Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
VER_7/VER309
Paul VERLAINE
AMOUR
1888
LUCIEN LÉTINOIS
V
J’ai la fureur d’aimer. Mon cœur si faible est fou. 6+6 a
N’importe quand, n’importe quel et n’importe où, 4+4+4 a
Qu’un éclair de beauté, de vertu, de vaillance 6+6 b
Luise, il s’y précipite, il y vole, il s’y lance, 6+6 b
5 Et, le temps d’une étreinte, il embrasse cent fois 6+6 a
L’être ou l’objet qu’il a poursuivi de son choix ; 6+6 a
Puis, quand l’illusion a replié son aile, 6+6 b
Il revient triste et seul bien souvent, mais fidèle, 6+6 b
Et laissant aux ingrats quelque close de lui, 6+6 a
10 Sang ou chair. Mais, sans plus mourir dans son ennui, 6+6 a
Il embarque aussitôt pour l’île des Chimères 6+6 b
Et n’en rapporte rien que des larmes amères 6+6 b
Qu’il savoure, et d’affreux désespoirs d’un instant, 6+6 a
Puis rembarque.
– Il est brusque et volontaire tant 6+6 a
15 Qu’en ses courses dans les infinis il arrive, 6−6 b
Navigateur têtu, qu’il va droit à la rive, 6+6 b
Sans plus s’inquiéter que s’il n’existait pas 6+6 a
De l’écueil proche qui met son esquif à bas. 6+6 a
Mais lui fait de l’écueil un tremplin et dirige 6+6 b
20 Sa nage vers le bord. L’y voilà. Le prodige 6+6 b
Serait qu’il n’eût pas fait avidement le tour, 6+6 a
Du matin jusqu’au soir et du soir jusqu’au jour, 6+6 a
Et le tour et le tour encor du promontoire, 6+6 b
Et rien ! Pas d’arbres ni d’herbes, pas d’eau pour boire, 6+6 b
25 La faim, la soif, et les yeux brûlés du soleil, 6−6 a
Et nul vestige humain, et pas un cœur pareil ! 6+6 a
Non pas à lui, – jamais il n’aura son semblable, – 6+6 b
Mais un cœur d’homme, un cœur vivant, un cœur palpable 6+6 b
Fut-il faux, fût-il lâche, un cœur ! quoi, pas un cœur ! 6+6 a
30 Il attendra, sans rien perdre de sa vigueur 6+6 a
Que la fièvre soutient et l’amour encourage, 6+6 b
Qu’un bateau montre un bout de mât dans ce parage, 6+6 b
Et fera des signaux qui seront aperçus, 6+6 a
Tel il raisonne. Et puis fiez-vous là-dessus ! – 6+6 a
35 Un jour il restera non vu, l’étrange apôtre. 6+6 b
Mais que lui fait la mort, sinon celle d’un autre ? 6+6 b
Ah ! ses morts ! Ah ! ses morts, mais il est plus mort qu’eux ! 6+6 a
Quelque fibre toujours de son esprit fougueux 6+6 a
Vit dans leur fosse et puise une tristesse douce ; 6+6 b
40 Il les aime comme un oiseau son nid de mousse ; 6−6 b
Leur mémoire est son Cher oreiller, il y dort, 6+6 a
Il rêve d’eux, les voit, cause avec et s’endort 6+6 a
Plein d’eux que pour encor quelque effrayante affaire 6+6 b
J’ai la fureur d’aimer. Qu’y faire ? Ah ! laisser faire ! 6+6 b
mètre profil métrique : 6=6
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