Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
VER_7/VER269
Paul VERLAINE
AMOUR
1888
ÉCRIT EN 1875
A EDMOND LEPELLETIER
J’AI naguère habité | le meilleur des châteaux 6+6 a
Dans le plus fin pays | d’eau vive et de coteaux : 6+6 a
Quatre tours s’élevaient | sur le front d’autant d’ailes, 6+6 b
Et j’ai longtemps, longtemps | habité l’une d’elles. 6+6 b
5 Le mur, étant | de briques extérieurement, 4+8 a
Luisait rouge au soleil | de ce site dormant, 6+6 a
Mais un lait de chaux, clair | comme une aube qui pleure, 6+6 b
Tendait légèrement | la voûte intérieure. 6+6 b
O diane des yeux | qui vont parler au cœur, 6+6 a
10 O réveil pour les sens | éperdus de langueur, 6+6 a
Gloire des fronts d’aïeuls, | orgueil jeune des branches, 6+6 b
Innocence et fierté | des choses, couleurs blanches ! 6+6 b
Parmi des escaliers | en vrille, tout aciers, 6+6 a
Et cuivres, luxes brefs | encore émaciés, 6+6 a
15 Cette blancheur bleuâtre | et si douce à m’en croire, 6+6 b
Que relevait un peu | la longue plinthe noire, 6+6 b
S’emplissait tout le jour | de silence et d’air pur 6+6 a
Pour que la nuit y vint | rêver de pâle azur. 6+6 a
Une chambre bien close, | une table, une chaise, 6+6 b
20 Un lit strict où l’on pût | dormir juste à son aise, 6+6 b
Du jour suffisamment | et de l’espace assez, 6+6 a
Tel fut mon lot durant | les longs mois là passés, 6+6 a
Et je n’ai jamais plaint | ni les mois ni l’espace, 6+6 b
Ni le reste, et du point | de vue où je me place, 6+6 b
25 Maintenant que voici | le monde de retour, 6+6 a
Ah ! vraiment, j’ai regret | aux deux ans dans la tour ! 6+6 a
Car c’était bien la paix | réelle et respectable, 6+6 b
Ce lit dur, cette chaise | unique et cette table, 6+6 b
La paix où l’on aspire | alors qu’on est bien soi, 6+6 a
30 Cette chambre aux murs blancs, | ce rayon sobre et coi, 6+6 a
Qui glissait lentement | en teintes apaisées, 6+6 b
Au lieu de ce grand jour | diffus de vos croisées. 6+6 b
Car, à quoi bon le vain | appareil et l’ennui 6+6 a
Du plaisir, à la fin, | quand le malheur à lui, 6+6 a
35 (Et le malheur est bien | un trésor qu’on déterre) 6+6 b
Et pourquoi cet effroi | de rester solitaire 6+6 b
Qui pique le troupeau | des hommes d’à présent, 6+6 a
Comme si leur commerce | était bien suffisant ? 6+6 a
Questions ! Donc j’étais | heureux avec ma vie, 6+6 b
40 Reconnaissant de biens | que nul, certes, n’envie. 6+6 b
(O fraîcheur de sentir | qu’on n’a pas de jaloux ! 6+6 a
O bonté d’être cru | plus malheureux que tous !) 6+6 a
Je partageais les jours | de cette solitude 6+6 b
Entre ces cieux bienfaits, | la prière et l’étude, 6+6 b
45 Que délassait un peu | de travail manuel. 6+6 a
Ainsi les Saints ! J’avais | aussi ma part de ciel, 6+6 a
Surtout quand, revenant | au jour, si proche encore. 6+6 b
Où j’étais ce mauvais | sans plus qui s’édulcore 6+6 b
En la luxure lâche | aux farces sans pardon, 6+6 a
50 Je pouvais supputer | tout le prix de ce don : 6+6 a
N’être plus là, parmi | les choses de la foule, 6+6 b
S’y dépensant, plutôt | dupe, pierre qui roule, 6+6 b
Mais de fait un complice | à tous ces noirs péchés, 6+6 a
N’être plus là, compter | au rang des cœurs cachés, 6+6 a
55 Des cœurs discrets que Dieu | fait siens dans le silence, 6+6 b
Sentir qu’on grandit bon | et sage, et qu’on s’élance 6+6 b
Du plus bas au plus haut | en essors bien réglés, 6+6 a
Humble, prudent, béni, | la croissance des blés ! 6+6 a
D’ailleurs, nuls soins gênants, | nulle démarche à faire. 6+6 b
60 Deux fois le jour ou trois, | un serviteur sévère 6+6 b
Apportait mes repas | et repartait muet. 6+6 a
Nul bruit. Rien dans la tour | jamais ne remuait 6+6 a
Qu’une horloge au cœur clair | qui battait à coups larges, 6+6 b
C’était la liberté | (la seule !) sans ses charges, 6+6 b
65 C’était la dignité | dans la sécurité ! 6+6 a
O lieu presque aussitôt | regretté que quitté. 6+6 a
Château, château magique | où mon âme s’est faite, 6+6 b
Frais séjour où se vint | apaiser la tempête 6+6 b
De ma raison allant | à vau-l’eau dans mon sang, 6+6 a
70 Château, château qui luis | tout rouge et dors tout blanc, 6+6 a
Comme un bon fruit de qui | le goût est sur mes lèvres 6+6 b
Et désaltère encor | l’arrière-soif des fièvres, 6+6 b
O sois béni, château | d’où me voilà sorti 6+6 a
Prêt à la vie, armé | de douceur et nanti 6+6 a
75 De la Foi, pain et sel | et manteau pour la route 6+6 b
Si déserte, si rude | et si longue, sans doute, 6+6 b
Par laquelle il faut tendre | aux innocents sommets. 6+6 a
Et soit aimé l’AUTEUR | de la Grâce, à jamais ! 6+6 a
(Stickney, Angleterre.)
mètre profil métrique : 6=6
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