Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
VER_8/VER526
Paul VERLAINE
BONHEUR
1891
XV
Mon ami, ma plus belle amitié, ma meilleure, 6+6 a
— Les morts sont morts, douce leur soit l’éternité ! — 4+4+4 b
Laisse-moi te le dire en toute vérité, 6+6 b
Tu vins au temps marqué, tu parus à ton heure ; 6+6 a
5 Tu parus sur ma vie et tu vins dans mon cœur 6+6 a
Au jour climatérique où, noir vaisseau qui sombre, 6+6 b
J’allais noyer ma chair sous la débauche sombre, 6+6 b
Ma chair dolente, et mon esprit jadis vainqueur, 6−6 a
Et mon âme naguère et jadis toute blanche ! 6+6 a
10 Mais tu vins, tu parus, tu vins comme un voleur, 6+6 b
— Tel Christ viendra — voleur qui m’a pris mon malheur ! 6+6 b
Tu parus sur ma mer non pas comme une planche 6+6 a
De salut, mais le Salut même ! Ta vertu 4+4+4 a
Première, la gaieté, c’est elle-même, franche 6+6 b
15 Comme l’or, comme un bel oiseau sur une branche 6+6 b
Qui s’envole dans un brillant turlututu, 6−6 a
Emportant sur son aile électrique les ires 6+6 a
Et les affres et les tentations encor ; 6−6 b
Ton bon sens, — tel après du fifre c’est du cor, — 6+6 b
20 Vient paisiblement mettre une fin aux délires, 6+6 a
N’étant point, ô que non ! le prud’hommisme affreux, 6+6 a
Mais l’équilibre, mais la vision artiste, 6+6 b
Sûre et sincère et qui persiste et qui résiste 6+6 b
A l’argumentateur plat comme un songe-creux ; 6+6 a
25 Et ta bonté conforme à ta jeunesse, est verte, 6+6 a
Mais elle va mûrir délicieusement ! 6+6 b
Elle met dans tout moi le renouveau charmant 6+6 b
D’une sève éveillée et d’une âme entr’ouverte. 6+6 a
Elle étend sous mes pieds un gazon souple et frais 6+6 a
30 Où ces marcheurs saignants reprennent du courage, 6+6 b
Caressés par des fleurs au gai parfum sauvage, 6+6 b
Lavés de la rosée, et s’attardant exprès. 6+6 a
Elle met sur ma tête aux tempêtes calmées 6+6 a
Un ciel profond et clair où passe le vent pur 6+6 b
35 Et vif, éparpillant les notes dans l’azur 6+6 b
D’oiseaux volant ou s’éveillant sous les ramées. 4+4+4 a
Elle verse à mes yeux, qui ne pleureront plus 6+6 a
Un paisible sommeil dans la nuit transparente 6+6 b
Que des rêves légers bénissent, troupe errante 6+6 b
40 De souvenirs futurs et d’espoirs révolus. 6+6 a
Avec des tours naïfs et des besoins d’enfance 6+6 a
Elle veut être fière et rêve de pouvoir 6+6 b
Être rude un petit sans pouvoir que vouloir 6+6 b
Tant le bon mouvement sur l’autre prend d’avance. 6+6 a
45 J’use d’elle et parfois d’elle j’abuserais 6+6 a
Par égoïsme un peu bien surérogatoire, 6+6 b
Tort d’ailleurs pardonnable en toute humaine histoire 6+6 b
Mais non dans celle-ci, de crainte des regrets. 6+6 a
De mon côté, c’est vrai qu’à travers mes caprices, 6+6 a
50 Mes nerfs et tout le train de mon tempérament, 6+6 b
Je t’estime et je t’aime, ô si fidèlement, 6+6 b
Trouvant dans ces devoirs mes plus chères délices, 6+6 a
Déployant tout le peu que j’ai de paternel 6+6 a
Plus encor que de fraternel malgré l’extrême 4+4+4 b
55 Fraternité, tu sais, qu’est notre amitié même, 6+6 b
Exultant sur ce presque amour presque charnel ! 6+6 a
Presque charnel à force de sollicitude 4+8 a
Paternelle vraiment et maternelle aussi, 6+6 b
Presque un amour à cause, ô toi, de l’insouci 6+6 b
60 De vivre sinon pour cette sollicitude. 6−6 a
Vaste, impétueux donc, et de prime-saut, mais 6+6 a
Non sans prudence en raison de l’expérience 4+8 b
Très douloureuse qui m’apprit toute nuance, 6+6 b
Du jour lointain, quand la première fois j’aimais, 6−6 a
65 Ce presque amour est saint ; il bénit d’innocence 6+6 a
Mon reste d’une vie en somme toute au mal, 6+6 b
Et c’est comme les eaux d’un torrent baptismal 6+6 b
Sur des péchés qu’en vain l’Enfer déçu recense. 6+6 a
Aussi, précieux toi plus cher que tous les moi 6+6 a
70 Que je fus et serai si doit durer ma vie, 6+6 b
Soyons tout l’un pour l’autre en dépit de l’envie, 6+6 b
Soyons tout l’un à l’autre en toute bonne foi. 6+6 a
Allons, d’un bel élan qui demeure exemplaire 6+6 a
Et fasse autour le monde étonné chastement. 6+6 b
75 Réjouissons les cieux d’un spectacle charmant 6+6 b
Et du siècle et du sort défions la colère. 6+6 a
Nous avons le bonheur ainsi qu’il est permis, 6+6 a
Toi de qui la pensée est toute dans la mienne, 6+6 b
Il n’est, dans la légende actuelle et l’ancienne, 6+6 b
80 Rien de plus noble et de plus beau que deux amis 6−6 a
Déployant à l’envi les splendeurs de leurs âmes, 6+6 a
Le Sacrifice et l’Indulgence jusqu’au sang, 4+4+4 b
La Charité qui porte un monde dans son flanc, 6+6 b
Et toutes les pudeurs comme de douces flammes ! 6+6 a
85 Soyons tout l’un à l’autre, enfin ! et l’un pour l’autre 6+6 a
En dépit des jaloux, et de nos vains soupçons 6+6 b
A nous, et cette fois, pour de bon, renonçons 6+6 b
Au vil respect humain où la foule se vautre, 6+6 a
Afin qu’enfin ce Jésus-Christ qui nous créa 4+4+4 a
90 Nous fasse grâce et fasse grâce au monde immonde 4+4+4 b
D’autour de nous alors unis, — paix sans seconde ! — 6+6 b
Définitivement, et dicte : « Alléluia. 6+6 a
« Qu’ils entrent dans Ma joie et goûtent Mes louanges ; 6+6 a
« Car ils ont accompli leur tâche comme dû, 6+6 b
95 « Et leur cri d’espérance, il me fut entendu, 6+6 b
« Et voilà pourquoi les anges et les archanges 6−6 a
« S’écarteront de devant Moi pour voir admis, 4+4+4 a
« Purifiés de tous péchés inévitables 6+6 b
« Et des traverses quelquefois épouvantables, 4+4+4 b
100 « Ce couple infiniment bénissable d’Amis. » 6+6 a
mètre profil métrique : 6=6
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