Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
VER_13/VER622
Paul VERLAINE
ÉLÉGIES
1893
VII
Enfin c’est toi ! | Laisse-moi rester dans tes bras ; 4+8 a
Puis tu m’objurgueras | tant que tu le voudras ; 6+6 a
Mais laisse-moi pleurer | dans ton giron, que sais-je ? 6+6 b
Sur tes pieds, vers tes yeux | ou mon remords s’allège ; 6+6 b
5 Mon remords véritable, | ou ma honte plutôt, 6+6 a
Ma honte véridique | à n’en point perdre un mot, 6+6 a
Et voici, non pas mon | excuse… superflue ! 6−6 b
Voici les faits, et juge : |
Or, un jour de berlue, 6+6 b
J’avais, toi là, lorgné | quelque minois passant. 6+6 a
10 Tu m’en fis l’observation | en te gaussant, 8+4 a
C’est vrai, mais non sans quelque | amertume latente, 6+6 b
Du moins pensais-je ainsi, | moi toujours dans l’attente 6+6 b
De tous tes sentiments | qu’ils soient bons ou mauvais, 6+6 a
Pour m’en désespérer | ou m’en réjouir, mais 6+6 a
15 Passons. Et me piquant | au jeu, je jouai double, 6+6 b
D’abord plein de scrupule, | ô conscience trouble ! 6+6 b
Puis délibérément, | sans pudeur, à ton nez 6+6 a
(Adorable pourtant |), et mes vœux étonnés 6+6 a
Qui, dès longtemps n’avaient | que loi pour but au monde 6+6 b
20 S’égaillèrent bientôt | de la brune à la blonde. 6+6 b
Enfin vint le départ, | la fuite, l’abandon 6+6 a
De toi par moi, | mes rencontres d’une Goton 4+8 a
Par nuit, vingt nuits avec | des femmes différentes, 6+6 b
Et, je m’habituais | à ça comme des rentes 6+6 b
25 Sans même me douter | si c’était odieux, 6+6 a
Tant mes sens m’étaient devenus | comme des dieux, 8+4 a
De ta saine présence | exilés volontaires 6+6 b
Et je les enivrai | de ces vingt adultères 6+6 b
Ainsi qu’un vil païen | prodiguant son encens 6+6 a
30 A des idoles, et | son cœur avec ou sans. 6+6 a
Le cœur, quelle catin | alors qu’il se dérange ! 6+6 b
Dans ces femmes d’ailleurs | je n’ai pas trouvé l’ange 6+6 b
Qu’il eût fallu | pour remplacer | ce diable, toi ! 4+4+4 a
L’une, fille du Nord, | native d’un Crotoy, 6+6 a
35 Était rousse, mal grasse | et de prestance molle : 6+6 b
Elle ne m’adressa | guère qu’une parole 6+6 b
Et c’était d’un petit | cadeau qu’il s’agissait. 6+6 a
L’autre, pruneau d’Agen, | sans cesse croassait, 6+6 a
En revanche, dans son | accent d’ail et de poivre, 6−6 b
40 Une troisième, | récemment | chanteuse au Havre, 4+4+4 b
Affectait le dandinement | des matelots 8+4 a
Et m’…engueulait comme un | gabier tançant les flots, 6−6 a
Mais portait beau vraiment, | sacrédié, quel dommage 6+6 b
La quatrième était | sage comme une image, 6+6 b
45 Châtain clair, peu de gorge | et priait Dieu parfois : 6+6 a
Le diantre soit de ses | sacrés signes de croix ! 6−6 a
Les seize autres, autant | du moins que ma mémoire 6+6 b
Surnage en ce vortex, | contaient toutes l’histoire 6+6 b
Connue, un amant chic, | puis des vieux, puis « l’îlot » 6+6 a
50 Tantôt bien, tantôt moins, | le clair café falot 6+6 a
Les terrasses l’été, | l’hiver les brasseries 6+6 b
Et par degrés | l’humble trottoir | en théories 4+4+4 b
En attendant les bons | messieurs compatissants 6+6 a
Capables d’un louis | et pas trop repoussants 6+6 a
55 Quorum ego parva | pars erim, me disais-je. 6+6 b
Mais toutes, comme la | première du cortège, 6−6 b
Dès avant la bougie | éteinte et le rideau 6+6 a
Tiré, n’oubliaient pas | le « mon petit cadeau ». 6+6 a
Et voilà mou bilan | de folles andalouses. 6+6 b
60 Ça vexe-t-il par trop, | dis, tes fureurs jalouses 6+6 b
Ou si je suis plutôt | à plaindre qu’à blâmer ? 6+6 a
Mais voici que j’y pense – | ô misère d’aimer ! 6+6 a
Moi qui parle tout franc | et qui plaide coupable. 6+6 b
Ne serais-tu pas, toi, | de ton côté capable 6+6 b
65 Non pas de ne pas pardonner | (c’est si joli, 8+4 a
Si gentil le pardon, | – quand c’est fleuri d’oubli), 6+6 a
Mais, te voyant ainsi | méchamment esseulée, 6+6 b
Hein, de t’être faite une veuve | consolée ? 8+4 b
Bonne guerre, après tout, | et m’en taire siérait. 6+6 a
70 O tout de même, si | qu’on se pardonnerait ? 6+6 a
mètre profil métrique : 6=6
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