Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
VHR_1/VHR30
Émile VERHAEREN
LES FLAMANDES
1883
AMOURS ROUGES
Et qu'importent les mots | méchants et les parlotes 6+6 a
S'ils ont la volupté | de se sentir à deux ? 6+6 b
Que lui font l'œil mauvais | et les cris de bigotes, 6+6 a
Quand au soit, descendant, | au long du chemin creux. 6+6 b
5 Il la sent s'allumer | de charnelles tendresses, 6+6 a
Qu'il l'étreint contre lui, | regarde longuement 6+6 b
Son cou large, où sont faits | des coins pour les caresses, 6+6 a
Ses yeux d'où sort l'ardeur | de son embrasement ; 6+6 b
Qu'elle vibre et s'affole | et s'offre tout entière, 6+6 a
10 Que la rage d'aimer | l'enflamme, qu'elle veut, 6+6 b
Tant le sang de son cœur | lui brûle chaque artère, 6+6 a
Tant hurlent ses désirs | et ses instincts en feu, 6+6 b
Ne faire de son corps | qu'une table dressée, 6+6 a
Où son gars mangerait | et boirait jusqu'au jour, 6+6 b
15 La bouche gloutonnante | et la manche troussée. 6+6 a
Tout un festin de chair, | de jeunesse et d'amour ! 6+6 b
Et pendant qu'il la chauffe, | ils vont par les saulaies, 6+6 a
Par les sentiers moussus, | faits pour s'en aller deux, 6+6 b
Ils vont toujours, tirant | les feuilles hors des haies, 6+6 a
20 Les mordant avec fièvre | et les jetant loin d'eux. 6+6 b
Il confie en riant | ce qui troublait sa tête, 6+6 a
Avant qu'il n'eût espoir | certain de l'épouser, 6+6 b
Il se rappelle encor — | tout comme elle — la fête 6+6 a
Où de force il plaqua | ses lèvres d'un baiser. 6+6 b
25 Mais c'est elle, à présent, | qui s'en poisse la bouche. 6+6 a
Qui s'en soûle et s'en gave | aux godailles d'amour, 6+6 b
Au grand air, sous l'éclat | du soleil qui se couche 6+6 a
Et dans le rouge adieu | de la nature au jour. 6+6 b
Et d'un commun accord, | sans pourtant se rien dire. 6+6 a
30 Au coude d'un chemin | menant droit aux fouillis, 6+6 b
Le cœur battant son plein, | le visage en sourire. 6+6 a
Ils cherchent où s'asseoir | dans l'épais des taillis. 6+6 b
Et près d'un blond carré | d'orge, dans la verdure 6+6 a
Fraîche et vibrante encore | et gazouilleuse au vent. 6+6 b
35 Ils dénichent, comme au | hasard, une encoignure. 6−6 a
Faite d'un bois derrière | et de buissons devant, 6+6 b
Un coin calme, où bruit | seule parmi l'épeautre, 6+6 a
La respiration | onduleuse des blés. 6+6 b
Se regardant toujours | et s'attirant l'un l'autre, 6+6 a
40 Ils se sont abattus, | haletants et troublés. 6+6 b
Et c'est alors un cri | des sens, une fringale, 6+6 a
Un assouvissement | de désirs et d'instincts, 6+6 b
Un combat chair à chair | de gouge avec son mâle, 6+6 a
Des étreintes de corps | à se briser les reins, 6+6 b
45 Des vautrements si fous | que l'herbe en est broyée 6+6 a
Comme après un assaut | de vents et de grêlons, 6+6 b
Les buissons cassés net | et la terre rayée 6+6 a
D'un grattage lascif | de pieds et de talons. 6+6 b
Elle sert de sa chair | autant qu'il en demande, 6+6 a
50 Sans crier, se débattre | ou simuler des peurs, 6+6 b
Ne craignant même plus | que le village entende 6+6 a
L'explosion d'amour, | qui saute de leurs cœurs. 6+6 b
Ils songent aux fureurs | échauffantes des bêtes, 6+6 a
Aux printemps allumant | l'ardeur dans les troupeaux, 6+6 b
55 Aux chevaux hennissants, | aux vaches toujours prêtes 6+6 a
A se courber au joug | amoureux des taureaux. 6+6 b
Et lui — roi de ce corps | pâmé, lui maître d'elle, 6+6 a
Le choisi, parmi tous, | pour mener le déduit, 6+6 b
La voyant dans ses bras | frissonner comme une aile, 6+6 a
60 Sent son orgueil de gars | puissant monter en lui. 6+6 b
Ses assauts enfiévrés | comme un choc de rafales 6+6 a
Traversent la fureur | de leurs accouplements, 6+6 b
Ses spasmes ont des cris | plus profonds que des râles, 6+6 a
Son rut bondit sur elle | avec des jappements, 6+6 b
65 Il voudrait l'accabler | dans une ardeur plénière, 6+6 a
Et lui broyer les sens | sous des poids de torpeur, 6+6 b
Et ce débordement | de lutte dernière 6+6 a
Devient rage à tel point | que leur amour fait peur. 6+6 b
Après l'ébruitement | du scandale au village, 6+6 a
70 Après de longs refus | brutaux, un temps viendra, 6+6 b
Où les parents vaincus | voudront le mariage ; 6+6 a
Et l'amant d'aujourd'hui, | son gars aimé, sera 6+6 b
Le même qu'on verra | venir, le jour des noces. 6+6 a
Lui donner l'anneau d'or | et conduire à l'autel, 6+6 b
75 Orné de cierges neufs | et de roses précoces, 6+6 a
Ses vingt ans agités | du frisson maternel. 6+6 b
mètre profil métrique : 6−6
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