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F = "e" féminin
| = césure
VHR_2/VHR43
Émile VERHAEREN
LES MOINES
1885
LES CLOÎTRES
Aux siècles féodaux, | quand tiares et croix 6+6 a
Soudainement dans les | guerres dégringolées, 6−6 b
S’ensanglantaient autant | que les glaives des rois 6+6 a
Et se cassaient au heurt | des superbes mêlées, 6+6 b
5 Les évêques jugeaient | la plainte et le grief ; 6+6 a
Leur donjon mordait l’air | de ses créneaux gothiques ; 6+6 b
Ils n’avaient cure et soin | jamais que de leur fief ; 6+6 a
Ils se disaient issus | des déesses mythiques ; 6+6 b
Leurs cœurs étaient d’airain, | mais leurs cerveaux battus, 6+6 a
10 Comme une enclume en bronze, | étaient tintants de gloire. 6+6 b
Ces temps passaient de fer | et de splendeur vêtus 6+6 a
Et le progrès n’avait | encor de sa râcloire 6+6 b
Rien enlevé de grand, | de féroce et de gourd 6+6 a
Au monde, où se taillaient | les blocs des épopées. 6+6 b
15 Quelque moine en était | le dompteur rouge et lourd, 6+6 a
Mais moins à coups de croix | qu’à taillades d’épées, 6+6 b
Il inspirait, au peuple | agenouillé, frayeur ; 6+6 a
Aux grands, respect ; aux chefs, | il parlait de puissance 6+6 b
Qui leur venait d’en haut | et plongeait en torpeur 6+6 a
20 Les serfs dont il fallait | étouffer la croissance. 6+6 b
Et naquirent alors | des cloîtres fabuleux, 6+6 a
En des enfoncements | de bois et de mystères : 6+6 b
D’abord gardiens sacrés | de morts miraculeux, 6+6 a
Ils vécurent ayant | des rois pour donataires, 6+6 b
25 Et des princes, vassaux | de Dieu, pour protecteurs ; 6+6 a
Ils devinrent château, | puis bourgade et village ; 6+6 b
Ils grandirent — cité | géante — et leurs tuteurs 6+6 a
Mirent le féodal | pouvoir en attelage 6+6 b
Au-devant de leur brusque | et triomphal soleil. 6+6 a
30 Et, dans ce flamboiement | de grandeurs monastiques, 6+6 b
Sur le trône de pourpre | et sous le dais vermeil, 6+6 a
S’élargissait l’orgueil | des grands abbés gothiques : 6+6 b
Hommes sacrés, couverts | du manteau suzerain, 6+6 a
Éblouissant leur temps | de leurs majestés pâles 6+6 b
35 Et, pareils à des dieux | de granit et d’airain, 6+6 a
Assis, les pieds croisés | sur les foudres papales. 6+6 b
C’était au fond de ces | monastères hautains 6−6 a
Que le dogme du Christ, | ouvrant ses bras au monde, 6+6 b
S’armait pour l’avenir | et forgeait ses destins. 6+6 a
40 Les moines travaillés | de passion féconde, 6+6 b
Portant des cœurs de fer | dans leurs torses de feu, 6+6 a
Trop lourds pour s’appuyer | sur la raison fragile, 6+6 b
Dans les buccins faisaient | sonner le nouveau Dieu. 6+6 a
Sur un pavois de guerre | ils dressaient l’Évangile, 6+6 b
45 La garde de leur glaive | était sculptée en croix, 6+6 a
Saint Michel écrasait | la payenne Bellone, 6+6 b
Et Rome avait un roi | qui par-dessus les rois 6+6 a
Haussait un front bâti | pour la triple couronne. 6+6 b
Ils trônèrent pareils, | les cloîtres lumineux, 6+6 a
50 Jusqu’au jour où les vents | de la Grèce fatale 6+6 b
Jetèrent brusquement | leurs souffles vénéneux 6+6 a
À travers la candeur | de l’âme occidentale. 6+6 b
Le monde émerveillé | s’emplit d’esprit nouveau. 6+6 a
Mais les moines soudain | grandirent à sa taille, 6+6 b
55 La puissance monta | des bras à leur cerveau : 6+6 a
Eux qui jadis, géants | d’orgueil de la bataille, 6+6 b
Passaient, pennons au vent, | dans les rouges assauts, 6+6 a
Se dressèrent, géants | d’étude et de pensée. 6+6 b
Ils portèrent ainsi | que de puissants faisceaux 6+6 a
60 Devant leur Christ nié, | devant leur foi chassée, 6+6 b
Qui se penchait déjà | du côté de la nuit, 6+6 a
Leur cœur brûlant toujours | de sa flamme première. 6+6 b
Et l’idéal superbe | et noir fut reconstruit, 6+6 a
Et tout en haut la croix | monta dans la lumière. 6+6 b
65 Et les livres chrétiens, | les Sommes, les Décrets, 6+6 a
Les grands éclairs jetés | au loin par les génies 6+6 b
Sur la philosophie | humaine et ses secrets, 6+6 a
Sur les mondes, les cieux, | les morts, les agonies, 6+6 b
Les éternels pourquois | et le tressaillement 6+6 a
70 De l’univers en proie | aux angoisses mystiques, 6+6 b
Et les dogmes nimbés, | mélancoliquement, 6+6 a
Et s’asseyant rêveurs, | dans leur robes gothiques, 6+6 b
Et les torches, avec | des crinières de sang 6+6 a
Échevelant au loin | leur clarté mortuaire 6+6 b
75 Sur les peuples chrétiens | frappés, le doute au flanc, 6+6 a
Et la blancheur du lange | et celle du suaire, 6+6 b
Un monde qui commence, | un monde qui finit, 6+6 a
Tout un dardement d’or | de lumière mêlée 6+6 b
Refrappa de splendeur | l’assise du granit, 6+6 a
80 Où les moines dressaient | leur foi renouvelée. 6+6 b
Tels se maintinrent-ils — | et rien de leur orgueil 6+6 a
N’était depuis mille ans | descendu de leur tête. 6+6 b
Mais aujourd’hui, dans le | mépris et dans le deuil, 6−6 a
Dans l’isolement blême | où leur fierté végète, 6+6 b
85 Dans le dédain, c’est à | jamais qu’ils sont défunts, 6−6 a
Qu’ils sont couchés, qu’ils sont | endormis dans leurs coules, 6+6 b
Qu’ils sont les morts, les morts | sans cierges, sans parfums, 6+6 a
Sans pleurs, les morts géants | insultés par les foules, 6+6 b
Au fond des cloîtres froids | et des caveaux scellés, 6+6 a
90 Au loin, dans leur silence | et dans leur cimetière. 6+6 b
Pauvres moines ! — ou Dieu | vous a-t-il consolés 6+6 a
Et donné votre part | de ciel et de lumière ? 6+6 b
mètre profil métrique : 6−6
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