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| = césure
VER_6/VER247
Paul VERLAINE
JADIS ET NAGUÈRE
1884
JADIS
VERS JEUNES
LE SOLDAT LABOUREUR
A Edmond Lepelletier.
Or ce vieillard était horrible : un de ses yeux, 6+6 a
Crevé, saignait, tandis que l’autre, chassieux, 6+6 a
Brutalement luisait sous son sourcil en brosse ; 6+6 b
Les cheveux se dressaient d’une façon féroce, 6+6 b
5 Blancs, et paraissaient moins des cheveux que des crins ; 6+6 a
Le vieux torse solide encore sur les reins, 6+6 a
Comme au ressouvenir des balles affrontées, 6+6 b
Cambré, contrariait les épaules voûtées ; 6+6 b
La main gauche avait l’air de chercher le pommeau 6+6 a
10 D’un sabre habituel et dont le long fourreau 6+6 a
Semblait, s’embarrassant avec la sabretache, 6+6 b
Gêner la marche et vers la tombante moustache 6−6 b
La main droite parfois montait, la rebroussant. 6+6 a
Il était grand et maigre et jurait en toussant. 6+6 a
15 Fils d’un garçon de ferme et d’une lavandière, 6+6 b
Le service à seize ans le prit. Il fit entière 6+6 b
La campagne d’Égypte. Austerlitz, Iéna, 6+6 a
Le virent. En Espagne un moine l’éborgna : 6+6 a
– Il tua le bon père et lui vola sa bourse, – 6+6 b
20 Par trois fois traversa la Prusse au pas de course, 6+6 b
En Hesse eut une entaille épouvantable au cou, 6+6 a
Passa brigadier lors de l’entrée à Moscou, 6+6 a
Obtint la croix et fut de toutes les défaites 6+6 b
D’Allemagne et de France, et gagna dans ces fêtes 6+6 b
25 Trois blessures, plus un brevet de lieutenant 6−6 a
Qu’il résigna bientôt, les Bourbons revenant, 6+6 a
A Mont-Saint-Jean, bravant la mort qui l’environne. 6+6 b
Dit un mot analogue à celui de Cambronne ; 6+6 b
Puis, quand pour un second exil et le tombeau, 6+6 a
30 La Redingote grise et le petit Chapeau 6+6 a
Quittèrent à jamais leur France tant aimée 6+6 b
Et que l’on eut, hélas ! dissout la grande armée, 6+6 b
Il revint au village, étonné du clocher. 6+6 a
Presque forcé pendant un an de se cacher, 6+6 a
35 Il braconna pour vivre, et quand des temps moins rudes 6+6 b
L’eurent, sans le réduire à trop de platitudes, 6+6 b
Mis à même d’écrire en hauts lieux à l’effet 6+6 a
D’obtenir un secours d’argent qui lui fut fait, 6+6 a
Logea moyennant deux cents francs par an chez une 6+6 b
40 Parente qu’il avait, dont toute la fortune 6+6 b
Consistait en un champ cultivé par ses fieux, 6+6 a
L’un marié depuis longtemps et l’autre vieux 6+6 a
Garçon encore, et là notre foudre de guerre 6+6 b
Vivait, et bien qu’il fût tout le jour sans rien faire 6+6 b
45 Et qu’il eût la charrue et la terre en horreur, 6+6 a
C’était ce qu’on appelle un soldat laboureur. 6+6 a
Toujours levé des l’aube et la pipe à la bouche 6+6 b
Il allait et venait, engloutissait, farouche, 6+6 b
Des verres d’eau-de-vie et parfois s’enivrait, 6+6 a
50 Les dimanches tirait à l’arc au cabaret, 6+6 a
Après dîner faisait un quart d’heure sans faute 6+6 b
Sauter sur ses genoux les garçons de son hôte 6+6 b
Ou bien leur apprenait l’exercice et comment 6+6 a
Un bon soldat ne doit songer qu’au fourniment. 6+6 a
55 Le soir il voisinait, tantôt pinçant les filles, 6+6 b
Habitude un peu trop commune aux vieux soudrilles, 6+6 b
Tantôt, geste ample et voix forte qui dominait 6+6 a
Le grillon incessant derrière le chenêt, 6+6 a
Assis auprès d’un feu de sarments qu’on entoure 6+6 b
60 Confusément disait l’Elster, l’Estramadoure, 6+6 b
Smolensk, Dresde, Lutzen et les ravins vosgeois 6+6 a
Devant quatre ou cinq gars attentifs et narquois 6+6 a
S’exclamant et riant très fort aux endroits farces. 6+6 b
Canonnade compacte et fusillade éparse, 6+6 b
65 Chevaux éventrés, coups de sabre, prisonniers 6+6 a
Mis à mal entre deux batailles, les derniers 6+6 a
Moments d’un officier ajusté par derrière, 6+6 b
Qui se souvient et qu’on insulte, la barrière 6+6 b
Clichy, les alliés jetés au fond des puits, 6+6 a
70 La fuite sur la Loire et la maraude, et puis 6+6 a
Les femmes que l’on force après les villes prises, 6+6 b
Sans choix souvent, si bien qu’on a des mèches grises 6+6 b
Aux mains et des dégoûts au cœur après l’ébat 6+6 a
Quand passe le marchef ou que le rappel bat, 6+6 a
75 Puis encore, les camps levés et les déroutes. 6+6 b
Toutes ces gaîtés, tous ces faits d’armes et toutes 6+6 b
Ces gloires défilaient en de longs entretiens, 6+6 a
Entremêlés de gros jurons très peu chrétiens 6+6 a
Et de grands coups de poing sur les cuisses voisines. 6+6 b
80 Les femmes cependant, sœurs, mères et cousines, 6+6 b
Pleuraient et frémissaient un peu, conformément 6+6 a
A l’usage, tout en se disant : « Le vieux ment. » 6+6 a
Et les hommes fumaient et crachaient dans la cendre. 6+6 b
Et lui qui quelquefois voulait bien condescendre 6+6 b
85 A parler discipline avec ces bons lourdauds 6+6 a
Se levait, à grands pas marchait, les mains au dos, 6+6 a
Et racontait alors quelque fait politique 6+6 b
Dont il se proclamait le témoin authentique, 6+6 b
La distribution des Aigles, les Adieux, 6+6 a
90 Le Sacre et ce Dix-huit Brumaire radieux, 6+6 a
Beau jour où le soldat qu’un bavard importune 6+6 b
Brisa du même coup orateurs et tribune, 6+6 b
Où le dieu Mars mis par la Chambre hors la Loi 6−6 a
Mit la Loi hors la Chambre et, sans dire pourquoi, 6+6 a
95 Balaya du pouvoir tous ces ergoteurs glabres, 6+6 b
Tous ces législateurs qui n’avaient pas de sabres ! 6+6 b
Tel parlait et faisait le grognard précité 6+6 a
Qui mourut centenaire à peu près l’autre été. 6+6 a
Le maire conduisit le deuil au cimetière. 6+6 b
100 Un feu de peloton fut tiré sur la bière 6+6 b
Par le garde champêtre et quatorze pompiers, 6+6 a
Dont sept revinrent plus ou moins estropiés 6+6 a
A cause des mauvais fusils de la campagne. 6+6 b
Un tertre qu’une pierre assez grande accompagne 6+6 b
105 Et qu’orne un saule en pleurs est l’humble monument 6+6 a
Où notre héros dort perpétuellement. 6+6 a
De plus, suivant le vœu dernier du camarade, 6+6 b
On grava sur la pierre, après ses noms et grade, 6+6 b
Ces mots que tout Français doit lire en tressaillant : 6+6 a
110 « Amour à la plus belle et gloire au plus vaillant. » 6+6 a
mètre profil métrique : 6−6
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