Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
VER_6/VER246
Paul VERLAINE
JADIS ET NAGUÈRE
1884
JADIS
LES UNS ET LES AUTRES
COMÉDIE
Dédiée à Théodore de Banville.
PERSONNAGES :
MYRTIL
MEZZETIN
SYLVANDRE
CORYDON
ROSALINDE
AMINTE
CHLORIS
BERGERS, MASQUES
La scène se passe dans un parc de Wateau, vers une fin d’après-midi d’été.
Une nombreuse compagnie d’hommes et de femmes est groupée, en de nonchalantes attitudes, autour d’un chanteur costumé en Mezzetin, qui s’accompagne doucement sur une mandoline.
SCÈNE I
MEZZETIN, CORYDON, AMINTE
MEZZETIN
chantant.
 Puisque tout n’est rien que fables, 7 0
 Hormis d’aimer ton désir, 7 1
 Jouis vite du loisir 7 1
 Que te font des dieux affables. 7 0
5  Puisqu’à ce point se trouva 7 2
 Facile ta destinée, 7 3
 Puisque vers toi ramenée 7 3
 L’Arcadie est proche, – va ! 7 2
 Va ! le vin dans les feuillages 7 4
10  Fait éclater les beaux yeux 7 5
 Et battre les cœurs joyeux 7 5
 A l’étroit sous les corsages… 7 4
CORYDON
A l’exemple de lacigale nous avons 6−6 6
Chanté
AMINTE
Si nous allionsdanser ?
TOUS
moins Myrtil, Rosalinde, Sylvandre et Chloris.
Nous vous suivons ! 6+6 6
(Ils sortent à l’exception des mêmes.)
SCÈNE II
MYRTIL, ROSALINDE, SYLVANDRE, CHLORIS
ROSALINDE
à Myrtil.
Restons.
CHLORIS
à Sylvandre.
15  Favorisé,vous pouvez dire l’être : 6+6 7
J’aime la danse à m’enjeter par la fenêtre, 6+6 7
Et si je ne vais passur l’herbette avec eux, 6+6 5
C’est bien pour vous !
(Sylvandre la presse.)
Paix là !Que vous êtes fougueux ! 6+6 5
(Sortent Sylvandre et Chloris.)
SCÈNE III
MYRTIL, ROSALINDE
ROSALINDE
Parlez-moi.
MYRTIL
De quoi voulez-vousdonc que je cause ? 8+4 8
20 Du passé ? Cela vousennuierait, et pour cause. 6−6 8
Du présent ? A quoi bon,puisque nous y voilà ? 6+6 2
De l’avenir ? Laissonsen paix ces choses-là ! 6+6 2
ROSALINDE
Parlez-moi du passé.
MYRTIL
Pourquoi ?
ROSALINDE
C’est mon caprice. 6+6 9
Et fiez-vous à lamémoire adulatrice 6−6 9
25 Qui va teinter d’azurles plus mornes jadis 6+6 10
Et masque les enfersanciens en paradis. 6+6 10
MYRTIL
Soit donc ! J’évoquerai,ma chère, pour vous plaire, 6+6 11
Ce morne amour qui fut,hélas ! notre chimère, 6+6 11
Regrets sans fin, ennuisprofonds, poignants remords, 6+6 12
30 Et toute la tristesseatroce dos jours morts ; 6+6 12
Je dirai nos plus beauxespoirs déçus sans cesse, 6+6 13
Ces deux cœurs dévouésjusques à la bassesse 6+6 13
Et soumis l’un à l’autre,et puis, finalement, 6+6 14
Pour toute récompenseet tout remerciement, 6+6 14
35 Navrés, martyrisés,bafoués l’un par l’autre, 6+6 15
Ma folle jalousieétreinte par la vôtre, 6+6 15
Vos souons complétantl’horreur de mes souons, 6+6 6
Toutes vos trahisons,toutes mes trahisons ! 6+6 6
Oui, puisque ce passévous flatte et vous agrée. 6+6 3
40 Ce passé que je listracé comme à la craie 6+6 16
Sur le mur ténébreuxdu souvenir, je veux, 6+6 5
Ce passé tout entier,avec ses désaveux 6+6 5
Et ses explosionsde pleurs et de colère, 6+6 11
Vous le redire, afin,ma chère, de vous plaire ! 6+6 11
ROSALINDE
45 Savez-vous que je voustrouve admirable, ainsi 6−6 17
Plein d’indignationélégante ?
MYRTIL
irrité.
 Merci ! 6+6 17
ROSALINDE
Vous vous exagérezaussi par trop les choses. 6+6 18
Quoi ! pour un peu d’ennui,quelques heures moroses, 6+6 18
Vous lamenter avecce courroux enfantin ! 6+6 19
50 Moi je rends grâce au dieuqui me fit ce destin 6+6 19
D’avoir aimé, d’aimerl’ingrat, d’aimer encore 6+6 20
L’ingrat qui tient de sotsdiscours, et qui m’adore 6+6 20
Toujours, ainsi, qu’il siedd’ailleurs en ce pays 6+6 10
De Tendre. Oui ! Car malgrévos regards ébahis 6+6 10
55 Et vos bras de poupéeinerte, je suis sûre 6+6 21
Que vous gardez toujoursouverte la blessure 6+6 21
Faite par ces yeux-ci,boudeur, à ce cœur-là. 6+6 2
MYRTIL
attendri.
Pourtant le jour cetamour m’ensorcela 6−6 2
Vous fut autant qu’à moifuneste, mon amie. 6+6 22
60 Croyez-moi, réveillerla tendresse endormie, 6+6 22
C’est téméraire, et mieuxvaudrait pieusement 6+6 14
Respecter jusqu’au boutson assoupissement 6+6 14
Qui ne peut que finirpar la mort naturelle. 6+6 23
ROSALINDE
Fou ! par quoi pouvons-nousvivre, sinon par elle ? 6+6 23
MYRTIL
sincère.
Alors, mourons !
ROSALINDE
65 Vivonsplutôt ! Fût-ce à tout prix ! 6+6 24
Quant à moi, vos aigreurs,vos fureurs, vos mépris, 6+6 10
Qui ne sont, je le sais,qu’un dépit éphémère, 6+6 11
Et cet orgueil qui rendvotre parole amère, 6+6 11
J’en veux faire litièreà mon amour têtu, 6+6 25
70 Et je vous aimeraiquand même, m’entends-tu ? 6+6 25
MYRTIL
Vous êtes mutinée
ROSALINDE
Allons, laissez-vous faire ! 6+6 11
MYRTIL
cédant.
Donc, il le faut !
ROSALINDE
Venezcueillir la primevère 6+6 11
De l’amour renaissanttimide après l’hiver. 6+6 26
Quittez ce front chagrin,souriez comme hier 6+6 26
75 A ma tendresse entièreet grande, encor qu’ancienne ! 6+6 27
MYRTIL
Ah ! toujours tu m’aurasmené, magicienne ! 6+6 27
(Ils sortent. Rentrent Sylvandre et Chloris.)
SCÈNE IV
SYLVANDRE, CHLORIS
CHLORIS
courant.
Non !
SYLVANDRE
Si !
CHLORIS
Je ne veux pas…
SYLVANDRE
Sylvandre, la baisant sur la nuque.
Dites : je ne veux plus ! 6+6 28
(La tenant embrassée.)
Mais voici, j’ai fixévos vœux irrésolus 6+6 28
Et le milan affreuxtient la pauvre hirondelle. 6+6 23
CHLORIS
80 Fi ! l’action vilaine !Au moins rougissez d’elle ! 6+6 23
Mais non ! Il rit, il rit !
(Pleurnichant pour rire.)
Ah, oh, hi, que c’est mal ! 6+6 29
SYLVANDRE
Tarare ! mais le seulétat vraiment normal, 6+6 29
C’est le nôtre, c’est, fousl’un de l’autre, gais, libres, 6+6 30
Jeunes, et méprisanttous autres équilibres 6+6 30
85 Quelconques, qui ne sontque cloche-pieds piteux, 6+6 5
D’avoir deux cœurs pour un,et, chère âme, un pour deux ! 6+6 5
CHLORIS
Que voilà donc, Monsieurl’amant, de beau langage ! 6+6 31
Vous êtes procureurou poète, je gage, 6+6 31
Pour ainsi discourir,sans rire, obscurément. 6+6 14
SYLVANDRE
90 Vous vous moquez avecun babil très charmant, 6+6 14
Et me voici deux foisépris de ma conquête : 6+6 32
Tant d’éclat en vos yeuxjolis, et dans la tête 6+6 32
Tant d’esprit ! Du plus finencore, s’il vous plt. 6+6 33
CHLORIS
Et si je vous trouvaispar hasard bête et laid, 6+6 34
95 Fier conquérant fictif,grand vainqueur en peinture ? 6+6 21
SYLVANDRE
Alors, n’eussiez-vous pasarrêté l’aventure 6+6 21
De tantôt, qui semblaitexclure tout dégt 6+6 35
Conçu par vous, à mondétriment, après tout ? 6−6 35
CHLORIS
O la fatuitédes hommes qu’on n’évince 6+6 36
100 Pas sur-le-champ ! Allez,allez, la preuve est mince 6+6 36
Que vous invoquez làd’un penchant présumé 6+6 37
De mon cœur pour le vôtre,aspirant bien-aimé. 6+6 37
Au fait, chacun de nousvainement déblatère 6+6 11
Et, tenez, je vous vaisdire mon caractère, 6+6 11
105 Pour qu’étant à la finbien au courant de moi 6+6 38
Si vous souffrez, du moinsvous connaissiez pourquoi, 6+6 38
Sachez donc…
SYLVANDRE
Que je meureici, ma toute belle, 6+6 23
Si j’exige
CHLORIS
– Sachezd’abord vous taire. – Or celle 6+6 23
Qui vous parle est coquetteet folle. Oui, je le suis. 6+6 10
110 J’aime les jours légerset les frivoles nuits ; 6+6 10
J’aime un ruban qui m’aille,un amant qui me plaise, 6+6 13
Pour les bien détesteraprès tout à mon aise. 6+6 13
Vous, par exemple, vous,Monsieur, que je n’ai pas 6+6 39
Naguère tout à faittraité de haut en bas, 6+6 39
115 Me dussiez-vous tenirpour la pire pécore, 6+6 20
Eh bien, je ne sais passi je vous souffre encore ! 6+6 20
SYLVANDRE
souriant.
Dans le doute
CHLORIS
coquette, s’enfuyant.
« Abstiens-toi », dit l’autre. Je m’abstiens. 6+6 40
SYLVANDRE
presque naïf.
Ah ! c’en est trop, je souffreet m’en vais pleurer.
CHLORIS
touchée, mais gaie.
Viens, 6+6 40
Enfant, mais souviens-toique je suis infidèle 6+6 23
120 Souvent, ou bien plutôt,capricieuse. Telle 6+6 23
Il faut me prendre. Et puis,voyez-vous, nous voici 6+6 17
Tous deux bien amoureux,– car je vous aime aussi, – 6+6 17
Là ! voilà le gros motlâché ! Mais…
SYLVANDRE
O cruelle 6+6 23
Réticence !
CHLORIS
 Attendezla fin, pauvre cervelle. 6+6 23
125 Mais, dirai-je, malgrétous nos transports et tous 6+6 41
Nos serments mutuels,solennels, et jaloux 6+6 42
D’être éternels, un dieumalicieux préside 6+6 43
Aux autels de Paphos –
(Sur un geste de dénégation de Sylvandre.)
C’est un fait – et de Gnide. 6+6 43
Telle est la loi qu’Amourà nos cœurs révéla. 6+6 2
130 L’on n’a pas plutôt ditceci qu’on fait cela. 6+6 2
Plus tard on se repend,c’est vrai, mais le parjure 6+6 21
A des ailes, et commeil perdrait sa gageure 6+6 21
Celui qui poursuivraitun mensonge envolé ! 6+6 37
Qu’y faire ? Promenerson souci désolé, 6+6 37
135 Bras ballants, yeux rougis,la tête décoiffée, 6+6 3
A travers monts et vaux,ainsi qu’une autre Orphée, 6+6 3
Gonfler l’air de soupirset l’Océan de pleurs 6+6 44
Par l’indiscrétionde bavardes douleurs ? 6+6 44
Non, cent fois non ! Plutôtaimer à l’aventure 6+6 21
140 Et ne demander pasl’impossible à Nature ! 6+6 21
Nous voici, venez-vousde dire, bien épris 6+6 10
L’un et l’autre, soyonsheureux, faisons mépris 6+6 10
De tout ce qui n’est pasnotre douce folie ! 6+6 22
Deux cœurs pour un, un cœurpour deux… je m’y rallie, 6+6 22
145 Me voici vôtre, tienne !Êtes-vous rassuré ? 6+6 37
Tout à l’heure j’avaismille fois tort, c’est vrai, 6+6 45
D’ainsi bouder un cœuroffert de bonne grâce, 6+6 46
Et c’est moi qui reviensà vous, de guerre lasse. 6+6 46
Donc aimons-nous. Prenezmon cœur avec ma main, 6+6 19
150 Mais, pour Dieu, n’allons passonger au lendemain, 6+6 19
Et si ce lendemaindoit ne pas être aimable, 6+6 47
Sachons que tout bonheurrepose sur le sable, 6+6 47
Qu’en amour il n’est pasde malhonnêtes gens, 6+6 48
Et surtout soyons-nousl’un à l’autre indulgents. 6+6 48
Cela vous plt ?
SYLVANDRE
Celame plairait si
SCÈNE V
LES PRÉCÉDENTS, MYRTIL
MYRTIL
survenant.
155 Madame 6+6 49
A raison. Son discoursserait l’épithalame 6+6 49
Que j’eusse proférési
CHLORIS
Cela fait deux « si », 6+6 17
C’est un de trop.
MYRTIL
à Chloris.
Je penseabsolument ainsi 6+6 17
Que vous.
CHLORIS
à Sylvandre.
Et vous, Monsieur ?
SYLVANDRE
La vérité m’oblige 6+6 50
CHLORIS
au même.
Et quoi, monsieur, déjàsi tiède !
MYRTIL
à Chloris.
160 L’homme-lige 6+6 50
Qu’il vous faut, ô Chloris,c’est moi
SCÈNE VI
LES PRÉCÉDENTS, ROSALINDE
ROSALINDE
survenant.
Salut ! je suis 6+6 10
Alors, puisqu’il le fautdécidément, depuis 6+6 10
Tous ces étonnements notre cœur se joue, 6+6 51
A votre chariotla cinquième roue. 6+6 51
(A Myrtil.)
165 Je vous rends vos sermentsanciens et les nouveaux 6+6 52
Et les récents, les vraisaussi bien-que les faux. 6+6 52
MYRTIL
au bras de Chloris
et protestant comme par manière d’acquit.
Chère !
ROSALINDE
Vous n’avez pasbesoin de vous défendre, 6+6 53
Car me voici l’amieintime de Sylvandre. 6+6 53
SYLVANDRE
ravi, surpris et léger.
O doux Charybde aprèsun aimable Scylla ! 6+6 2
170 Mais celle-ci va faireainsi que celle-là 6+6 2
Sans doute, et toutes deux,adorables coquettes 6+6 54
Dont les caprices sontbel et bien des raquettes, 6+6 54
Joueront avec mon cœur,je le crains, au volant. 6+6 14
CHLORIS
à Sylvandre.
Fat !
ROSALINDE
au même.
Ingrat !
MYRTIL
au même.
Insolent !
SYLVANDRE
à Myrtil.
Quand à cet « insolent », 6+6 14
175 Ami cher, mes griefssont au moins réciproques, 6+6 55
Et, s’il est vrai que nouste vexions, tu nous choques. 6+6 55
(A Rosalinde et à Chloris.)
Mesdames, je suis votreesclave à toutes deux, 6−6 5
Mais mon cœur qui se cabreaux chemins hasardeux 6+6 5
Est un méchant chevalréfractaire à la bride, 6+6 43
180 Qui devant tout périlconnu s’enfuit, rapide, 6+6 43
A tous crins, s’allât-ilrompre le col plus loin. 6+6 56
(A Rosalinde.)
Or, donc, si vous avez,Rosalinde, besoin 6+6 56
Pour un voyage au bleupays des fantaisies 6+6 57
D’un franc coursier, gourmandde provendes choisies 6+6 57
185 Et quelque peu fringant,mais jamais rebuté, 6+6 37
Chevauchez à loisirma bonne volonté. 6+6 37
MYRTIL
La déclarationest un tant soit peu roide, 6+6 58
Mais, bah ! chat échaudécraint l’eau, fût-elle froide, 6+6 58
(A Rosalinde)
N’est-ce pas, Rosalinde,et vous le savez bien, 6+6 19
Que ce chat-là surtout,c’est moi.
ROSALINDE
190 Je ne sais rien. 6+6 19
MYRTIL
Et puisqu’en ce conflit chacun se rebiffe 6+6 59
Chloris aussi veut bienm’avoir pour hippogriffe 6+6 59
De ses rêves deversla lune ou bien ailleurs, 6+6 44
Me voici tout bridé,couvert d’ailleurs de fleurs 6+6 44
195 Charmantes aux odeurspuissantes et divines 6+6 60
Dont je sentirai bientôt ou tard les épines, 6+6 60
(A Chloris)
Madame, n’est-ce pas ?
CHLORIS
Taisez-vous et m’aimez. 6+6 37
Adieu, Sylvandre !
ROSALINDE
Adieu,Myrtil !
MYRTIL
à Rosalinde.
Est-ce à jamais ? 6+6 61
SYLVANDRE
à Chloris.
C’est pour toujours !
ROSALINDE
Adieu,Myrtil !
CHLORIS
Adieu, Sylvandre ! 6+6 53
(Sortent Sylvandre et Rosalinde).
SCÈNE VII
MYRTIL, CHLORIS
CHLORIS
200 C’est donc que vous avezde l’amour à revendre 6+6 53
Pour, le joug d’une amanteirritée écarté, 6+6 37
Vous tourner aussitôtvers ma faible beauté ? 6+6 37
MYRTIL
Croyez-vous qu’elle soità ce point offensée ? 6+6 3
CHLORIS
Qui ? ma beauté ?
MYRTIL
Non. L’autre
CHLORIS
Ah ! – J’avais la pensée 6+6 3
205 Bien autre part, je vousl’avoue, et m’attendais 6−6 61
A quelque madrigalun peu compliqué, mais 6+6 61
Sans doute, vous voulezparler de Rosalinde 6+6 62
Et de courroux auquelson cœur crispé se guinde 6+6 62
N’en doutez pas, elle estvexée horriblement. 6+6 14
MYRTIL
En êtes-vous bien sûre ?
CHLORIS
210 Ah ! ça, pour un amant 6+6 14
Tout récemment élu,sur sa chaude supplique 6+6 63
Encore ! et clans un telconcours mélancolique 6+6 63
Malgré qu’un tant soit peuplaisant d’événements, 6+6 48
Ne pouvez-vous pas mieuxemployer les moments 6+6 48
215 Premiers de nos premiersamours, ô cher Thésée, 6+6 3
Qu’à vous préoccuperd’Ariane laissée ? 6+6 3
– Mais taisons cela, quitteà plus lard en parler. – 6+6 37
Eh oui, là je vous jure,à ne vous rien céler, 6+6 37
Que Rosalinde épriseencor d’un infidèle, 6+6 23
220 Trépigne, peste, enrage,et sa rancœur est telle 6+6 23
Qu’elle m’en a pris monSylvandre de dépit. 6−6 64
MYRTIL
Et vous regrettez fortSylvandre ?
CHLORIS
Mal lui prit, 6+6 64
Que je crois, de tombersur votre ancienne amie ? 6+6 22
MYRTIL
Et pourquoi ?
CHLORIS
Faux naïf !je ne le dirai mie, 6+6 22
MYRTIL
Mais regrettez-vous fortSylvandre ?
CHLORIS
225 M’aimez-vous, 6+6 41
Vous ?
MYRTIL
Vos yeux sont si beaux,votre
CHLORIS
Êtes-vous jaloux 6+6 42
De Sylvandre ?
MYRTIL
très vivement.
O oui !
(Se reprenant.)
Maisau passé, chère belle. 6+6 23
CHLORIS
Allons, un tel aveu,bien que tardif, s’appelle 6+6 23
Une galanterie,et je l’admets ainsi 6+6 17
Donc vous m’aimez ?
MYRTIL
distrait, après un silence.
O oui !
CHLORIS
230 Quel amoureux transi 6+6 17
Vous seriez si d’ailleursvous l’étiez de moi !
MYRTIL
même jeu que précédemment.
Douce 6+6 65
Amie !
CHLORIS
Ah ! que c’est froid !« Douce amie ! » Il vous trousse 6+6 65
Un compliment banalet prend un air vainqueur ! 6+6 66
J’aurai longtemps vos « oui »de tantôt sur le cœur. 6+6 66
MYRTIL
indolemment.
Permettez
CHLORIS
235 Mais voiciRosalinde et Sylvandre. 6+6 53
MYRTIL
comme réveillé en sursaut.
Rosalinde !
CHLORIS
Et Sylvandre.Et quel besoin de fendre 6+6 53
Ainsi l’air de vos brasen façon de moulin ? 6+6 19
Ils débusquent. Tournonsvite le terre-plein 6+6 19
Et vidons, s’il vous plt,ailleurs celle querelle. 6+6 23
(Ils sortent.)
SCÈNE VIII
SYLVANDRE, ROSALINDE
SYLVANDRE
Et voilà mon histoireen deux mots.
ROSALINDE
240 Elle est telle 6+6 23
Que j’y lis à l’enversl’histoire de Myrtil. 6+6 67
Par un pressentimentinquiet et subtil 6+6 67
Vous redoutez l’amourqui venait et sa lèvre 6+6 68
Aux baisers inconnusencore, et lui qu’enfièvre 6+6 68
245 Le souvenir d’un vieilamour désenlacé, 6+6 37
Stupide autant qu’ingrat,il a peur du passé, 6+6 37
Et tous deux avez tort,allez Sylvandre.
SYLVANDRE
Dites 6+6 69
Qu’il a tort…
ROSALINDE
Non, tous deux,et vous n’êtes pas quittes, 6+6 69
Et tous deux souffrirez,et ce sera bien fait. 6+6 33
SYLVANDRE
250 Après tout je ne voisque très mal mon forfait, 6+6 33
Et j’ignore très bienquel sera mon martyre. 6+6 70
(Minaudant.)
A moins que votre cœur…
ROSALINDE
Vous avez tort de rire. 6+6 70
SYLVANDRE
Je ne ris pas, je disposément d’une part 6+6 71
Que je ne crois point tantcriminel mon départ 6+6 71
255 D’avec Chloris, coquetteaimable mais sujette 6+6 32
A caution, et puis,d’autre part, je projette 6+6 32
D’être heureux avec vousqui m’avez bien voulu 6+6 25
Recueillir quand brisé,désemparé, moulu, 6+6 25
Berné par ma mtresseet planté là par elle 6+6 23
260 J’allais probablementme brûler la cervelle 6+6 23
Si j’avais eu quelque armeà feu sous mes dix doigts. 6+6 72
Oui je vais vous aimer,je le veux (je le dois 6+6 72
En outre), je vais vousaimer à la folie 6−6 22
Donc, arrière regrets,dépit, mélancolie ! 6+6 22
265 Je serai votre chienféal, ton petit loup 6+6 73
Bien doux…
ROSALINDE
Vous avez tortde rire, encore un coup. 6+6 73
SYLVANDRE
Encore un coup, je neris pas. Je vous adore, 6−6 20
J’idolâtre ta voixsi tendrement sonore ; 6+6 20
J’aime vos pieds, petitsà tenir dans la main, 6+6 19
270 Qui font un bruit mignardet gai sur le chemin 6+6 19
Et luisent, rêves blancs,sous les pompons des mules. 6+6 74
Quand les grands yeux, de quiles astres sont émules, 6+6 74
Abaissent jusqu’à nousleurs aimables rayons, 6+6 6
Comparable à ces fleursd’été que nous voyons 6+6 6
275 Tourner vers le soleilleur fidèle corolle, 6+6 75
Lors je tombe en extaseet reste sans parole, 6+6 75
Sans vie et sans pensée,éperdu, fou, hagard, 6+6 76
Devant l’éclat charmantet fier de ton regard. 6+6 76
Je frémis à ton souffleexquis comme au veut l’herbe, 6+6 77
280 O ma charmante, ô madivine, ô ma superbe, 6−6 77
Et mon âme palpiteau bout de tes cils d’or… 6+6 78
A propos, croyez-vousque Chloris m’aime encor ? 6+6 78
ROSALINDE
Et si je le pensais ?
SYLVANDRE
Question saugrenue 6+6 79
En effet !
ROSALINDE
Voulez-vousla vérité bien nue ? 6+6 79
SYLVANDRE
285 Non ! Que me fait ? Je suisun sot, et me voici 6+6 17
Confus, et je vous aimeuniquement.
ROSALINDE
Ainsi, 6+6 17
Cela vous est égalqu’il soit patent, palpable, 6+6 47
Évident que Chlorisvous adore
SYLVANDRE
Du diable 6+6 47
Si c’est possible ! Elle ! Elle !Allons donc !
(Soucieux, tout à coup, à part.)
Hélas !
ROSALINDE
Quoi, 6+6 38
Vous en doutez ?
SYLVANDRE
290 Ce cœurvolage suit sa loi, 6+6 38
Elle leurre à présent,Myrtil…
ROSALINDE
passionnément.
Elle le leurre. 6+6 80
Dites-vous ? Mais alorsil l’aime !…
SYLVANDRE
Que je meure 6+6 80
Si je comprends ce crijaloux !
ROSALINDE
Ah ! taisez-vous ! 6+6 41
SYLVANDRE
Un trompeur ! une folle !
ROSALINDE
Es-tu donc pas jaloux 6+6 42
De Myrtil, toi, hein, dis ?
SYLVANDRE
comme frappé subitement d’une idée douloureuse.
295 Tiens ! la fâcheuse idée 6+6 3
Mais c’est qu’oui ! me voicil’âme tout obsédée 6+6 3
ROSALINDE
presque joyeuse
Ah ! vous êtes jalouxaussi, je savais bien ! 6+6 19
SYLVANDRE
à part.
Feignons encor.
(A Rosalinde.)
Je vousjure qu’il n’en est rien 6−6 19
Et si vraiment je suisjaloux de quelque chose, 6+6 8
300 Le seul Myrtil du tempsjadis en est la cause. 6+6 8
ROSALINDE
Trêve de complimentsfastidieux. Je suis 6+6 10
Très triste, et vous aussi.Le but que je poursuis 6+6 10
Est le vôtre. Causonsde nos deuils identiques. 6+6 81
Des malheureux ce sont,il part, les pratiques, 6+6 81
305 Cela, dit-on, console.Or nous aimons toujours 6+6 82
Vous Chloris, moi Myrtil,sans espoir de retours 6+6 82
Apparents. Entre nousla seule différence 6+6 83
C’est que l’on m’a trahie,et que votre souffrance 6+6 83
A vous vient de vous-mêmeet n’est qu’un châtiment. 6+6 14
Ai-je tort ?
SYLVANDRE
310 Vous lisezdans mon cœur couramment, 6+6 14
Chère Chloris, je t’aiméchamment méconnue ! 6+6 79
Qui me rendra jamaisla malice ingénue, 6+6 79
Et la gté si bonne,et ta grâce, et ton cœur ? 6+6 66
ROSALINDE
Et moi, par un destinbien autrement moqueur, 6+6 66
Je pleure après Myrtilinfidèle
SYLVANDRE
315 Infidèle ! 6+6 23
Mais c’est qu’alors Chlorisl’aimerait. O mort d elle ! 6+6 23
J’enrage et je gémis !Mais ne disiez-vous pas 6+6 39
Tantôt qu’elle m’aimaitencore. – O cieux, là-bas, 6+6 39
Regardez, les voilà !
ROSALINDE
Qu’est-ce qu’ils vont se dire ? 6+6 70
(Ils remontent le théâtre.)
SCÈNE IX
LES PRÉCÉDENTS, CHLORIS, MYRTIL
CHLORIS
320 Allons, encore un peude franchise, beau sire 6+6 70
Ténébreux. Avouezvotre cas tout à fait. 6+6 33
Le silence, n’est-ilpas vrai ? vous étouffait, 6+6 33
Et l’obligationbanale vous vous crûtes 6+6 84
D’imiter à tout boutde champ la voix des flûtes 6+6 84
325 Pour quelque madrigalbien fade à mon endroit 6+6 85
Vous étouffait, ainsiqu’un pourpoint trop étroit ? 6+6 85
Votre cœur qui battaitpour elle dut me taire 6+6 11
Par politesse et parprudence son mystère ; 6−6 11
Mais à présent que j’aipresque tout deviné, 6+6 37
330 Pourquoi continuerce mutisme obstiné ? 6+6 37
Parlez d’elle, celad’abord sera sincère. 6+6 11
Puis vous souffrirez moins,et, s’il est nécessaire 6+6 11
De vous intéresseraux souffrances d’autrui, 6+6 17
J’ai besoin en retourde vous parler de lui. 6+6 17
MYRTIL
Et quoi, vous aussi, vous ?
CHLORIS
335 Moi-même, hélas ! moi-même, 6+6 86
Puis-je encore espérerque mon bien-aimé m’aime ? 6+6 86
Nous étions tous les deux,Sylvandre, si bien faits 6+6 61
L’un pour l’autre ! Quel sortjaloux, quel dieu mauvais 6+6 61
Fit ce malentenducruel qui nous sépare ? 6+6 87
340 Hélas ! il fut frivoleencor plus que barbare, 6+6 87
Et son esprit surtoutfit que son cœur pécha. 6+6 2
MYRTIL
Espérez, car peut-êtreil se repent déjà, 6+6 2
Si j’en juge d’aprèsmes remords…
(Il sanglote.)
Et mes larmes. 6+6 88
(Sylvandre et Rosine se pressent la main.)
ROSALINDE
survenant.
Les pleurs délicieux !Cher instant plein de charmes ! 6+6 88
MYRTIL
C’est affreux !
CHLORIS
O douleur !
ROSALINDE
sur la pointe du pied et très bas.
Chloris !
CHLORIS
345 Vous étiez là ? 6+6 2
ROSALINDE
Le sort capricieuxqui nous désassembla 6+6 2
A remis, faisant trêveà son ire inhumaine, 6+6 27
Sylvandre en bonnes mains,et je vous le ramène 6+6 27
Jurant son grand sermentqu’on ne l’y prendrait plus. 6+6 28
Est-il trop tard ?
SYLVANDRE
à Chloris.
350 O pointde refus absolus ! 6+6 28
De grâce ayez pitiéquelque peu. La vengeance 6+6 83
Suprême, c’est d’avoirun aspect d’indulgence, 6+6 83
Punissez-moi sans tropde justice et daignez 6+6 37
Ne me point accablerde traits plus indignés 6+6 89
355 Que n’en méritent, – nonmes crimes, – mais ma tête 6+6 32
Folle, mais mon cœur faibleet lâche
(Il tombe à genoux.).
CHLORIS
Êtes-vous bête ? 6+6 32
Relevez-vous, je suistrop heureuse à présent 6+6 14
Pour vous dire quoi quece soit de déplaisant, 6+6 14
Et je jette à ton couchéri mes bras de lierre. 6+6 11
360 Nous nous expliqueronsplus tard (Et ma première 6+6 11
Querelle et mon premierreproche seront pour 6+6 90
L’air de doute dont tureçus mon pauvre amour 6−6 90
Qui, s’il a quelques toursétourdis et frivoles, 6+6 91
N’en est pas moins, parmises apparences folles, 6+6 91
365 Quelque chose de toutdévoué pour toujours). 6+6 82
Donc, chassons ce nuage,et reprenons le cours 6+6 82
De la charmante ivresse s’exalta notre âme. 6+6 49
(A Rosalinde.)
Et quant à vous, soyezsûre, bonne Madame, 6+6 49
De notre amitié franche,et baisez votre sœur. 6+6 66
(Les deux femmes s’embrassent.)
SYLVANDRE
370 O si joyeuse avectoute cette douceur ! 6+6 66
ROSALINDE
à Myrtil.
Que diriez-vous, Myrtil,si je faisais comme elle ? 6+6 23
MYRTIL
Dieu ! elle a pardonné,clémente autant que belle. 6+6 23
(A Rosalinde.)
O laissez-moi baiservos mains pieusement ! 6+6 14
ROSALINDE
Voilà qui finit bienet c’est un cher moment 6+6 14
375 Que celui-ci. Sans plusparler de ces tristesses, 6+6 92
Soyons heureux.
(A Chloris et à Sylvandre.)
Sachezenlacer vos jeunesses. 6+6 92
Doux amis, et joyeuxque vous êtes, cueillez 6+6 37
La fleur rouge de vosbaisers ensoleillés. 6−6 89
(Se tournant vers Myrtil.)
Pour nous, amants ancienssur qui gronde la vie, 6+6 22
380 Nous vous admireronssans vous porter envie, 6+6 22
Ayant, nous, nos bonheursdiscrets d’après-midi, 6+6 17
(Tous les personnages de la scène 1ère reviennent
se grouper comme au lever du rideau)
Et voyez, aux rayonsdu soleil attiédi, 6+6 17
Voici tous nos amisqui reviennent des danses 6+6 93
Comme pour recevoirnos belles confidences. 6+6 93
SCÈNE X
TOUS, groupés comme ci-dessus.,
MEZZETIN
chantant.
385  Va ! sans nul autre souci 7 17
 Que de conserver ta joie ! 7 94
 Fripe les jupes de soie 7 94
 Et gte les vers aussi. 7 17
 La morale la meilleure, 7 80
390  En ce monde les plus fous 7 41
 Sont les plus sages de tous, 7 41
 C’est encor d’oublier l’heure. 7 80
 Il s’agit de n’être point 7 95
 Mélancolique et morose. 7 8
395  La vie est-elle une chose 7 8
 Grave et ruelle à ce point ? 7 95
(La toile tombe.)
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