Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
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F = "e" féminin
| = césure
VHR_3/VHR122
Émile VERHAEREN
LES SOIRS
1887
LES FLAMBEAUX NOIRS
1890
III
PROJECTION EXTÉRIEURE
LES VILLES
Odeurs de suif, crasses de peaux, marcs de bitumes ! 4+4+4 a
Tel qu’un lourd souvenir lourd de rêves, debout 6+6 b
Dans la fumée énorme et jaune, dans les brumes, 6+6 a
Grande de soir ! la ville inextricable bout 6+6 b
5 Et roule, ainsi que des reptiles noirs, ses rues 6−6 a
Noires, autour des ponts, des docks et des hangars, 6+6 b
Où des feux de pétrole et des torches bourrues, 6+6 a
Comme des gestes fous et des masques hagards 6+6 b
— Batailles d’ombre et d’or — s’empoignent en ténèbres. 6+6 a
10 Un colossal bruit d’eau roule, les nuits, les jours, 6+6 b
Roule les lents retours et les départs funèbres 6+6 a
De la mer vers la mer et des voiles toujours 6+6 b
Vers les voiles, tandis que d’immenses usines 6+6 a
Indomptables, avec marteaux cassant du fer, 6+6 b
15 Avec cycles d’acier virant leurs gelasines, 6+6 a
Tordent au bord des quais — tels des membres de chair, 6+6 b
Écartelés sur des crochets et sur des roues — 6−6 a
Leurs lanières de peine et leurs volants d’ennui. 6+6 b
Au loin, de longs tunnels fumeux, au loin, des boues 6+6 a
20 Et des gueules d’égout engloutissant la nuit ; 6+6 b
Et stride un tout à coup de cri, stride et s’éraille : 6+6 a
Et trains, voici les trains qui vont plaquant les ponts, 6+6 b
Les trains qui vont battant le rail et la ferraille, 6+6 a
Qui vont et vont mangés par les sous-sols profonds 6+6 b
25 Et revomis, là-bas, vers les gares lointaines, 6+6 a
Les trains, là-bas, les trains tumultueux — partis. 6+6 b
Tonneaux de poix, flaques d’huiles, ballots de laine ! 4+8 a
Bois des îles cubant vos larges abatis, 6+6 b
Peaux de fauves, avec, au bout, vos griffes mortes 6+6 a
30 Lamentables, cornes de buffle et dents d’aurochs 8+4 b
Et reptiles, lamés d’éclair, pendus aux portes. 6+6 a
Ô cet orgueil des vieux déserts, vendu par blocs, 6+6 b
Par tas ; vendu ! ce roux orgueil vaincu de bêtes 6+6 a
Solitaires ; oursons d’ébène et tigres d’or, 6+6 b
35 Poissons des lacs, aigles des monts, lions des crêtes, 4+4+4 a
Hurleurs du Sahara, hurleurs du Labrador, 6+6 b
Rois de la force errante, au clair des nuits australes ! 6+6 a
Hélas, voici pour vous, voici les pavés noirs, 6+6 b
Les camions brutaux, les caves humorales, 6+6 a
40 Et les ballots et les barils ; voici les soirs 6−6 b
Du Nord, les mornes soirs, obscurs de leur lumière, 6+6 a
Où pourrissent les chairs mortes du vieux soleil. 6+6 b
Voici Londres cuvant en des brouillards de bière, 6+6 a
Énormément son rêve d’or et son sommeil 4+4+4 b
45 Suragité de fièvre et de cauchemars rouges ; 6+6 a
Voici le vieux Londres et son fleuve grandir 4+8 b
Comme un songe dans un songe, voici ses bouges 6−6 a
Et ses chantiers et ses comptoirs s’approfondir 6−6 b
En dédales et se creuser en taupinées, 6−6 a
50 Et par-dessus, dans l’air de zinc et de nickel, 6+6 b
Flèches, dards, coupoles, beffrois et cheminées, 8+4 a
— Tourments de pierre et d’ombre — éclatés vers le ciel. 6+6 b
Soif de lucre, combat du troc, ardeur de bourse ! 6+6 a
Ô mon âme, ces mains en prière vers l’or, 6+6 b
55 Ces mains monstrueuses vers l’or — et puis la course 8+4 a
Des millions de pas vers le lointain Thabor 6+6 b
De l’or, là-bas, en quelque immensité de rêve, 6+6 a
Immensément debout, immensément en bloc ? 6+6 b
Des voix, des cris, des angoisses, — le jour s’achève, 4+8 a
60 La nuit revient — des voix, des cris, le heurt, le choc 6+6 b
Des acharnés labeurs, des rageuses batailles, 6+6 a
En tels bureaux, grinçant, de leurs plumes de fer, 6+6 b
Sous le pli des plafonds et le gaz des murailles, 6+6 a
La lutte de demain contre la lutte d’hier. 6+6 b
65 L’or contre l’or et la banque contre la banque… 6−6 a
S’anéantir mon âme en ce féroce effort 6+6 b
De tous, s’y perdre et s’y broyer ! Voici la tranque, 6+6 a
La bêche et le charroi qui labourent de l’or 6+6 b
En des sillons de fièvre. Ô mon âme éclatée 6+6 a
70 Et furieuse ! ô mon âme folle de vent 6−6 b
Hagard, mon âme énormément désorbitée, 4+4+4 a
Salis-toi donc et meurs de ton mépris fervent ! 6+6 b
Voici la ville en or des rouges alchimies, 6+6 a
Où te fondre le cœur en un creuset nouveau 6+6 b
75 Et t’affoler d’un orage d’antinomies 4+8 a
Si fort qu’il foudroiera tes nerfs jusqu’au cerveau ! 6+6 b
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