi vous suivre. » 6+6 a
Ils se sont pris la main. Leur bonheur est complet, 6+6 b
Ils s’en vont effeuillant les roses du parterre, 6+6 c
195 Écoutant la fauvette et le rossignolet. 6+6 b
Merlin, qui tant de mois a vécu solitaire, 6+6 c
Contemple Viviane et ne peut s’en lasser. 6+6 a
Son cœur est si rempli qu’il a peine à se taire. 6+6 c
— « Peut-être, mon amour, vas-tu te courroucer. 6+6 a
200 Je ne suis pas l’enfant que je te parais être. 6+6 b
J’ai l’habit d’un danseur et ne sais pas danser. 6+6 a
« Mon nom d’ailleurs est grand et tu dois le connaître. 6+6 b
On m’appelle Merlin. Les Mages d’Orient 6+6 c
Comme les gens d’Arthur m’ont proclamé le Maître. » 6+6 b
205 Oh ! que l’œil de la belle est devenu brillant ! 6+6 c
— « Bel ami, doux ami, vous manquez de prudence. 6+6 a
J’avais tout deviné, dit-elle en souriant. 6+6 c
« Si vous n’étiez qu’un page, un marjolet qui danse, 6+6 a
Auriez-vous en mon cœur allumé si grand feu ! 6+6 b
210 Un beau merci pourtant pour votre confidence. » — 6+6 a
VI
C’est l’heure du silence et l’heure de l’adieu. 6+6 b
Sur le jardin qu’endort une béatitude 6+6 c
La nuit délicieuse étend son manteau bleu. 6+6 b
Grand Dieu, qu’a Viviane et quelle inquiétude ! 6+6 c
215 Dans les bras de Merlin elle parle en rêvant : 6+6 a
— « Mon âme pour aimer n’a pas besoin d’étude ; 6+6 c
« Mais vous, mon roi, mais vous, le mage et le savant, 6+6 a
Ne rougirez-vous pas d’une si pauvre amante, 6+6 b
Vous qui faites pâlir jusqu’au soleil levant ? » 6+6 a
220 Et Merlin, attentif à ce qui la tourmente, 6+6 b
La berce en chantonnant, comme un enfant mutin, 6+6 c
Et baise mille fois sa figure charmante. 6+6 b
Pour vaincre sa tristesse il évoque un lutin 6+6 c
Qui sur un cheveu blond de la lune gambade, 6+6 a
225 Éveillant jusqu’aux fleurs, de son rire argentin. 6+6 c
Des violons cachés soupirent une aubade, 6+6 a
Et Viviane enfin sourit au point du jour. 6+6 b
L’Aurore a triomphé de son esprit malade. 6+6 a
Elle est folle, elle chante et jase tour à tour. 6+6 b
230 Mais quand revient la nuit, à l’heure décevante 6+6 c
Où l’homme le plus fort succombe sous l’amour : 6+6 b
— « Ah ! dit-elle, à vos pieds voyez votre servante, 6+6 c
Ne m’apprendrez-vous pas quelque beau talisman ? 6+6 a
Hélas ! j’ai tant besoin de devenir savante ! » 6+6 c
235 — « Savante ! Mon amour, y penses-tu vraiment ? 6+6 a
À peine tu parais, que la terre est charmée. 6+6 b
Ta jeunesse est encor le meilleur nécromant. » 6+6 a
— « Non, je le vois, jamais vous ne m’avez aie, 6+6 b
Vous me croyez bien sotte. » — Et l’enfant en courroux 6+6 c
240 Tremble comme un roseau dans la nuit parfue. 6+6 b
— « Vive Dieu, fait Merlin, m’amour, consolez-vous. 6+6 c
On me dit tout-puissant, mais c’est chose bien vaine 6+6 a
Que mon pauvre savoir auprès de vos yeux doux. » 6+6 c
Il lui montre comment on fait pousser l’aveine 6+6 a
245 Ou sourdre en plein désert une source d’argent, 6+6 b
Et tous les grands secrets qu’on lit dans la verveine. 6+6 a
Comme une fine guêpe au corselet changeant, 6+6 b
Au milieu des bosquets éclatants de lumière, 6+6 c
Viviane babille et s’en va voltigeant. 6+6 b
VII
250 Et la vie a repris sa marche coutumière. 6+6 c
Le jour s’en est allé, le jour est revenu. 6+6 a
Viviane, un matin, s’éveille la première. 6+6 c
Au cou de l’enchanteur elle met son bras nu, 6+6 a
Et, toute frissonnante encore, un peu lassée : 6+6 b
255 — « Je n’étais qu’une enfant quand je vous ai connu. 6+6 a
« Mais vous m’avez laissé lire en votre pene, 6+6 b
Mon maître ; je vous aime et je vous dis merci ; 6+6 c
J’ai vécu de nouveau quand vous m’avez bercée. 6+6 b
« C’est votre ouvrage à vous, la belle que voici. 6+6 c
260 Ah ! pour être parfaite, il lui manque une chose. 6+6 a
Hélas ! vous allez rire et j’ai tant de souci ! » 6+6 c
Merlin a répondu : — « Qu’est-ce donc, ô ma rose ? 6+6 a
Parlez, je vous écoute et vous le savez bien. » 6+6 b
Et Viviane : — « Enfin, j’essaierai…, mais je n’ose. 6+6 a
265 « Un désir m’est venu… Pas même… oh ! presque rien. 6+6 b
« Vous courroucerez-vous si j’en dis davantage ? » 6+6 c
Et, folâtre, elle met son cœur contre le sien. 6+6 b
— « Doux ami, qu’il fait bon vivre en notre ermitage ! 6+6 c
Je suis à vos genoux comme aux genoux d’un roi 6+6 a
270 Et vous êtes à moi, n’est-ce pas, sans partage. 6+6 c
« Je ne vous cache rien de mes rêves. Pourquoi, 6+6 a
Le soir, parlez-vous seul, sans que je puisse entendre ? 6+6 b
On dirait, à vous voir, que vous doutez de moi. 6+6 a
« S’il vous plaisait pourtant, je saurais bien comprendre 6+6 b
275 N’endormiriez-vous pas qui bon vous semblerait ? 6+6 c
Ami, le joli jeu ! le voudrais bien l’apprendre ? » 6+6 b
Merlin docilement lui livre son secret. 6+6 c
Mais la belle : — « Endormir quelqu’un, la belle affaire ! 6+6 a
Au premier vent qui passe il se réveillerait. 6+6 c
280 « Il faudrait qu’en riant à l’ami qu’on préfère 6+6 a
On le rendît, d’un charme, à jamais prisonnier ! 6+6 b
Oh ! quel tour amusant ! J’ai rêvé de le faire. » 6+6 a
Jamais son clair regard ne fut si printanier 6+6 b
Et toute l’aurore a passé dans son sourire. 6+6 c
285 « Accordez-moi ce vœu, maître ; c’est le dernier. » 6+6 b
Merlin, qui la comprend, la regarde et soupire. 6+6 c
— « Mon amour, mon enfant, ma Viviane !… — Et puis 6+6 a
Il est resté trois jours avant de lui rien dire. 6+6 c
Avant de lui rien dire il est resté trois nuits. 6+6 a
290 On n’entend frissonner, sous le vent qui défaille, 6+6 b
Que le jardin magique avec ses mille bruits. 6+6 a
VIII
Ô barde qui cherchiez lutteur à votre taille 6+6 b
Et défendiez vos droits de si rude façon, 6+6 c
Voici venir enfin la suprême bataille ! 6+6 b
295 Vous entriez en guerre avec une chanson. 6+6 c
Mais il est un danger que la vaillance ignore, 6+6 a
Un plus souple ennemi que le géant Saxon. 6+6 c
Viviane est si triste ! En vain le soleil dore 6+6 a
Le suave incarnat de sa jeunesse en fleur, 6+6 b
300 Elle pleure, en chantant, comme la mandragore. 6+6 a
Qu’elle est belle, si fraîche encor sous sa pâleur ! 6+6 b
Sa grâce languissante a cent fois plus de charmes, 6+6 c
Et le cœur de Merlin s’est rempli de douleur. 6+6 b
— « Arrivent les païens ; qu’on apporte mes armes ! 6+6 c
305 Les coups, même la mort, je puis tout endurer ; 6+6 a
Mais comment supporter de voir couler tes larmes ? 6+6 c
« Parle comme autrefois, enfant, viens te mirer, 6+6 a
Toujours insouciante et folle, en ma tendresse. 6+6 b
Je suis trop malheureux quand je te vois pleurer. » 6+6 a
310 Et Viviane alors l’embrasse et le caresse. 6+6 b
C’est le baiser qu’il a connu, mais plus divin ; 6+6 c
La même flamme encor, avec plus d’allégresse. 6+6 b
— « Peut-être vouliez-vous partir. Oh ! c’est en vain. 6+6 c
Votre amour sur mon front est comme un diadème. 6+6 a
315 Vous serez à jamais mon maître et mon devin. 6+6 c
« Un signe ; c’est assez. J’obéis, je vous aime. 6+6 a
Je suis à vous, c’est vrai, mais vous m’appartenez. 6+6 b
Regardez-moi sourire et vous ferez de même. 6+6 a
Clairons de la défaite, aux quatre vents sonnez ! 6+6 b
320 Viviane triomphe et Merlin s’abandonne. 6+6 c
Du même rayon rose ils sont illuminés. 6+6 b
— « Mon beau magicien, voyez si je suis bonne. 6+6 c
Je vous ai fait un lit dans l’or de mes cheveux ; 6+6 a
Mais il faut obéir lorsque je vous l’ordonne. 6+6 c
325 « Il me plaît, à mon tour, d’écouter vos aveux. 6+6 a
Ne suis-je pas l’enfant que vous avez choisie ? 6+6 b
N’êtes-vous pas venu pour accomplir mes vœux ? 6+6 a
« Pourquoi vous rebeller contre ma fantaisie ? 6+6 b
Puisque vous m’adorez, j’ai droit de commander. 6+6 c
330 C’est moi votre science et votre poésie. 6+6 b
« Ce secret… Mon amour, pourriez-vous le garder ? 6+6 c
Ne suis-je pas votre âme ? — Et Merlin qui succombe 6+6 a
Ne pense qu’à l’entendre et qu’à la regarder. 6+6 c
Oh ! ce bras plus léger qu’une aile de colombe, 6+6 a
335 Ces yeux étincelants comme le soleil d’août, 6+6 b
Cette blancheur pareille à la neige qui tombe ! 6+6 a
Et ces lèvres !… Merlin sent bien qu’il est à bout. 6+6 b
— « Viviane, sans toi, comment pourrais-je vivre ? 6+6 c
Aime-moi seulement et je te dirai tout ! » 6+6 b
IX
340 Maintenant il chancelle. On croirait qu’il est ivre. 6+6 c
— « Adieu la blanche mer que fendaient mes vaisseaux 6+6 a
Et mon pays Gallois où resplendit le givre. 6+6 c
« Adieu mon pâle ciel et le chant des ruisseaux 6+6 a
Qui berça le sommeil de ma première enfance, 6+6 b
345 Adieu la verte lande avec ses arbrisseaux ! 6+6 a
« Mon pays, en tout temps, j’ai pris votre défense. 6+6 b
Dans la joie ou le deuil je vous ai bien servi. 6+6 c
Souvenez-vous de moi si quelqu’un vous offense. 6+6 b
« Et vous, mes compagnons, vous qui m’avez suivi 6+6 c
350 Contre le roi d’Islande et le Saxon vorace, 6+6 a
Vous qu’un rêve de gloire enflammait à l’envi, 6+6 c
« Ô le sang de mon cœur et la fleur de ma race, 6+6 a
Gardez fidèlement le trésor des aïeux ; 6+6 b
Faites que nos enfants marchent sur notre trace. 6+6 a
355 « Les jeunes, c’est la loi, poussent du pied les vieux. 6+6 b
Mais quand reverdira le temps des primevères, 6+6 c
Entonnez bravement quelque refrain joyeux. 6+6 b
« Dans le courtil en fleur entre-choquez vos verres, 6+6 c
Rappelez-vous, enfants, le Merlin d’autrefois, 6+6 a
360 Et que vos jugements ne soient pas trop sévères. 6+6 c
« Les temps sont accomplis. Dieu l’a voulu. Ma voix 6+6 a
Ne retentira plus dans les champs de Cambrie. 6+6 b
Je ne poursuivrai plus le sanglier des bois. 6+6 a
« Vienne le dragon rouge ou la louve en furie, 6+6 b
365 Ma puissance est à terre et mon bras désarmé. 6+6 c
Que d’autres à présent gardent la bergerie. 6+6 b
« Arthur, mon souverain, vous que j’ai tant aimé, 6+6 c
Soyez mon héritier, achevez mon ouvrage ; 6+6 a
Protégez comme moi le faible et l’opprimé. 6+6 c
370 « J’ai lutté de mon mieux et vécu sans outrage. 6+6 a
Je défiais la mort comme la trahison. 6+6 b
Pareil au tiercelet, j’ai crié dans l’orage. 6+6 a
« C’est fini ; je m’en vais. La lune à l’horizon, 6+6 b
Comme une fleur, pâlit, pâlit. L’heure est prochaine. 6+6 c
375 On bâtit, cette nuit, les murs de ma prison. 6+6 b
« Le bois dont elle est faite est plus dur que le chêne, 6+6 c
Il est plus parfu que le bois d’oranger, 6+6 a
Et c’est en souriant que j’ai forgé ma chaîne. 6+6 c
« Ô ma harpe galloise, adieu ton chant léger. 6+6 a
380 Toi si pure, vas-tu frissonner sous l’orgie ? 6+6 b
Pourras-tu supporter la main d’un étranger ? 6+6 a
« Et vous par qui je meurs, adieu, belle magie, 6+6 b
Fanez-vous, ma verveine, aux doigts de l’impuissant. 6+6 c
Puisque j’entre en servage, adieu mon énergie ! » 6+6 b
385 Viviane sourit d’un sourire innocent, 6+6 c
Doux comme la jeunesse et comme la fortune, 6+6 a
Et le Sage à ses pieds se couche, obéissant. 6+6 c
Elle a pris dans ses mains la belle tête brune 6+6 a
Qu’elle baise, en pleurant, d’un air passionné ; 6+6 b
390 Ses yeux ont le bleu tendre et changeant de la lune. 6+6 a
Puis autour d’un rosier elle a sept fois tourné, 6+6 b
En murmurant sept fois l’incantation lente. 6+6 c
Merlin s’endort. C’est fait ; il est emprisonné. 6+6 b
X
Les grands arbres, les fleurs, la fontaine coulante 6+6 c
395 Se sont évanouis comme un songe, et l’enfant, 6+6 a
Fière de son triomphe, en est toute tremblante. 6+6 c
Elle jette à l’entour un regard triomphant. 6+6 a
Et voici qu’un château miraculeux se dresse 6+6 b
Et qu’au loin retentit le son de l’olifant. 6+6 a
400 Un château s’est dressé dont elle est la mtresse, 6+6 b
Où restera fidèle, ah ! pour l’éternité ! 6+6 c
L’enchanteur aux genoux de son enchanteresse. 6+6 b
Merlin voit devant lui sa dame de beauté, 6+6 c
Et, sur un lit de pourpre, indolemment respire 6+6 a
405 L’ineffable senteur de la rose d’été. 6+6 c
Au seuil de cet Éden toute misère expire. 6+6 a
Une brise odorante y souffle mollement ; 6+6 b
C’est le pays du Rêve et l’amoureux empire. 6+6 a
Le rossignol s’éveille et chante son tourment. 6+6 b
410 Des couples d’autrefois il célèbre la gloire ; 6+6 c
Il dit le mal divin qu’on éprouve en aimant. 6+6 b
Une eau fraîche murmure en des vasques d’ivoire. 6+6 c
Mille fleurs, dans l’azur, aiment à s’y baigner. 6+6 a
Mille oiselets à l’aile rose y viennent boire. 4+4+4 c
415 Viviane les flatte et se plaît à régner 6+6 a
Sur sa cour qui volette avec effronterie, 6+6 b
Quand la reine aux yeux bleus commence à se peigner. 6+6 a
Comme une aube d’avril elle est toute fleurie. 6+6 b
Sur ses robes couleur du soleil du matin 6+6 c
420 Brillent tous les joyaux du pays de féerie. 6+6 b
Mais ses lèvres encore ont la frcheur du thym ; 6+6 c
Son visage a gardé sa grâce naturelle, 6+6 a
On ne sait quoi de tendre et de presque enfantin. 6+6 c
Elle rit franchement comme une pastourelle. 6+6 a
425 Son maître est désormais le rossignol charmeur ; 6+6 b
Un voile de douceur s’est répandu sur elle. 6+6 a
Parfois Merlin s’agite. Une sourde rumeur 6+6 b
Du château léthargique a troublé le silence. 6+6 c
Un lointain bruit de guerre éveille le dormeur. 6+6 b
430 Puis la bataille éclate avec sa violence. 6+6 c
Merlin gronde. Il entend les chevaux s’écraser. 6+6 a
Holà ? mes gens, à moi ! Qu’on décroche ma lance ! » 6+6 c
Mais Viviane chante afin de l’apaiser. 6+6 a
Sur l’épaule du barde elle met sa main douce 6+6 b
435 Et lui montre sa bouche où fleurit le baiser. 6+6 a
— « Écoutez, mon amour, la verveine qui pousse. 6+6 b
Endormez-vous, tranquille, en la paix de mes seins. 6+6 c
Que mon corps à jamais soit votre lit de mousse. 6+6 b
« Je veux que mes bras blancs vous servent de coussins. 6+6 c
440 Mes lèvres souriront si votre cœur est triste ; 6+6 a
Si vous souffrez, mes yeux seront vos médecins. » 6+6 c
Sa fine gorge est rose à travers la batiste. 6+6 a
Ses cheveux envolés lui font un nimbe d’or. 6+6 b
Elle sait bien, l’enfant, que rien ne lui résiste. 6+6 a
445 Ainsi, dans ce féerique et radieux décor, 6+6 b
Les amants enchantés laissent couler leur vie. 6+6 c
Les siècles passeront. Ils s’aimeront encor. 6+6 b
L’heure ici va, légère, et d’une aile ravie, 6+6 c
Comme un oiseau qui vole à travers la clarté ; 6+6 a
450 D’une autre, plus charmante, elle sera suivie. 6+6 c
L’amante gardera sa folle royauté, 6+6 a
Et l’amant bien épris bénira son servage, 6+6 b
Tant qu’il aura sa douce reine à son côté. 4+4+4 a
Qu’au loin le vent bataille avec la mer sauvage ! 6+6 b
455 La galère d’argent qui porte leur amour 6+6 c
Restera, dans les fleurs, enchnée au rivage. 6+6 b
Ils verront sans regret s’envoler tour à tour 6+6 c
Leurs songes, plus légers que le vol d’une abeille ; 6+6 a
Ils seront toujours beaux comme le point du jour. 6+6 c
460 La tendresse en leurs cœurs sera toujours pareille ; 6+6 a
Sans se lasser jamais, leurs baisers chanteront, 6+6 b
Comme un nid dans les bois, que le matin réveille. 6+6 a
Ils iront côte à côte, une lueur au front, 6+6 b
Et, les soleils couchés, quand finira le monde, 6+6 c
465 Une dernière fois leurs lèvres se joindront. 6+6 b
Je ne plains pas Merlin, prisonnier de sa blonde ! 6+6 c
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