Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
VHR_1/VHR25
Émile VERHAEREN
LES FLAMANDES
1883
LES PAYSANS
Ces hommes de labour,que Greuze affadissait 6+6 a
Dans les molles couleursde paysanneries, 6+6 b
Si proprets dans leur miseet si roses, que c'est 6+6 a
Motif gai de les voir,parmi les sucreries 6+6 b
5 D'un salon Louis-Quinzeanimer des pastels, 6+6 a
Les voici noirs, grossiers,bestiaux — ils sont tels. 6+6 a
Entre eux, ils sont parquéspar villages ; en somme, 6+6 a
Les gens des bourgs voisinssont, déjà l'étranger, 6+6 b
L'instrus qu'on doit haïr,l'ennemi fatal, l'homme 6+6 a
10 Qu'il faut tromper, qu'il fautleurrer, qu'il faut gruger. 6+6 b
La patrie ? Allons donc !Qui d'entre eux croit en elle ? 6+6 a
Elle leur prend des garspour les armer soldats, 6+6 b
Elle ne leur est pointla terre maternelle, 6+6 a
La terre fécondéeau travail de leurs bras. 6+6 b
15 La patrie ! on l'ignoreau fond de leur campagne. 6+6 a
Ce qu'ils voient vaguementdans un coin de cerveau, 6+6 b
C'est le roi, l'homme en or,fait comme Charlemagne, 6+6 a
Assis dans le veloursfrangé de son manteau ; 6+6 b
C'est tout un apparatde glaives, de couronnes, 6+6 a
20 Écussonnant les mursde palais lambrissés, 6+6 b
Que gardent des soldatsavec sabre à dragonnes. 6+6 a
Ils ne savent que çadu pouvoir. — C'est assez. 6+6 b
Au reste, leur esprit,balourd en toute chose, 6+6 a
Marcherait en sabotsà travers droit, devoir. 6+6 b
25 Justice et libertél'instinct les ankylose ; 6+6 a
Un almanach crasseux,voilà tout leur savoir ; 6+6 b
Et s'ils ont entendurugir, au loin, les villes, 6+6 a
Les révolutionsles ont tant effrayés, 6+6 b
Que, dans la lutte humaine,ils restent les serviles, 6+6 a
30 De peur, s'ils se cabraient,d'être un jour les broyés. 6+6 b
I
A droite, au long de noirschemins, creusés d'ornières, 6+6 a
Avec des tufs derrièreet des fumiers devant, 6+6 b
S'étendent, le toit bas,le mur nu, des chaumières, 6+6 a
Sous des lames de pluieet des soufflets de vent. 6+6 b
35 Ce sont leurs fermes. Là,c'est leur clocher d'église, 6+6 a
Taché de suintementsvert-de-grisés au nord, 6+6 b
Et plus loin, le solfumé se fertilise, 6+6 a
Grâce à l'acharnementdes herses qui le mord, 6+6 b
Sont leurs labours. La vieest close tout entière 6+6 a
40 Entre ces trois témoinsde leur rusticité, 6+6 b
Qui les ploient au servageet tiennent en lisière 6+6 a
L'effort de leur labeuret de leur âpreté. 6+6 b
Ils sont là, travaillantde leurs mains obstinées 6+6 a
Les terreaux noirs, l'humustout imprégné d'hiver, 6+6 b
45 Pourri de détrituset creux de taupinées ; 6+6 a
Ils bêchent, front en eau,du pied plantant le fer, 6+6 b
Le corps en deux, sur lessillons qu'ils ensemencent, 6−6 a
Sous les gréions de Marsqui flagellent leur dos. 6+6 b
L'été, quand les moissonsde seigle se balancent 6+6 a
50 Avec des éclats d'or,tombant des cieux à flots, 6+6 b
Les voici, dans le feudes jours longs et torrides, 6+6 a
Peinant encor, la fauxrasant les seigles mûrs, 6+6 b
La sueur découlantde leurs fronts tout en rides 6+6 a
Et transpeant leur peaudes bras jusqu'aux fémurs : 6+6 b
55 Midi darde ses raisde braise sur leurs têtes : 6+6 a
Si crue est la chaleur,qu'en des champs de méteil 6+6 b
Se cassent les épistrop secs et que les bêtes, 6+6 a
Le cou criblé de taons,ahannent au soleil. 6+6 b
Vienne Novembre avecses lentes agonies, 6+6 a
60 Et ses râles roulésà travers les bois sourds, 6+6 b
Ses sanglots hululants,ses plaintes infinies, 6+6 a
Ses glas de mort — et lesvoici suant toujours, 6−6 b
Préparant à nouveaules récoltes futures, 6+6 a
Sous un ciel débordantde nuages grossis, 6+6 b
65 Sous la bise, cinglantà ras les emblavures, 6+6 a
Et trouant les forêtsd'énormes abatis, 6+6 b
De sorte que leurs corpstombent vite en ruine, 6+6 a
Que jeunes, s'ils sont beaux,plantureux et massifs, 6+6 b
L'hiver qui les froidit,l'été qui les calcine, 6+6 a
70 Font leurs membres affreuxet leurs torses poussifs ; 6+6 b
Que vieux, portant le poidsrenversant des années, 6+6 a
Le dos cassé, les brasperclus, les yeux pourris, 6+6 b
Avec l'horreur sur leursfaces hérissonnées, 6−6 a
Ils roulent sous le ventqui s'acharne aux débris ; 6+6 b
75 Et qu'au temps la mortouvre vers eux ses portes, 6+6 a
Leur cercueil, descendantau fond des terrains mous, 6+6 b
Ne semble contenirque choses deux fois mortes. 6+6 a
II
Les soirs de vents en rageet de ciel en remous, 6+6 b
Les soirs de bise aux champset de neige essaimée, 6+6 a
80 Les vieux fermiers sont là,méditant, calculant, 6+6 b
Près des lampes, d' monteun filet de fumée. 6+6 a
La cuisine présenteun aspect désolant : 6+6 b
On soupe dans un coin,toute une ribambelle 6+6 a
D'enfants sales gloutonneaux restes d'un repas ; 6+6 b
85 Des chats osseux, râclés,lèchent des fonds d'écuelle ; 6+6 a
Des coqs tintent du beccontre l'étain des plats ; 6+6 b
L'humidité s'attacheaux murs lépreux ; dans l'âtre, 6+6 a
Quatre pauvres tisonsse tordent de maigreur, 6+6 b
Avec des jets mourantsd'une clarté rougeâtre ; 6+6 a
90 Et les vieux ont au frontdes pensers pleins d'aigreur. 6+6 b
«Bien qu'en toute saisontous travaillassent ferme, 6+6 a
Que chacun de son mieuxdonnât tout son appoint, 6+6 b
Voilà cent ans, de pèreen fils, que va la ferme, 6+6 a
Et que bon an, mal an,on reste au même point ; 6+6 b
95 Toujours même train-trainvoisinant la misère 6+6 a
Et c'est ce qui les rongeet les mord lentement. 6+6 b
Aussi la haine, ils l'onten eux comme un ulcère, 6+6 a
La haine patienteet sournoise, qui ment. 6+6 b
Leur bonhomie et leursrires couvent la rage ; 6−6 a
100 La méchanceté luitdans leurs regards glacés ; 6+6 b
Ils puent les fiels et lesrancœurs que, d'âge en âge, 6−6 a
Les souffrances en leursâmes ont amassés. 6−6 b
Ils sont âpres au gainminime ; ils sont sordides ; 6+6 a
Ne pouvant conquérirleur part, grâce au travail, 6+6 b
105 La lésine rend leurscœurs durs, leurs cœurs fétides ; 6−6 a
Et leur esprit est noir,mesquin, pris au détail, 6+6 b
Stupide et terrassédevant les grandes choses : 6+6 a
C'est à croire qu'ils n'ontjamais vers le soleil 6+6 b
Levé leurs yeux, ni vules couchants grandioses 6+6 a
110 S'étaler dans le soirainsi qu'un lac vermeil. 6+6 b
III
Aux kermesses pourtantles paysans font fête, 6+6 a
Même les plus crasseux,les plus ladres. Leurs gars 6+6 b
Y vont chercher femelleet s'y chauffer la tête. 6+6 a
Un fort repas, graisséde sauces et de lards, 6+6 b
115 Sale à point les gosierset les enflamme à boire. 6+6 a
On roule aux cabarets,goussets ronds, cœurs en feu, 6+6 b
On y bataille, on ycasse gueule et mâchoire 6−6 a
Aux gens du bourg voisin,qui voudraient, Nom de Dieu ! 6+6 b
Lécher trop goulûmentles filles du village 6+6 a
120 Et gloutonner un platde chair, qui n'est pas leur. 6+6 b
Tout l'argent mis à party passeen gaspillage, 6+6 a
En danse, en brocs offertsde sableur à sableur, 6+6 b
En bouteilles, gisantà terre en tas difformes. 6+6 a
Les plus fiers de leur forceont des gestes de roi 6+6 b
125 A rafler d'un seul traitdes pots de bière énormes, 6+6 a
Et leurs masques, plaquésde feu, dardant l'effroi, 6+6 b
Avec leurs yeux sanglantset leur bouche gluante, 6+6 a
Allument des soleilsdans le grouillement noir. 6+6 b
L'orgie avance et flambe.Une urine puante 6+6 a
130 Mousse en écume blancheaux fentes du trottoir. 6+6 b
Des soulards assomméstombent comme des bêtes ; 6+6 a
D'autres vaguent, serrantleurs pas, pour s'affermir ; 6+6 b
D'autres gueulent tout seulsquelques refrains de fêtes 6+6 a
Coupés de hoquets graset d'arrêts pour vomir. 6+6 b
135 Des bandes de braillardsfont des rondes au centre 6+6 a
Du bourg ; et les gars auxgouges faisant appel, 6−6 b
Les serrent à pleins bras,les cognent ventre à ventre, 6+6 a
Les lâchant, les cherchant,dans un assaut charnel, 6+6 b
Et les tombent, juponslevés, jambes ruantes. 6+6 a
140 Dans les bouges — lafumée en brouillards gris 6−6 b
Rampe et roule au plafond, les sueurs gluantes 6+6 a
Des corps chauffés et lessenteurs des corps flétris 6−6 b
Étament de vapeurles carreaux et les pintes — 6+6 a
A voir des bataillonsde couples se ruer 6+6 b
145 Toujours en plus grand nombreautour des tables peintes, 6+6 a
Il semble que les murssous le heurt vont craquer. 6+6 b
La slerie est làplus furieuse encore, 6+6 a
Qui trépigne et vacarmeet tempête, à travers 6+6 b
Des cris de flûte aiguëet de piston sonore. 6+6 a
150 Rustres en sarreaux bleus,vieilles en bonnets clairs, 6+6 b
Gamins hâves, fumantdes pipes ramassées, 6+6 a
Tout ça saute, cognantdes bras, grognant du groin, 6+6 b
Tapant des pieds. Parfoisles soudaines poussées 6+6 a
De nouveaux arrivantsécrasent dans un coin 6+6 b
155 Le quadrille fougueuxqui semble une bataille. 6+6 a
Et c'est alors à quigueulera le plus haut, 6+6 b
A qui repousserale flot vers la muraille, 6+6 a
Dût-il trouer son hommeà longs coups de couteau. 6+6 b
Mais l'orchestre aussitôtredouble ses crieries 6+6 a
160 Et, couvrant de son bruitles querelles des gars, 6+6 b
Les mêle tous en desfureurs de sauteries. 6−6 a
On se calme, on rigole,on trinque entre pochards, 6+6 b
Les femmes à leur tourse chauffent et se slent. 6+6 a
L'acide du désircharnel brûlant leur sang. 6+6 b
165 Et dans ces flots de corpssautants, de dos qui boulent. 6+6 a
L'instinct lâché devientà tel point rugissant 6+6 b
Qu'à voir garces et garsse débattre et se tordre, 6+6 a
Avec des heurts de corps,des cris, des coups de poings, 6+6 b
Des bonds à s'écraser,des rages à se mordre, 6+6 a
170 A les voir se roulerivres-morts dans les coins. 6+6 b
Se vautrant sur le sol,se heurtant aux bossages. 6+6 a
Suant, l'écume blancheaux lèvres, les deux mains. 6+6 b
Les dix doigts, saccageantet vidant les corsages, 6+6 a
On dirait — tant ces garsfougueux donnent des reins. 6+6 b
175 Tant sautent de fureurles croupes de leurs gouges — 6+6 a
Des ardeurs s'allumantau feu noir des viols. 6+6 b
Avant que le soleiln'arde de flammes rouges, 6+6 a
Et que les brouillards blancsne tombent à pleins vols, 6+6 b
Dans les bouges, on metun terme aux sleries. 6+6 a
180 La kermesse s'épuiseen des accablements, 6+6 b
La foule s'en retourne,et vers les métairies 6+6 a
On la voit dispartreavec des hurlements. 6+6 b
Les vieux fermiers aussi,les bras tombants, les trognes 6+6 a
Dégtantes de bièreet de gros vin sablés, 6+6 b
185 Gagnent, avec le paszigzaguant des ivrognes, 6+6 a
Leur ferme assise au loindans une mer de blés. 6+6 b
Mais au creux des fossésque les mousses veloutent, 6+6 a
Parmi les plants herbusd'un enclos marcher, 6+6 b
Au détour des sentiersgazonnés, ils écoutent 6+6 a
190 Rugir encor l'amouren des festins de chair. 6+6 b
Les buissons semblent êtrehabités par des fauves. 6+6 a
Des accouplements noirsbondissent par dessus 6+6 b
Les lins montants, l'avoineen fleur, les trèfles mauves, 6+6 a
Des cris de passionmontent ; on n'entend plus 6+6 b
195 Que des spasmes râlantsauxquels les chiens répondent. 6+6 a
Les vieux songent aux ansde jeunesse et d'ardeurs. 6+6 b
Chez eux, mêmes appelsd'amour qui se confondent. 6+6 a
Dans l'étable se sontglissés les maraudeurs, 6+6 b
la vachère coucheau milieu des fourrages, 6+6 a
200 Dans l'auge, dont les garsfont choix pour le déduit, 6+6 b
Mêmes enlacements,mêmes cris, mêmes rages, 6+6 a
Mêmes fureurs d'aimerrugissant dans la nuit. 6+6 b
Et dès qu'il est levé,le soleil, dès qu'il crève 6+6 a
De ses boulets de feule mur des horizons, 6+6 b
205 Voici qu'un étalon,réveillé dans son rêve, 6+6 a
Hennit et que les porcsébranlent leurs cloisons 6+6 b
Comme allumés par ladébauche environnante ; 6−6 a
Crête pourpre, des coqsse haussent sur le foin 6+6 b
Et sonnent le matinde leur voix claironnante ; 6+6 a
210 Des poulains attachésse cabrent dans un coin ; 6+6 b
Des chiens bergers, les yeuxflambant, guettent leurs lices ; 6+6 a
Et les naseaux souillants,les pieds fouillant le sol, 6+6 b
Des taureaux monstrueuxascendent les génisses. 6+6 a
Alors vautrés aussidans leur rut d'alcool, 6+6 b
215 Le sang battant leur cœuret leurs tempes blêmies, 6+6 a
Le gosier desséchéde spasmes étouffants, 6+6 b
Et cherchant à tâtonsleurs femmes endormies, 6+6 a
Eux, les fermiers, les vieux,font encor des enfants. 6+6 b
mètre profil métrique : 6−6
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