Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
VHR_2/VHR42
Émile VERHAEREN
LES MOINES
1885
L’HÉRÉSIARQUE
Et là, ce moine noir, | que vêt un froc de deuil, 6+6 a
Construit, dans sa pensée, | un monument d’orgueil. 6+6 a
Il le bâtit, tout seul, | de ses mains taciturnes, 6+6 a
Durant la veille ardente | et les fièvres nocturnes. 6+6 a
5 Il le dresse, d’un jet, | sur les Crédos béants, 6+6 a
Comme un phare de pierre | au bord des océans, 6+6 a
Il y scelle sa fougue | et son ardeur mystique, 6+6 a
Et sa fausse science | et son doute ascétique, 6+6 a
Il y jette sa force | et sa raison de fer, 6+6 a
10 Et le feu de son âme | et le cri de sa chair, 6+6 a
Et l’œuvre est là, debout, | comme une tour vivante, 6+6 a
Dardant toujours plus haut | sa tranquille épouvante, 6+6 a
Empruntant sa grandeur | à son isolement, 6+6 a
Sous le défi serein | et clair du firmament, 6+6 a
15 Cependant qu’au sommet | des rigides spirales 6+6 a
Luisent sinistrement, | comme des joyaux pâles, 6+6 a
Comme de froids regards, | toisant Dieu dans les cieux, 6+6 a
Les blasphèmes du grand | moine silencieux. 6+6 a
Aussi vit-il, tel qu’un | suspect parmi ses frères, 6+6 a
20 Tombeau désert, vidé | de vases cinéraires, 6+6 a
Damné d’ombre et de soir, | que Satan ronge et mord, 6+6 a
Lépreux moral, chauffant | contre sa peau la mort, 6+6 a
Le cœur tortionné, | durant des nuits entières, 6+6 a
La bouche morte aux chants | sacrés, morte aux prières, 6+6 a
25 Le cerveau fatigué | d’énormes tensions, 6+6 a
Les yeux brûlés au feu | rouge des visions, 6+6 a
Le courage hésitant, | malgré les clairvoyances, 6+6 a
À rompre effrayamment | le plain-chant des croyances, 6+6 a
Qui par le monde entier | s’en vont prenant l’essor 6+6 a
30 Et dont Rome, là-bas, | est le colombier d’or, 6+6 a
Jusqu’au jour où, poussé | par sa haine trop forte, 6+6 a
Il se possède enfin | et clame sa foi morte 6+6 a
Et se carre massif, | sous l’azur déployé, 6+6 a
Avec son large front | vermeil de foudroyé. 6+6 a
35 Alors il sera grand | de la grandeur humaine, 6+6 a
Son orgueil flamboiera | sous la foudre romaine, 6+6 a
Son nom sera crié | dans la rage et l’amour, 6+6 a
Son ombre, projetée, | obscurcira le jour, 6+6 a
Les prêches, les écrits, | les diètes, les écoles, 6+6 a
40 Les sectes germeront | autour de ses paroles, 6+6 a
Le monde entier, promis | par les papes aux rois, 6+6 a
Sur le vieux sol chrétien | verra trembler la croix, 6+6 a
Les disputes, les cris, | les querelles, les haines, 6+6 a
Les passions et les | fureurs, rompant leurs chaînes, 6−6 a
45 Ainsi qu’un troupeau roux | de grands fauves lâchés, 6+6 a
Broieront, entre leurs dents, | les dogmes desséchés, 6+6 a
Un vent venu des loins | antiques de la terre 6+6 a
Éteindra les flambeaux | autour du sanctuaire, 6+6 a
Et la nuit l’emplira | morne, comme un cercueil, 6+6 a
50 Depuis l’autel désert | jusqu’aux marches du seuil, 6+6 a
Tandis qu’à l’horizon | luiront des incendies, 6+6 a
Des glaives furieux | et des crosses brandies. 6+6 a
mètre profil métrique : 6−6
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