Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
VAL_3/VAL42
Paul VALÉRY
LA JEUNE PARQUE
1917
La Jeune Parque
à André Gide :
Depuis bien des années
j’avais laissé l’art des vers :
essayant de m’y astreindre encore,
j’ai fait cet exercice que je te dédie.
Le Ciel a-t-il formé cet amas de merveilles
Pour la demeure d’un serpent ?
Pierre Corneille.
Qui pleure là, sinonle vent simple, à cette heure 6+6 a
Seule, avec diamantsextrêmes ?… Mais qui pleure, 6+6 a
Si proche de moi-mêmeau moment de pleurer ? 6+6 b
Cette main, sur mes traitsqu’elle rêve effleurer, 6+6 b
5 Distraitement docileà quelque fin profonde, 6+6 a
Attend de ma faiblesseune larme qui fonde, 6+6 a
Et que de mes destinslentement divisé, 6+6 b
Le plus pur en silenceéclaire un cœur brisé. 6+6 b
La houle me murmureune ombre de reproche, 6+6 a
10 Ou retire ici-bas,dans ses gorges de roche, 6+6 a
Comme chose déçueet bue amèrement, 6+6 b
Une rumeur de plainteet de resserrement… 6+6 b
Que fais-tu, hérissée,et cette main glacée, 6+6 a
Et quel frémissementd’une feuille effacée 6+6 a
15 Persiste parmi vous,îles de mon sein nu ?… 6+6 b
Je scintille, liéeà ce ciel inconnu 6+6 b
L’immense grappe brilleà ma soif de désastres. 6+6 a
Tout-puissants étrangers,inévitables astres 6+6 a
Qui daignez faire luireau lointain temporel 6+6 b
20 Je ne sais quoi de puret de surnaturel ; 6+6 b
Vous qui dans les mortelsplongez jusques aux larmes 6+6 a
Ces souverains éclats,ces invincibles armes, 6+6 a
Et les élancementsde votre éternité, 6+6 b
Je suis seule avec vous,tremblante, ayant quitté 6+6 b
25 Ma couche ; et sur l’écueilmordu par la merveille, 6+6 a
J’interroge mon cœurquelle douleur l’éveille, 6+6 a
Quel crime par moi-mêmeou sut moi consommé ?… 6+6 b
Ou si le mal me suitd’un songe refermé, 6+6 b
Quand (au velours du souffleenvolé l’or des lampes) 6+6 a
30 J’ai de mes bras épaisenvironné mes tempes, 6+6 a
Et longtemps de mon âmeattendu les éclairs ? 6+6 b
Toute ? Mais toute à moi,mtresse de mes chairs, 6+6 b
Durcissant d’un frissonleur étrange étendue, 6+6 a
Et dans mes doux liens,à mon sang suspendue, 6+6 a
35 Je me voyais me voir,sinueuse, et dorais 6+6 b
De regards en regards,mes profondes forêts. 6+6 b
J’y suivais un serpentqui venait de me mordre. 6+6 a
Quel repli de désirs,sa trne !… Quel désordre 6+6 a
De trésors s’arrachantà mon avidité, 6+6 b
40 Et quelle sombre soifde la limpidité ! 6+6 b
Ô ruse !… À la lueurde la douleur laissée 6+6 a
Je me sentis connueencor plus que blessée 6+6 a
Au plus trtre de l’âme,une pointe me nt ; 6+6 b
Le poison, mon poison,m’éclaire et se connt : 6+6 b
45 Il colore une viergeà soi-même enlacée, 6+6 a
Jalouse… Mais de qui,jalouse et menacée ? 6+6 a
Et quel silence parleà mon seul possesseur ? 6+6 b
Dieux ! Dans ma lourde plaieune secrète sœur 6+6 b
Brûle, qui se préfèreà l’extrême attentive. 6+6 a
50 Va ! je n’ai plus besoinde ta race naïve, 6+6 a
Cher Serpent… Je m’en ;ace,être vertigineux ! 6+6 b
Cesse de me prêterce mélange de nœuds 6+6 b
Ni ta fidélitéqui me fuit et devine 6+6 a
Mon âme y peut suffire,ornement de ruine ! 6+6 a
55 Elle sait, sur mon ombreégarant ses tourments, 6+6 b
De mon sein, dans les nuits,mordre les rocs charmants ; 6+6 b
Elle y suce longtempsle lait des rêveries… 6+6 a
Laisse donc défaillirce bras de pierreries 6+6 a
Qui menace d’amourmon sort spirituel… 6+6 b
60 Tu ne peux rien sur moiqui ne soit moins cruel, 6+6 b
Moins désirableApaisealors, calme ces ondes, 6+6 a
Rappelle ces remous,ces promesses immondes… 6+6 a
Ma surprise s’abrège,et mes yeux sont ouverts. 6+6 b
Je n’attendais pas moinsde mes riches déserts 6+6 b
65 Qu’un tel enfantementde fureur et de tresse : 6+6 a
Leurs fonds passionnésbrillent de sécheresse 6+6 a
Si loin que je m’avanceet m’altère pour voir 6+6 b
De mes enfers pensifsles confins sans espoir… 6+6 b
Je sais… Ma lassitudeest parfois un théâtre. 6+6 a
70 L’esprit n’est pas si purque jamais idolâtre 6+6 a
Sa fougue solitaireaux élans de flambeau 6+6 b
Ne fasse fuir les mursde son morne tombeau. 6+6 b
Tout peut ntre ici-basd’une attente infinie. 6+6 a
L’ombre même le cèdeà certaine agonie, 6+6 a
75 L’âme avare s’entr’ouvre,et du monstre s’émeut 6+6 b
Qui se tord sur les pasd’une porte de feu 6+6 b
Mais, pour capricieuxet prompt que tu paraisses, 6+6 a
Reptile, ô vifs détourstout courus de caresses, 6+6 a
Si proche impatienceet si lourde langueur, 6+6 b
80 Qu’es-tu, près de ma nuitd’éternelle longueur ? 6+6 b
Tu regardais dormirma belle négligence 6+6 a
Mais avec mes périls,je suis d’intelligence, 6+6 a
Plus versatile, ô Thyrse,et plus perfide qu’eux. 6+6 b
Fuis-moi ! du noir retourreprends le fil visqueux ! 6+6 b
85 Va chercher des yeux clospour tes danses massives. 6+6 a
Coule vers d’autres litstes robes successives, 6+6 a
Couve sur d’autres cœursles germes de leur mal, 6+6 b
Et que dans les anneauxde ton rêve animal 6+6 b
Halète jusqu’au jourl’innocence anxieuse !… 6+6 a
90 Moi, je veille. Je sors,pâle et prodigieuse, 6+6 a
Toute humide des pleursque je n’ai point versés, 6+6 b
D’une absence aux contoursde mortelle bercés 6+6 b
Par soi seuleEt brisantune tombe sereine, 6+6 a
Je m’accoude inquièteet pourtant souveraine, 6+6 a
95 Tant de mes visionsparmi la nuit et l’œil, 6+6 b
Les moindres mouvementsconsultent mon orgueil. » 6+6 b
Mais je tremblais de perdreune douleur divine ! 6+6 a
Je baisais sur ma maincette morsure fine, 6+6 a
Et je ne savais plusde mon antique corps 6+6 b
100 Insensible, qu’un feuqui brûlait sur mes bords : 6+6 b
Adieu, pensai-je, MOI,mortelle sœur, mensonge 6+6 a
Harmonieuse MOI,différente d’un songe, 6+6 a
Femme flexible et fermeaux silences suivis 6+6 b
D’actes purs !… Front limpide,et par ondes ravis, 6+6 b
105 Si loin que le vent vagueet velu les achève 6+6 a
Longs brins légers qu’au largeun vol mêle et soulève, 6+6 a
Dites !… J’étais l’égaleet l’épouse du jour, 6+6 b
Seul support souriantque je formais d’amour 6+6 b
À la toute-puissantealtitude adorée 6+6 a
110 Quel éclat sur mes cilsaveuglément dorée, 6+6 a
Ô paupières qu’opprimeune nuit de trésor, 6+6 b
Je priais à tâtonsdans vos ténèbres d’or ! 6+6 b
Poreuse à l’éternelqui me semblait m’enclore, 6+6 a
Je m’offrais dans mon fruitde velours qu’il dévore ; 6+6 a
115 Rien ne me murmuraitqu’un désir de mourir 6+6 b
Dans cette blonde pulpeau soleil pût mûrir : 6+6 b
Mon amère saveurne m’était point venue. 6+6 a
Je ne sacrifiaisque mon épaule nue 6+6 a
À la lumière ; et surcette gorge de miel, 6−6 b
120 Dont la tendre naissanceaccomplissait le ciel, 6+6 b
Se venait assoupirla figure du monde. 6+6 a
Puis, dans le dieu brillant,captive vagabonde, 6+6 a
Je m’ébranlais brûlanteet foulais le sol plein, 6+6 b
Liant et déliantmes ombres sous le lin. 6+6 b
125 Heureuse ! À la hauteurde tant de gerbes belles, 6+6 a
Qui laissait à ma robeobéir les ombelles, 6+6 a
Dans les abaissementsde leur frêle fierté 6+6 b
Et si, contre le filde cette liberté, 6+6 b
Si la robe s’arracheà la rebelle ronce, 6+6 a
130 L’arc de mon brusque corpss’accuse et me prononce, 6+6 a
Nu sous le voile enfléde vivantes couleurs 6+6 b
Que dispute ma raceaux longs liens de fleurs ! 6+6 b
Je regrette à demicette vaine puissance 6+6 a
Une avec le désir,je fus l’obéissance 6+6 a
135 Imminente, attachéeà ces genoux polis ; 6+6 b
De mouvements si promptsmes vœux étaient remplis 6+6 b
Que je sentais ma causeà peine plus agile ! 6+6 a
Vers mes sens lumineuxnageait ma blonde argile, 6+6 a
Et dans l’ardente paixdes songes naturels, 6+6 b
140 Tous ces pas infinisme semblaient éternels. 6+6 b
Si ce n’est, ô Splendeur,qu’à mes pieds l’Ennemie, 6+6 a
Mon ombre ! la mobileet la souple momie, 6+6 a
De mon absence peinteeffleurait sans effort 6+6 b
La terre je fuyaiscette légère mort. 6+6 b
145 Entre la rose et moije la vois qui s’abrite ; 6+6 a
Sur la poudre qui danse,elle glisse et n’irrite 6+6 a
Nul feuillage, mais passe,et se brise partout… 6+6 b
Glisse ! Barque funèbre
Et moi vive, debout, 6+6 b
Dure, et de mon néantsecrètement armée, 6+6 a
150 Mais, comme par l’amourune joue enflammée, 6+6 a
Et la narine jointeau vent de l’oranger, 6+6 b
Je ne rends plus au jourqu’un regard étranger 6+6 b
Oh ! combien peut grandirdans ma nuit curieuse 6+6 a
De mon cœur séparéla part mystérieuse, 6+6 a
155 Et de sombres essaiss’approfondir mon art !… 6+6 b
Loin des purs environs,je suis captive, et par 6+6 b
L’évanouissementd’arômes abattue, 6+6 a
Je sens sous les rayons,frissonner ma statue, 6+6 a
Des caprices de l’or,son marbre parcouru. 6+6 b
160 Mais je sais ce que voitmon regard disparu ; 6+6 b
Mon œil noir est le seuild’infernales demeures ! 6+6 a
Je pense, abandonnantà la brise les heures 6+6 a
Et l’âme sans retourdes arbustes amers, 6+6 b
Je pense, sur le borddoré de l’univers, 6+6 b
165 À ce gt de périrqui prend la Pythonisse 6+6 a
En qui mugit l’espoirque le monde finisse. 6+6 a
Je renouvelle en moimes énigmes, mes dieux, 6+6 b
Mes pas interrompusde paroles aux cieux, 6+6 b
Mes pauses, sur le piedportant la rêverie 6+6 a
170 . Qui suit au miroir d’aileun oiseau qui varie, 6+6 a
Cent fois sur le soleiljoue avec leant, 6+6 b
Et brûle, au sombre butde mon marbreant. 6+6 b
Ô dangereusementde son regard la proie ! 6+6 a
Car l’œil spirituelsur ses plages de soie 6+6 a
175 Avait déjà vu luireet pâlir trop de jours 6+6 b
Dont je m’étais préditles couleurs et le cours. 6+6 b
L’ennui, le clair ennuide mirer leur nuance, 6+6 a
Me donnait sur ma vieune funeste avance : 6+6 a
L’aube me dévoilaittout le jour ennemi. 6+6 b
180 J’étais à demi morte ;et peut-être, à demi 6+6 b
Immortelle, rêvantque le futur lui-même 6+6 a
Ne fût qu’un diamantfermant le diadème 6+6 a
s’échange le froiddes malheurs qui ntront 6+6 b
Parmi tant d’autres feuxabsolus de mon front. 6+6 b
185 Osera-t-il, le Temps,de mes diverses tombes, 6+6 a
Ressusciter un soirfavori des colombes, 6+6 a
Un soir qui trne au fild’un lambeau voyageur 6+6 b
De ma docile enfanceun reflet de rougeur, 6+6 b
Et trempe à l’émeraudeun long rose de honte ? 6+6 a
190 Souvenir, ô bûcher,dont le vent d’or m’affronte, 6+6 a
Souffle au masque la pourpreimprégnant le refus 6+6 b
D’être en moi-même en flammeune autre que je fus… 6+6 b
Viens, mon sang, viens rougirla pâle circonstance 6+6 a
Qu’ennoblissait l’azurde la sainte distance, 6+6 a
195 Et l’insensible irisdu temps que j’adorai ! 6+6 b
Viens consumer sur moice don décoloré 6+6 b
Viens ! que je reconnaisseet que je les haïsse, 6+6 a
Cette ombrageuse enfant,ce silence complice, 6+6 a
Ce trouble transparentqui baigne dans les bois… 6+6 b
200 Et de mon sein glacérejaillisse la voix 6+6 b
Que j’ignorais si rauqueet d’amour si voilée 6+6 a
Le col charmant cherchantla chasseresse ailée. 6+6 a
Mon cœur fut-il si prèsd’un cœur qui va faiblir ? 6+6 b
Fut-ce bien moi, grands cilsqui crus m’ensevelir 6+6 b
205 Dans l’arrière douceurriant à vos menaces… 6+6 a
Ô pampres ! sur ma joueerrant en fils tenaces, 6+6 a
Ou toi… de cils tissueet de fluides fûts, 6+6 b
Tendre lueur d’un soirbrisé de bras confus ? 6+6 b
« Que dans le ciel placés,mes yeux tracent mon temple ! 6+6 a
210 Et que sur moi reposeun autel sans exemple ! » 6+6 a
Criaient de tout mon corpsla pierre et la pâleur… 6+6 b
La terre ne m’est plusqu’un bandeau de couleur 6+6 b
Qui coule et se refuseau front blanc de vertige 6+6 a
Tout l’univers chancelleet tremble sur ma tige, 6+6 a
215 La pensive couronneéchappe à mes esprits, 6+6 b
La mort veut respirercette rose sans prix 6+6 b
Dont la douceur importeà sa fin ténébreuse ! 6+6 a
Que si ma tendre odeurgrise ta tête creuse, 6+6 a
Ô mort, respire enfincette esclave de roi : 6+6 b
220 Appelle-moi, délie !Et désespère-moi, 6+6 b
De moi-même si lasse,image condamnée ! 6+6 a
écoute… N’attends plus…La renaissante année 6+6 a
À tout mon sang préditde secrets mouvements : 6+6 b
Le gel cède à regretses derniers diamants… 6+6 b
225 Demain, sur un soupirdes Bontés constellées, 6+6 a
Le printemps vient briserles fontaines scellées : 6+6 a
L’étonnant printemps rit,violeOn ne sait d’ 6+6 b
Venu ? Mais la candeurruisselle à mots si doux 6+6 b
Qu’une tendresse prendla terre à ses entrailles… 6+6 a
230 Les arbres regonfléset recouverts d’écailles 6+6 a
Chargés de tant de braset de trop d’horizons, 6+6 b
Meuvent sur le soleilleurs tonnantes toisons, 6+6 b
Montent dans l’air ameravec toutes leurs ailes 6+6 a
De feuilles par milliersqu’ils se sentent nouvelles… 6+6 a
235 N’entends-tu pas frémirces noms aériens, 6+6 b
Ô Sourde !… Et dans l’espaceaccablé de liens, 6+6 b
Vibrant de bois vivaceinfléchi par la cime, 6+6 a
Pour et contre les dieuxramer l’arbre unanime, 6+6 a
La flottante forêtde qui les rudes troncs 6+6 b
240 Portent pieusementà leurs fantasques fronts, 6+6 b
Aux déchirants départsdes archipels superbes, 6+6 a
Un fleuve tendre, ô mort,et caché sous les herbes ? 6+6 a
Quelle résisterait,mortelle, à ces remous ? 6+6 b
Quelle mortelle ?
Moisi pure, mes genoux 6+6 b
245 Pressentent les terreursde genoux sans défense 6+6 a
L’air me brise. L’oiseauperce de cris d’enfance 6+6 a
Inouïs…l’ombre même se serre mon cœur, 6+6 b
Et roses ! mon soupirvous soulève, vainqueur 6+6 b
Hélas ! des bras si douxqui ferment la corbeille 6+6 a
250 Oh ! parmi mes cheveuxpèse d’un poids d’abeille, 6+6 a
Plongeant toujours plus ivreau baiser plus aigu, 6+6 b
Le point délicieuxde mon jour ambigu 6+6 b
Lumière !… Ou toi, la mort !Mais le plus prompt me prenne !… 6+6 a
Mon cœur bat ! mon cœur bat !Mon sein brûle et m’entrne ! 6+6 a
255 Ah ! qu’il s’enfle, se gonfleet se tende, ce dur 6+6 b
Très doux témoin captifde mes réseaux d’azur… 6+6 b
Dur en moi… mais si douxà la bouche infinie !… 6+6 a
Chers fantômes naissantsdont la soif m’est unie, 6+6 a
Désirs ! Visages clairs !Et vous, beaux fruits d’amour, 6+6 b
260 Les dieux m’ont-ils forméce maternel contour 6+6 b
Et ces bords sinueux,ces plis et ces calices, 6+6 a
Pour que la vie embrasseun autel de délices, 6+6 a
mêlant l’âme étrangeaux éternels retours, 6+6 b
La semence, le lait,le sang coulent toujours ? 6+6 b
265 Non ! L’horreur m’illumine,exécrable harmonie ! 6+6 a
Chaque baiser présageune neuve agonie 6+6 a
Je vois, je vois flotter,fuyant l’honneur des chairs 6+6 b
Des mânes impuissantsles millions amers… 6+6 b
Non, souffles ! Non, regards,tendresses… mes convives, 6+6 a
270 Peuple altéré de moisuppliant que tu vives, 6+6 a
Non, vous ne tiendrez pasde moi la vie !… Allez, 6+6 b
Spectres, soupirs la nuitvainement exhalés, 6+6 b
Allez joindre des mortsles impalpables nombres ! 6+6 a
Je n’accorderai pasla lumière à des ombres, 6+6 a
275 Je garde loin de vous,l’esprit sinistre et clair… 6+6 b
Non ! Vous ne tiendrez pasde mes lèvres l’éclair !… 6+6 b
Et puis… mon cœur aussivous refuse sa foudre. 6+6 a
J’ai pitié de nous tous,ô tourbillons de poudre ! 6+6 a
Grands Dieux ! Je perds en vousmes pas déconcertés ! 6+6 b
280 Je n’implorerai plusque tes faibles clartés, 6+6 b
Longtemps sur mon visageenvieuse de fondre, 6+6 a
Très imminente larme,et seule à me répondre, 6+6 a
Larme qui fais tremblerà mes regards humains 6+6 b
Une variétéde funèbres chemins ; 6+6 b
285 Tu procèdes de l’âme,orgueil du labyrinthe, 6+6 a
Tu me portes du cœurcette goutte contrainte, 6+6 a
Cette distractionde mon suc précieux 6+6 b
Qui vient sacrifiermes ombres sur mes yeux, 6+6 b
Tendre libationde l’arrière-pensée ! 6+6 a
290 D’une grotte de crainteau fond de moi creusée 6+6 a
Le sel mystérieuxsuinte muette l’eau. 6+6 b
D’ nais-tu ? Quel travailtoujours triste et nouveau 6+6 b
Te tire avec retard,larme, de l’ombre amère ? 6+6 a
Tu gravis mes degrésde mortelle et de mère, 6+6 a
295 Et déchirant ta route,opiniâtre faix, 6+6 b
Dans le temps que je vis,les lenteurs que tu fais 6+6 b
M’étouffent… Je me tais,buvant ta marche sûre 6+6 a
— Qui t’appelle au secoursde ma jeune blessure ! 6+6 a
Mais blessures, sanglots,sombres essais, pourquoi ? 6+6 b
300 Pour qui, joyaux cruels,marquez-vous ce corps froid, 6+6 b
Aveugle aux doigts ouvertsévitant l’espérance ! 6+6 a
va-t-il, sans répondreà sa propre ignorance, 6+6 a
Ce corps dans la nuit noireétonné de sa foi ? 6+6 b
Terre troubleet mêléeà l’algue, porte-moi, 6+6 b
305 Porte doucement moiMa faiblesse de neige, 6+6 a
Marchera-t-elle tantqu’elle trouve son piège ? 6+6 a
trne-t-il, mon cygne, cherche-t-il son vol ? 6+6 b
… Dureté précieuseÔ sentiment du sol, 6+6 b
Mon pas fondait sur toil’assurance sacrée ! 6+6 a
310 Mais sous le pied vivantqui tâte et qui la crée 6+6 a
Et touche avec horreurà son pacte natal, 6+6 b
Cette terre si fermeatteint mon piédestal. 6+6 b
Non loin, parmi ces pas,rêve mon précipice 6+6 a
L’insensible rocher,glissant d’algues, propice 6+6 a
315 À fuir (comme en soi-mêmeineffablement seul), 6+6 b
CommenceEt le vent sembleau travers d’un linceul 6+6 b
Ourdir de bruits marinsune confuse trame, 6+6 a
Mélange de la lameen ruine, et de rame 6+6 a
Tant de hoquets longtemps,et de râles heurtés, 6+6 b
320 Brisés, repris au largeet tous les sorts jetés 6+6 b
éperdument diversroulant l’oubli vorace 6+6 a
Hélas ! de mes pieds nusqui trouvera la trace 6+6 a
Cessera-t-il longtempsde ne songer qu’à soi ? 6+6 b
Terre trouble, et mêléeà l’algue, porte-moi ! 6+6 b
325 Mystérieuse MOI,pourtant, tu vis encore ! 6+6 a
Tu vas te reconntreau lever de l’aurore 6+6 a
Amèrement la même
Un miroir de la mer 6+6 b
Se lèveEt sur la lèvre,un sourire d’hier 6+6 b
Qu’annonce avec ennuil’effacement des signes, 6+6 a
330 Glace dans l’orientdéjà les pâles lignes 6+6 a
De lumière et de pierre,et la pleine prison 6+6 b
flottera l’anneaude l’unique horizon 6+6 b
Regarde : un bras très purest vu, qui se dénude. 6+6 a
Je te revois, mon bras…Tu portes l’aube
Ô rude 6+6 a
335 Réveil d’une victimeinachevéeet seuil 6+6 b
Si doux… si clair, que flatte,affleurement d’écueil, 6+6 b
L’onde basse, et que laveune houle amortie !… 6+6 a
L’ombre qui m’abandonne,impérissable hostie, 6+6 a
Me découvre vermeilleà de nouveaux désirs, 6+6 b
340 Sur le terrible autelde tous mes souvenirs. 6+6 b
Là, l’écume s’efforceà se faire visible ; 6+6 a
Et là, tituberasur la barque sensible 6+6 a
À chaque épaule d’onde,un pêcheur éternel. 6+6 b
Tout va donc accomplirson acte solennel 6+6 b
345 De toujours repartreincomparable et chaste, 6+6 a
Et de restituerla tombe enthousiaste 6+6 a
Au gracieux étatdu rire universel. 6+6 b
Salut ! Divinitéspar la rose et le sel, 6+6 b
Et les premiers jouetsde la jeune lumière, 6+6 a
350 Îles !… Ruches bientôtquand la flamme première 6+6 a
Fera que votre roche,îles que je prédis, 6+6 b
Ressente en rougissantde puissants paradis ; 6+6 b
Cimes qu’un feu fécondeà peine intimidées, 6+6 a
Bois qui bourdonnerezde bêtes et d’idées, 6+6 a
355 D’hymnes d’hommes comblésdes dons du juste éther, 6+6 b
Îles ! dans la rumeurdes ceintures de mer, 6+6 b
Mères vierges toujours,même portant ces marques, 6+6 a
Vous m’êtes à genouxde merveilleuses Parques : 6+6 a
Rien n’égale dans l’airles fleurs que vous placez, 6+6 b
360 Mais dans la profondeur,que vos pieds sont glacés ! 6+6 b
De l’âme les apprêtssous la tempe calmée, 6+6 a
Ma mort, enfant secrèteet déjà si formée, 6+6 a
Et vous, divins dégtsqui me donniez l’essor, 6+6 b
Chastes éloignementsdes lustres de mon sort, 6+6 b
365 Ne fûtes-vous, ferveur,qu’une noble durée ? 6+6 a
Nulle jamais des dieuxplus près aventurée 6+6 a
N’osa peindre à son frontleur souffle ravisseur, 6+6 b
Et de la nuit parfaiteimplorant l’épaisseur, 6+6 b
Prétendre par la lèvreau suprême murmure. 6+6 a
370 Je soutenais l’éclatde la mon toute pure 6+6 a
Telle j’avais jadisle soleil soutenu 6+6 b
Mon corps désespérétendait le torse nu 6+6 b
l’âme, ivre de soi,de silence et de gloire, 6+6 a
Prête à s’évanouirde sa propre mémoire, 6+6 a
375 écoute, avec espoir,frapper au mur pieux 6+6 b
Ce cœur, — qui se ruineà coups mystérieux 6+6 b
Jusqu’à ne plus tenirque de sa complaisance 6+6 a
Un frémissement finde feuille, ma présence 6+6 a
Attente vaine, et vaineElle ne peut mourir 6+6 b
380 Qui devant son miroirpleure pour s’attendrir. 6+6 b
Ô n’aurait-il fallu,folle, que j’accomplisse 6+6 a
Ma merveilleuse finde choisir pour supplice 6+6 a
Ce lucide dédaindes nuances du sort ? 6+6 b
Trouveras-tu jamaisplus transparente mort 6+6 b
385 Ni de pente plus pure je rampe à ma perte 6+6 a
Que sur ce long regardde victime entr’ouverte, 6+6 a
Pâle, qui se résigneet saigne sans regret ? 6+6 b
Que lui fait tout le sangqui n’est plus son secret ? 6+6 b
Dans quelle blanche paiscette pourpre la laisse, 6+6 a
390 À l’extrême de l’êtreet belle de faiblesse ! 6+6 a
Elle calme le tempsqui la vient abolir, 6+6 b
Le moment souverainne la peut plus pâlir, 6+6 b
Tant la chair vide baiseune sombre fontaine ! 6+6 a
Elle se fait toujoursplus seule et plus lointaine 6+6 a
395 Et moi, d’un tel destin,le cœur toujours plus près, 6+6 b
Mon cortège, en esprit,se beait de cyprès… 6+6 b
Vers un aromatiqueavenir de fumée, 6+6 a
Je me sentais conduite,offerte et consumée ; 6+6 a
Toute, toute promiseaux nuages heureux ! 6+6 b
400 Même, je m’apparuscet arbre vaporeux, 6+6 b
De qui la majestélégèrement perdue 6+6 a
S’abandonne à l’amourde toute l’étendue. 6+6 a
L’être immense me gagne,et de mon cœur divin 6+6 b
L’encens qui brûle expireune forme sans fin 6+6 b
405 Tous les corps radieuxtremblent dans mon essence !… 6+6 a
Non, non !… N’irrite pluscette réminiscence ! 6+6 a
Sombre lys ! Ténébreuseallusion des cieux, 6+6 b
Ta vigueur n’a pu rompreun vaisseau précieux… 6+6 b
Parmi tous les instantstu touchais au suprême 6+6 a
410 — Mais qui l’emporteraitsur la puissance même, 6+6 a
Avide par tes yeuxde contempler le jour 6+6 b
Qui s’est choisi ton frontpour lumineuse tour ? 6+6 b
Cherche, du moins, dis-toi,par quelle sourde suite 6+6 a
La nuit, d’entre les morts,au jour t’a reconduite ? 6+6 a
415 Souviens-toi de toi-même,et retire à l’instinct 6+6 b
Ce fil (ton doigt doréle dispute au matin), 6+6 b
Ce fil dont la finesseaveuglément suivie 6+6 a
Jusque sur cette rivea ramené ta vie 6+6 a
Sois subtile… cruelleou plus subtile !… Mens !… 6+6 b
420 Mais sache !… Enseigne-moipar quels enchantements, 6+6 b
Lâche que n’a su fuirsa tiède fumée, 6+6 a
Ni le souci d’un seind’argile parfumée, 6+6 a
Par quel retour sur toi,reptile, as-tu repris 6+6 b
Tes parfums de caverneet tes tristes esprits ? 6+6 b
425 Hier la chair profonde,hier, la chair mtresse 6+6 a
M’a trahieOh ! sans rêve,et sans une caresse !… 6+6 a
Nul démon, nul parfumne m’offrit le péril 6+6 b
D’imaginaires brasmourant au col viril ; 6+6 b
Ni, par le Cygne-Dieu,de plumes offensée 6+6 a
430 Sa brûlante blancheurn’effleura ma pensée 6+6 a
Il t connu pourtantle plus tendre des nids ! 6+6 b
Car toute à la faveurde mes membres unis, 6+6 b
Vierge, je fus dans l’ombreune adorable offrande 6+6 a
Mais le sommeil s’épritd’une douceur si grande, 6+6 a
435 Et nouée à moi-mêmeau creux de mes cheveux, 6+6 b
J’ai mollement perdumon empire nerveux. 6+6 b
Au milieu de mes bras,je me suis faite une autre 6+6 a
Qui s’aliène ?… Quis’envole ?… Qui se vautre ?… 6+6 a
À quel détour caché,mon cœur s’est-il fondu ? 6+6 b
440 Quelle conque a reditle nom que j’ai perdu ? 6+6 b
Le sais-je, quel refluxtrtre m’a retirée 6+6 a
De mon extrémitépure et prématurée, 6+6 a
Et m’a repris le sensde mon vaste soupir ? 6+6 b
Comme l’oiseau se pose,il fallut m’assoupir. 6+6 b
445 Ce fut l’heure, peut-être, la devineresse 6+6 a
Intérieure s’useet se désintéresse : 6+6 a
Elle n’est plus la mêmeUne profonde enfant 6+6 b
Des degrés inconnusvainement se défend, 6+6 b
Et redemande au loinses mains abandonnées. 6+6 a
450 Il faut céder aux vœuxdes mortes couronnées 6+6 a
Et prendre pour visageun souffle…Doucement, 6+6 b
Me voici : mon front toucheà ce consentement… 6+6 b
Ce corps, je lui pardonne,et je gte à la cendre 6+6 a
Je me remets entièreau bonheur de descendre, 6+6 a
455 Ouverte aux noirs témoins,les bras suppliciés, 6+6 b
Entre des mots sans fin,sans moi, balbutiés. 6+6 b
Dors, ma sagesse, dors.Forme-toi cette absence ; 6+6 a
Retourne dans le germeet la sombre innocence, 6+6 a
Abandonne-toi viveaux serpents, aux trésors. 6+6 b
460 Dors toujours ! Descends, dorstoujours ! Descends, dors, dors ! 6+6 b
(La porte basse c’estune bague la gaze 6+6 a
Passe… Tout meurt, tout ritdans la gorge qui jase 6+6 a
L’oiseau boit sur ta boucheet tu ne peux le voir… 6+6 b
Viens plus bas, parle bas…Le noir n’est pas si noir…) 6+6 b
465 Délicieux linceuls,mon désordre tiède, 6+6 a
Couche je me répands,m’interroge et me cède, 6+6 a
j’allai de mon cœurnoyer les battements, 6+6 b
Presque tombeau vivantdans mes appartements, 6+6 b
Qui respire, et sur quil’éternité s’écoute, 6+6 a
470 Place pleine de moiqui m’avez prise toute, 6+6 a
Ô forme de ma formeet la creuse chaleur 6+6 b
Que mes retours sur moireconnaissaient la leur, 6+6 b
Voici que tant d’orgueilqui dans vos plis se plonge 6+6 a
À la fin se mélangeaux bassesses du songe ! 6+6 a
475 Dans vos nappes, lisseelle imitait sa mort 6+6 b
L’idole malgré soise dispose et s’endort, 6+6 b
Lasse femme absolue,et les yeux dans ses larmes, 6+6 a
Quand, de ses secrets nusles antres et les charmes, 6+6 a
Et ce reste d’amourque se gardait le corps 6+6 b
480 Corrompirent sa perteet ses mortels accords. 6+6 b
Arche toute secrète,et pourtant si prochaine, 6+6 a
Mes transports, cette nuit,pensaient briser ta chne ; 6+6 a
Je n’ai fait que bercerde lamentations 6+6 b
Tes flancs chargés de jouret de créations ! 6+6 b
485 Quoi ! mes yeux froidementque tant d’azur égare 6+6 a
Regardent là périrl’étoile fine et rare, 6+6 a
Et ce jeune soleilde mes étonnements 6+6 b
Me part d’une aïeuleéclairer les tourments, 6+6 b
Tant sa flamme aux remordsravit leur existence, 6+6 a
490 Et compose d’auroreune chère substance 6+6 a
Qui se formait déjàsubstance d’un tombeau !… 6+6 b
O, sur toute la mer,sur mes pieds, qu’il est beau ! 6+6 b
Tu viens !… Je suis toujourscelle que tu respires, 6+6 a
Mon voile évaporéme fuit vers tes empires… 6+6 a
495 Alors, n’ai-je formévains adieux si je vis, 6+6 b
Que songes ?… Si je viens,en vêtements ravis, 6+6 b
Sur ce bord, sans horreur,humer la haute écume, 6+6 a
Boire des yeux l’immenseet riante amertume, 6+6 a
L’être contre le vent,dans le plus vif de l’air, 6+6 b
500 Recevant au visageun appel de la mer ; 6+6 b
Si l’âme intense souffle,et renfle furibonde 6+6 a
L’onde abrupte sur l’ondeabattue, et si l’onde 6+6 a
Au cap tonne, immolantun monstre de candeur, 6+6 b
Et vient des hautes mersvomir la profondeur 6+6 b
505 Sur ce roc, d’ jaillitjusque vers mes pensées 6+6 a
Un éblouissementd’étincelles glacées, 6+6 a
Et sur toute ma peauque morde l’âpre éveil, 6+6 b
Alors, malgré moi-même,il le faut, ô Soleil, 6+6 b
Que j’adore mon cœur tu te viens conntre, 6+6 a
510 Doux et puissant retourdu délice de ntre, 6+6 a
Feu vers qui se soulèveune vierge de sang 6+6 b
Sous les espèces d’ord’un sein reconnaissant ! 6+6 b
mètre profil métrique : 6−6
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