Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
VER_6/VER252
Paul VERLAINE
JADIS ET NAGUÈRE
1884
JADIS
VERS JEUNES
LES VAINCUS
A Louis-Xavier de Ricard.
I
La Vie est triomphante et l’Idéal est mort, 6+6 a
Et voilà que, criant sa joie au vent qui passe, 6+6 b
Le cheval enivré du vainqueur broie et mord 6+6 a
Nos frères, qui du moins tombèrent avec grâce, 6+6 b
5 Et nous que la déroute a fait survivre, hélas ! 6+6 a
Les pieds meurtris, les yeux troublés, la tête lourde, 6+6 b
Saignants, veules, fangeux, déshonorés et las, 6+6 a
Nous allons, étouffant mal une plainte sourde, 6+6 b
Nous allons, au hasard du soir et du chemin, 6+6 a
10 Comme les meurtriers et comme les infâmes, 6+6 b
Veufs, orphelins, sans toit, ni fils, ni lendemain, 6+6 a
Aux lueurs des forêts familières en flammes ! 6+6 b
Ah ! puisque notre sort est bien complet, qu’enfin 6+6 a
L’espoir est aboli, la défaite certaine, 6+6 b
15 Et que l’effort le plus énorme serait vain, 6+6 a
Et puisque c’en est fait, même de notre haine, 6+6 b
Nous n’avons plus, à l’heure où tombera la nuit, 6+6 a
Abjurant tout risible espoir de funérailles, 6+6 b
Qu’à nous laisser mourir obscurément, sans bruit, 6+6 a
20 Comme il sied aux vaincus des suprêmes batailles. 6+6 b
II
Une faible lueur palpite à l’horizon 6+6 a
Et le vent glacial qui s’élève redresse 6+6 b
Le feuillage des bois elles fleurs du gazon ; 6+6 a
C’est l’aube ! tout renaît sous sa froide caresse. 6+6 b
25 De fauve l’Orient devient rose, et l’argent 6+6 a
Des astres va bleuir dans l’azur qui se dore ; 6+6 b
Le coq chante, veilleur exact et diligent ; 6+6 a
L’alouette a volé stridente : c’est l’aurore ! 6+6 b
Éclatant, le soleil surgit : c’est le matin ! 6+6 a
30 Amis, c’est le matin splendide dont la joie 6+6 b
Heurte ainsi notre lourd sommeil, et le festin 6+6 a
Horrible des oiseaux et des bêtes de proie. 6+6 b
O prodige ! en nos cœurs le frisson radieux 6+6 a
Met à travers l’éclat subit de nos cuirasses, 6+6 b
35 Avec un violent désir de mourir mieux, 6+6 a
La colère et l’orgueil anciens des bonnes races. 6+6 b
Allons, debout ! allons, allons ! debout, debout ! 6+6 a
Assez comme cela de hontes et de trêves ! 6+6 b
Au combat, au combat ! car notre sang qui bout 6+6 a
40 A besoin de fumer sur la pointe des glaives ! 6+6 b
III
Les vaincus se sont dit dans la nuit de leurs geôles : 6+6 a
Ils nous ont enchaînés, mais nous vivons encor. 6+6 b
Tandis que les carcans font ployer nos épaules, 6+6 a
Dans nos veines le sang circule, bon trésor. 6+6 b
45 Dans nos têtes nos yeux rapides avec ordre 6+6 a
Veillent, fins espions, et derrière nos fronts 6+6 b
Notre cervelle pense, et s’il faut tordre ou mordre, 6+6 a
Nos mâchoires seront dures et nos bras prompts. 6+6 b
Légers, ils n’ont pas vu d’abord la faute immense 6+6 a
50 Qu’ils faisaient, et ces fous qui s’en repentiront 6+6 b
Nous ont jeté le lâche affront de la clémence. 6+6 a
Bon ! la clémence nous vengera de l’affront. 6−6 b
Ils nous ont enchaînés ! Mais les chaînes sont faites 6+6 a
Pour tomber sous la lime obscure et pour frapper 6+6 b
55 Les gardes qu’on désarme, et les vainqueurs en fêtes 6+6 a
Laissent aux évadés le temps de s’échapper. 6+6 b
Et de nouveau bataille ! Et victoire peut-être, 6+6 a
Mais bataille terrible et triomphe inclément, 6+6 b
Et comme cette fois le Droit sera le maître, 6+6 a
60 Cette fois-là sera la dernière, vraiment ! 6+6 b
IV
Car les morts, en dépit des vieux rêves mystiques, 6+6 a
Sont bien morts, quand le fer a bien fait son devoir, 6+6 b
Et les temps ne sont plus des fantômes épiques 6+6 a
Chevauchant des chevaux spectres sous le ciel noir, 6+6 b
65 La jument de Roland et Roland sont des mythes 6+6 a
Dont le sens nous échappe et réclame un effort 6+6 b
Qui perdrait notre temps, et si vous vous promîtes 6+6 a
D’être épargnés par nous vous vous trompâtes fort. 6+6 b
Vous mourrez de nos mains, sachez-le, si la chance 6+6 a
70 Est pour nous. Vous mourrez, suppliants, de nos mains. 6+6 b
La justice le veut d’abord, puis la vengeance, 6+6 a
Puis le besoin pressant d’importuns lendemains. 6+6 b
Et la terre, depuis longtemps aride et maigre, 6+6 a
Pendant longtemps boira joyeuse votre sang 6+6 b
75 Dont la lourde vapeur savoureusement aigre 6+6 a
Montera vers la nue et rougira son flanc, 6+6 b
Et les chiens et les loups et les oiseaux de proie 6+6 a
Feront vos membres nets et fouilleront vos troncs, 6+6 b
Et nous rirons, sans rien qui trouble notre joie, 6+6 a
80 Car les morts sont bien morts et nous vous l’apprendrons. 6+6 b
mètre profil métrique : 6−6
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