Métrique en Ligne
VAL_5/VAL102
Paul VALÉRY
CORONILLA
1938-1945
II
Poèmes datés
(1938-1943)
TITUS
TITUS
Gardes, qu'on se retire… Et toi, cher Comédon, 12
Demeure… NON. Va-t'en… Fuis-moi… Je te fais don 12
De dix mille points noirs sertis dans mon visage 12
Qui n'en déparent point le fameux paysage… 12
5 De la Reine jadis le fastueux butin. 12
Mais quels étranges mots j'en reçois ce matin… 12
(Comédon exit)
TITUS
(parlant à quelqu'une qu'on ne voit pas)
Quoi… Vous osez vous plaindre et je ne fais qu'écrire, 12
Madame… Je dérobe aux soucis de l'Empire 12
Au Collège, où le peuple anxieux de ma voix 12
10 Lustre d'un cul divers les banquettes de bois, 12
Au Centre (de mes biens support toujours fragile) 12
À ma gloire, statue encor faite d'argile, 12
À la page où j'impose un verbe sans défaut, 12
Le temps très précieux, mais tout le temps qu'il faut 12
15 Pour vous parler en moi, pour chérir et pour joindre 12
Celle que je voudrais de mes caresses oindre 12
Et d'heure ne passer qu'elle ne soit pour nous 12
Un mélange toujours plus tendre de genoux, 12
Un échange du bien des chairs récompensées, 12
20 Un silence flatté des plus douces pensées 12
Dans les langueurs duquel couve le sel profond 12
Qui donne aux êtres soif des sources qu'ils se font… 12
Non, Madame, cessez d'accuser ma paresse. 12
Le besoin d'être à vous me commande et me presse, 12
25 Chaque souffle vous berce entre ma vie et moi, 12
Et tu ne peux comprendre, aliment de ma foi, 12
Fantôme trop certain de sa toute puissance, 12
Que tu vis plus ici qu'au fond de ton absence, 12
Et qu'à peine Titus trouve un peu de repos 12
30 À t'adresser en vain les plus ardents propos. 12
Hélas, mon âme en vous trouve son holocauste… 12
Et vous, vous m'imputez les lenteurs de la poste, 12
Empereur que je suis, tout maître que je sois, 12
Puis-je hâter les gens qui cherchent dans les bois, 12
35 Harceler le porteur qui tendra ma missive 12
À l'adorable main d'une reine pensive ? 12
QUI,… Mais je ne hais point que votre cher esprit 12
Puisse pâtir un peu si je n'ai point écrit : 12
C'est donc que vous avez quelque goût de ma prose, 12
40 Belle odorante Vous, tendre éloquente Rose, 12
Et c'est pourquoi voulant redresser vos travers 12
L'empereur aujourd'hui ne vous écrit qu'en vers. 12
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