Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
VAL_2/VAL38
Paul VALÉRY
CHARMES
1922
Le Cimetière marin
Μή, φίλα ψυχά, βίον ἀθάνατον
σπεῦδε, τὰν δ'ἔμπρακτον ἄντλει
μαχανάν
Pindare,Pythiques, III.
Ce toit tranquille, | où marchent des colombes, 4+6 a
Entre les pins | palpite, entre les tombes ; 4+6 a
Midi le juste | y compose de feux 4+6 b
La mer, la mer, | toujours recommencée 4+6 c
5 Ô récompense | après une pensée 4+6 c
Qu’un long regard | sur le calme des dieux ! 4+6 b
Quel pur travail | de fins éclairs consume 4+6 a
Maint diamant | d’imperceptible écume, 4+6 a
Et quelle paix | semble se concevoir ! 4+6 b
10 Quand sur l’abîme | un soleil se repose, 4+6 c
Ouvrages purs | d’une éternelle cause, 4+6 c
Le Temps scintille | et le Songe est savoir. 4+6 b
Stable trésor, | temple simple à Minerve, 4+6 a
Masse de calme, | et visible réserve, 4+6 a
15 Eau sourcilleuse, | Œil qui gardes en toi 4+6 b
Tant de sommeil | sous un voile de flamme, 4+6 c
Ô mon silence ! |… Édifice dans l’âme, 4+6 c
Mais comble d’or | aux mille tuiles, Toit ! 4+6 b
Temple du Temps, | qu’un seul soupir résume, 4+6 a
20 À ce point pur | je monte et m’accoutume, 4+6 a
Tout entouré | de mon regard marin ; 4+6 b
Et comme aux dieux | mon offrande suprême, 4+6 c
La scintillation | sereine sème 6+4 c
Sur l’altitude | un dédain souverain. 4+6 b
25 Comme le fruit | se fond en jouissance, 4+6 a
Comme en délice | il change son absence 4+6 a
Dans une bouche | où sa forme se meurt, 4+6 b
Je hume ici | ma future fumée, 4+6 c
Et le ciel chante | à l’âme consumée 4+6 c
30 Le changement | des rives en rumeur. 4+6 b
Beau ciel, vrai ciel, | regarde-moi qui change ! 4+6 a
Après tant d’orgueil, après tant d’étrange 10 a
Oisiveté, | mais pleine de pouvoir, 4+6 b
Je m’abandonne | à ce brillant espace, 4+6 c
35 Sur les maisons | des morts mon ombre passe 4+6 c
Qui m’apprivoise | à son frêle mouvoir. 4+6 b
L’âme exposée | aux torches du solstice, 4+6 a
Je te soutiens, | admirable justice 4+6 a
De la lumière | aux armes sans pitié ! 4+6 b
40 Je te tends pure | à ta place première, 4+6 c
Regarde-toi ! |… Mais rendre la lumière 4+6 c
Suppose d’ombre | une morne moitié. 4+6 b
Ô pour moi seul, | à moi seul, en moi-même, 4+6 a
Auprès d’un cœur, | aux sources du poème, 4+6 a
45 Entre le vide | et l’événement pur, 4+6 b
J’attends l’écho | de ma grandeur interne, 4+6 c
Amère, sombre, | et sonore citerne, 4+6 c
Sonnant dans l’âme | un creux toujours futur ! 4+6 b
Sais-tu, fausse captive | des feuillages, 6+4 a
50 Golfe mangeur | de ces maigres grillages, 4+6 a
Sur mes yeux clos, | secrets éblouissants, 4+6 b
Quel corps me traîne | à sa fin paresseuse, 4+6 c
Quel front l’attire | à cette terre osseuse ? 4+6 c
Une étincelle | y pense à mes absents. 4+6 b
55 Fermé, sacré, | plein d’un feu sans matière, 4+6 a
Fragment terrestre | offert à la lumière, 4+6 a
Ce lieu me plaît, | dominé de flambeaux, 4+6 b
Composé d’or, | de pierre et d’arbres sombres, 4+6 c
Où tant de marbre | est tremblant sur tant d’ombres ; 4+6 c
60 La mer fidèle | y dort sur mes tombeaux ! 4+6 b
Chienne splendide, | écarte l’idolâtre ! 4+6 a
Quand solitaire | au sourire de pâtre, 4+6 a
Je pais longtemps, | moutons mystérieux, 4+6 b
Le blanc troupeau | de mes tranquilles tombes, 4+6 c
65 Éloignes-en | les prudentes colombes, 4+6 c
Les songes vains, | les anges curieux ! 4+6 b
Ici venu, | l’avenir est paresse. 4+6 a
L’insecte net | gratte la sécheresse ; 4+6 a
Tout est brûlé, | défait, reçu dans l’air 4+6 b
70 À je ne sais | quelle sévère essence… 4+6 c
La vie est vaste, | étant ivre d’absence, 4+6 c
Et l’amertume | est douce, et l’esprit clair. 4+6 b
Les morts cachés | sont bien dans cette terre 4+6 a
Qui les réchauffe | et sèche leur mystère. 4+6 a
75 Midi là-haut, | Midi sans mouvement 4+6 b
En soi se pense | et convient à soi-même… 4+6 c
Tête complète | et parfait diadème, 4+6 c
Je suis en toi | le secret changement. 4+6 b
Tu n’as que moi | pour contenir tes craintes ! 4+6 a
80 Mes repentirs, | mes doutes, mes contraintes 4+6 a
Sont le défaut | de ton grand diamant… 4+6 b
Mais dans leur nuit | toute lourde de marbres, 4+6 c
Un peuple vague | aux racines des arbres 4+6 c
A pris déjà | ton parti lentement. 4+6 b
85 Ils ont fondu | dans une absence épaisse, 4+6 a
L’argile rouge | a bu la blanche espèce, 4+6 a
Le don de vivre | a passé dans les fleurs ! 4+6 b
Où sont des morts | les phrases familières, 4+6 c
L’art personnel, | les âmes singulières ? 4+6 c
90 La larve file | où se formaient les pleurs. 4+6 b
Les cris aigus | des filles chatouillées, 4+6 a
Les yeux, les dents, | les paupières mouillées, 4+6 a
Le sein charmant | qui joue avec le feu, 4+6 b
Le sang qui brille | aux lèvres qui se rendent, 4+6 c
95 Les derniers dons, | les doigts qui les défendent, 4+6 c
Tout va sous terre | et rentre dans le jeu ! 4+6 b
Et vous, grande âme, | espérez-vous un songe 4+6 a
Qui n’aura plus | ces couleurs de mensonge 4+6 a
Qu’aux yeux de chair | l’onde et l’or font ici ? 4+6 b
100 Chanterez-vous | quand serez vaporeuse ? 4+6 c
Allez ! Tout fuit ! | Ma présence est poreuse, 4+6 c
La sainte impatience | meurt aussi ! 6+4 b
Maigre immortalité | noire et dorée, 6+4 a
Consolatrice | affreusement laurée, 4+6 a
105 Qui de la mort | fais un sein maternel, 4+6 b
Le beau mensonge | et la pieuse ruse ! 4+6 c
Qui ne connaît, | et qui ne les refuse, 4+6 c
Ce crâne vide | et ce rire éternel ! 4+6 b
Pères profonds, | têtes inhabitées, 4+6 a
110 Qui sous le poids | de tant de pelletées, 4+6 a
Êtes la terre | et confondez nos pas, 4+6 b
Le vrai rongeur, | le ver irréfutable 4+6 c
N’est point pour vous | qui dormez sous la table, 4+6 c
Il vit de vie, | il ne me quitte pas ! 4+6 b
115 Amour, peut-être, | ou de moi-même haine ? 4+6 a
Sa dent secrète | est de moi si prochaine 4+6 a
Que tous les noms | lui peuvent convenir ! 4+6 b
Qu’importe ! Il voit, | il veut, il songe, il touche ! 4+6 c
Ma chair lui plaît, | et jusque sur ma couche, 4+6 c
120 À ce vivant | je vis d’appartenir ! 4+6 b
Zénon ! Cruel | Zénon ! Zénon d’Élée ! 4+6 a
M’as-tu percé | de cette flèche ailée 4+6 a
Qui vibre, vole, | et qui ne vole pas ! 4+6 b
Le son m’enfante | et la flèche me tue ! 4+6 c
125 Ah ! le soleil… | Quelle ombre de tortue 4+6 c
Pour l’âme, Achille | immobile à grands pas ! 4+6 b
Non, non !… Debout ! | Dans l’ère successive ! 4+6 a
Brisez, mon corps, | cette forme pensive ! 4+6 a
Buvez, mon sein, | la naissance du vent ! 4+6 b
130 Une fraîcheur, | de la mer exhalée, 4+6 c
Me rend mon âme… | Ô puissance salée ! 4+6 c
Courons à l’onde | en rejaillir vivant. 4+6 b
Oui ! Grande mer | de délires douée, 4+6 a
Peau de panthère | et chlamyde trouée, 4+6 a
135 De mille et mille | idoles du soleil, 4+6 b
Hydre absolue, | ivre de ta chair bleue, 4+6 c
Qui te remords | l’étincelante queue 4+6 c
Dans un tumulte | au silence pareil, 4+6 b
Le vent se lève ! |Il faut tenter de vivre ! 4+6 a
140 L’air immense ouvre | et referme mon livre, 4+6 a
La vague en poudre | ose jaillir des rocs ! 4+6 b
Envolez-vous, | pages tout éblouies ! 4+6 c
Rompez, vagues ! Rompez | d’eaux réjouies 6+4 c
Ce toit tranquille | où picoraient des focs ! 4+6 b
mètre profil métrique : 4÷6
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