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VER_6/VER248
Paul VERLAINE
JADIS ET NAGUÈRE
1884
JADIS
VERS JEUNES
LES LOUPS
Parmi l’obscur champ de bataille 8 a
Rôdant sans bruit sous le ciel noir, 8 b
Les loups obliques font ripaille 8 a
Et c’est plaisir que de les voir, 8 b
5 Agiles, les yeux verts, aux pattes 8 a
Souples sur les cadavres mous, 8 b
– Gueules vastes et têtes plates – 8 a
Joyeux, hérisser leurs poils roux. 8 b
Un rauquement rien moins que tendre 8 a
10 Accompagne les dents mâchant, 8 b
Et c’est plaisir que de l’entendre, 8 a
Cet hosannah vil et méchant : 8 b
– « Chair entaillée et sang qui coule, 8 a
Les héros ont du bon vraiment. 8 b
15 La faim repue et la soif soûle 8 a
Leur doivent bien ce compliment. 8 b
« Mais aussi, soit dit sans reproche, 8 a
Combien de peines et de pas 8 b
Nous a coûtés leur seule approche, 8 a
20 On ne l’imaginerait pas. 8 b
« Dès que, sans pitié ni relâches, 8 a
Sonnèrent leurs pas fanfarons, 8 b
Nos cœurs de fauves et de lâches, 8 a
A la fois gourmands et poltrons, 8 b
25 « Pressentant la guerre et la proie 8 a
Pour maintes nuits et pour maints jours 8 b
Battirent de crainte et de joie 8 a
A l’unisson de leurs tambours. 8 b
« Quand ils apparurent ensuite 8 a
30 Tout étincelants de métal, 8 b
Oh ! quelle peur et quelle fuite 8 a
Vers la femelle, au bois natal ! 8 b
« Ils allaient fiers, les jeunes hommes, 8 a
Calmes sous leur drapeau flottant, 8 b
35 Et plus forts que nous ne le sommes 8 a
Ils avaient l’air très doux pourtant. 8 b
« Le fer terrible de leurs glaives 8 a
Luisait moins encor que leurs yeux, 8 b
Où la candeur d’augustes rêves 8 a
40 Éclatait en regards joyeux. 8 b
« Leurs cheveux que le vent fouette 8 a
Sous leurs casques battaient, pareils 8 b
Aux ailes de quelque mouette, 8 a
Pales avec des tons vermeils. 8 b
45 « Ils chantaient des choses hautaines ! 8 a
Ça parlait de libres combats, 8 b
D’amour, de brisements de chaînes 8 a
Et de mauvais dieux mis à bas. – 8 b
« Ils passèrent. Quand leur cohorte 8 a
50 Ne fut plus là-bas qu’un point bleu, 8 b
Nous nous arrangeâmes en sorte 8 a
De les suivre en nous risquant peu. 8 b
« Longtemps, longtemps rasant la terre, 8 a
Discrets, loin derrière eux, tandis 8 b
55 Qu’ils allaient au pas militaire, 8 a
Nous marchâmes par rang de dix. 8 b
« Passant les fleuves à la nage 8 a
Quand ils avaient rompu les ponts, 8 b
Quelques herbes pour tout carnage, 8 a
60 N’avançant que par faibles bonds, 8 b
« Perdant à tout moment haleine… 8 a
Enfin une nuit ces démons 8 b
Campèrent au fond d’une plaine 8 a
Entre des forêts et des monts, 8 b
65 « Là nous les guettâmes à l’aise, 8 a
Car ils dormaient pour la plupart. 8 b
Nos yeux pareils à de la braise 8 a
Brillaient autour de leur rempart, 8 b
« Et le bruit sec de nos dents blanches 8 a
70 Qu’attendaient des festins si beaux 8 b
Faisait cliqueter dans les branches 8 a
Le bec avide des corbeaux. 8 b
« L’aurore éclate. Une fanfare 8 a
Épouvantable met sur pied 8 b
75 La troupe entière qui s’effare. 8 a
Chacun s’équipe comme il sied. 8 b
« Derrière les hautes futaies 8 a
Nous nous sommes dissimulés 8 b
Tandis que les prochaines haies 8 a
80 Cachent les corbeaux affolés. 8 b
« Le soleil qui monte commence 8 a
A brûler. La terre a frémi. 8 b
Soudain une clameur immense 8 a
A retenti. C’est l’ennemi ! 8 b
85 « C’est lui, c’est lui ! Le sol résonne 8 a
Sous les pas durs des conquérants. 8 b
Les polémarques en personne 8 a
Vont et viennent le long des rangs. 8 b
« Et les lances et les épées 8 a
90 Parmi les plis des étendards 8 b
Flambent entre les échappées 8 a
De lumières et de brouillards. 8 b
« Sur ce, dans ses courroux épiques. 8 a
La jeune bande s’avança, 8 b
95 Gaie et sereine sous les piques, 8 a
Et la bataille commença. 8 b
« Ah ! ce fut une chaude affaire : 8 a
Cris confus, choc d’armes, le tout 8 b
Pendant une journée entière, 8 a
100 Sous l’ardeur rouge d’un ciel d’août. 8 b
« Le soir. – Silence et calme. A peine 8 a
Un vague moribond tardif 8 b
Crachant sa douleur et sa haine 8 a
Dans un hoquet définitif ; 8 b
105 « A peine, au lointain gris, le triste 8 a
Appel d’un clairon égaré. 8 b
Le couchant d’or et d’améthyste 8 a
S’éteint et brunit par degré. 8 b
« La nuit tombe. Voici la lune ! 8 a
110 Elle cache et montre à moitié 8 b
Sa face hypocrite comme une 8 a
Complice feignant la pitié. 8 b
« Nous autres qu’un tel souci laisse 8 a
Et laissera toujours très cois, 8 b
115 Nous n’avons pas cette faiblesse, 8 a
Car la faim nous chasse du bois, 8 b
« Et nous avons de quoi repaître 8 a
Cet impérial appétit, 8 b
Le champ de bataille sans maître 8 a
120 N’étant ni vide ni petit. 8 b
« Or, sans plus perdre en phrases vaines 8 a
Dont quelque sot serait jaloux 8 b
Cette heure de grasses aubaines, 8 a
Buvons et mangeons, nous, les Loups ! » 8 b
mètre profil métrique : 8
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