Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
VAL_2/VAL29
Paul VALÉRY
CHARMES
1922
Fragments du Narcisse
I
Cur aliquid vidi ?
Que tu brilles enfin, terme pur de ma course ! 6+6 a
Ce soir, comme d’un cerf, la fuite vers la source 6+6 a
Ne cesse qu’il ne tombe au milieu des roseaux, 6+6 a
Ma soif me vient abattre au bord même des eaux. 6+6 a
5 Mais, pour désaltérer cette amour curieuse, 6+6 a
Je ne troublerai pas l’onde mystérieuse : 6+6 a
Nymphes ! si vous m’aimez, il faut toujours dormir ! 6+6 a
La moindre âme dans l’air vous fait toutes frémir ; 6+6 a
Même, dans sa faiblesse, aux ombres échappée, 6+6 a
10 Si la feuille éperdue effleure la napée, 6+6 a
Elle suffit à rompre un univers dormant… 6+6 a
Votre sommeil importe à mon enchantement, 6+6 a
Il craint jusqu’au frisson d’une plume qui plonge ! 6+6 a
Gardez-moi longuement ce visage pour songe 6+6 a
15 Qu’une absence divine est seule à concevoir ! 6+6 a
Sommeil des nymphes, ciel, ne cessez de me voir ! 6+6 a
Rêvez, rêvez de moi !… Sans vous, belles fontaines, 6+6 a
Ma beauté, ma douleur, me seraient incertaines. 6+6 a
Je chercherais en vain ce que j’ai de plus cher, 6+6 a
20 Sa tendresse confuse étonnerait ma chair, 6+6 a
Et mes tristes regards, ignorants de mes charmes, 6+6 a
À d’autres que moi-même adresseraient leurs larmes… 6+6 a
Vous attendiez, peut-être, un visage sans pleurs, 6+6 a
Vous calmes, vous toujours de feuilles et de fleurs, 6+6 a
25 Et de l’incorruptible altitude hantées, 6+6 a
Ô Nymphes !… Mais docile aux pentes enchantées 6+6 a
Qui me firent vers vous d’invincibles chemins, 6+6 a
Souffrez ce beau reflet des désordres humains ! 6+6 a
Heureux vos corps fondus, Eaux planes et profondes ! 6+6 a
30 Je suis seul !… Si les Dieux, les échos et les ondes 6+6 a
Et si tant de soupirs permettent qu’on le soit ! 6+6 a
Seul !… mais encor celui qui s’approche de soi 6+6 a
Quand il s’approche aux bords que bénit ce feuillage… 6+6 a
Des cimes, l’air dé cesse le pur pillage ; 6+6 a
35 La voix des sources change, et me parle du soir ; 6+6 a
Un grand calme m’écoute, où j’écoute l’espoir. 6+6 a
J’entends l’herbe des nuits croître dans l’ombre sainte, 6+6 a
Et la lune perfide élève son miroir 6+6 b
Jusque dans les secrets de la fontaine éteinte… 6+6 a
40 Jusque dans les secrets que je crains de savoir, 6+6 b
Jusque dans le repli de l’amour de soi-même, 6+6 c
Rien ne peut échapper au silence du soir… 6+6 b
La nuit vient sur ma chair lui souffler que je l’aime. 6+6 c
Sa voix fraîche à mes vœux tremble de consentir ; 6+6 a
45 À peine, dans la brise, elle semble mentir, 6+6 a
Tant le frémissement de son temple tacite 6+6 a
Conspire au spacieux silence d’un tel site. 6+6 a
Ô douceur de survivre à la force du jour, 6+6 a
Quand elle se retire enfin rose d’amour, 6+6 a
50 Encore un peu brûlante, et lasse, mais comblée, 6+6 a
Et de tant de trésors tendrement accablée 6+6 a
Par de tels souvenirs qu’ils empourprent sa mort, 6+6 a
Et qu’ils la font heureuse agenouiller dans l’or, 6+6 a
Puis s’étendre, se fondre, et perdre sa vendange, 6+6 a
55 Et s’éteindre en un songe en qui le soir se change. 6+6 a
Quelle perte en soi-même offre un si calme lieu ! 6+6 a
L’âme, jusqu’à périr, s’y penche pour un Dieu 6+6 a
Qu’elle demande à l’onde, onde déserte, et digne 6+6 a
Sur son lustre, du lisse effacement d’un cygne… 6+6 a
60 À cette onde jamais ne burent les troupeaux ! 6+6 a
D’autres, ici perdus, trouveraient le repos, 6+6 a
Et dans la sombre terre, un clair tombeau qui s’ouvre… 6+6 a
Mais ce n’est pas le calme, hélas ! que j’y découvre ! 6+6 a
Quand l’opaque délice où dort cette clarté, 6+6 a
65 Cède à mon corps l’horreur du feuillage écarté, 6+6 a
Alors, vainqueur de l’ombre, ô mon corps tyrannique, 6+6 a
Repoussant aux forêts leur épaisseur panique, 6+6 a
Tu regrettes bientôt leur éternelle nuit ! 6+6 a
Pour l’inquiet Narcisse, il n’est ici qu’ennui ! 6+6 a
70 Tout m’appelle et m’enchaîne à la chair lumineuse 6+6 a
Que m’oppose des eaux la paix vertigineuse ! 6+6 a
Que je déplore ton éclat fatal et pur, 6−6 a
Si mollement de moi, fontaine environnée, 6+6 b
Où puisèrent mes yeux dans un mortel azur, 6+6 a
75 Les yeux mêmes et noirs de leur âme étonnée ! 6+6 b
Profondeur, profondeur, songes qui me voyez, 6+6 a
Comme ils verraient une autre vie 8 b
Dites, ne suis-je pas celui que vous croyez, 6+6 a
Votre corps vous fait-il envie ? 8 b
80 Cessez, sombres esprits, cet ouvrage anxieux 6+6 a
Qui se fait dans l’âme qui veille ; 8 b
Ne cherchez pas en vous, n’allez surprendre aux cieux 6+6 a
Le malheur d’être une merveille : 8 b
Trouvez dans la fontaine un corps délicieux… 6+6 a
85 Prenant à vos regards cette parfaite proie, 6+6 a
Du monstre de s’aimer faites-vous un captif ; 6+6 b
Dans les errants filets de vos longs cils de soie 6+6 a
Son gracieux éclat vous retienne pensif ; 6+6 b
Mais ne vous flattez pas de le changer d’empire. 6+6 a
90 Ce cristal est son vrai séjour ; 8 b
Les efforts mêmes de l’amour 8 b
Ne le sauraient de l’onde extraire qu’il n’expire… 6+6 a
PIRE.
Pire ?
Quelqu’un redit Pire… Ô moqueur ! 6+6 a
Écho lointaine et prompte à rendre son oracle ! 6+6 b
95 De son rire enchanté, le roc brise mon cœur, 6+6 a
Et le silence, par miracle, 8 b
Cesse !… parle, renaît, sur la face des eaux… 6+6 a
Pire ?…
Pire destin !… Vous le dites, roseaux, 6+6 a
Qui reprîtes des vents ma plainte vagabonde ! 6+6 a
100 Antres, qui me rendez mon âme plus profonde, 6+6 a
Vous renflez de votre ombre une voix qui se meurt… 6+6 a
Vous me le murmurez, ramures !… Ô rumeur 6+6 a
Déchirante, et docile aux souffles sans figure, 6+6 a
Votre or léger s’agite, et joue avec l’augure… 6+6 a
105 Tout se mêle de moi, brutes divinités ! 6+6 a
Mes secrets dans les airs sonnent ébruités, 6+6 a
Le roc rit ; l’arbre pleure ; et par sa voix charmante, 6+6 a
Je ne puis qu’aux cieux que je ne me lamente 6+6 a
D’appartenir sans force d’éternels attraits ! 4+8 a
110 Hélas ! entre les bras qui naissent des forêts, 6+6 a
Une tendre lueur d’heure ambiguë existe… 6+6 a
Là, d’un reste du jour, se forme un fiancé, 6+6 b
Nu, sur la place pâle où m’attire l’eau triste, 6+6 a
Délicieux démon désirable et glacé ! 6+6 b
115 Te voici, mon doux corps de lune et de rosée, 6+6 a
Ô forme obéissante à mes vœux opposée ! 6+6 a
Qu’ils sont beaux, de mes bras les dons vastes et vains ! 6+6 a
Mes lentes mains, dans l’or adorable se lassent 6+6 b
D’appeler ce captif que les feuilles enlacent ; 6+6 b
120 Mon cœur jette aux échos l’éclat des noms divins ! 6+6 a
Mais que ta bouche est belle en ce muet blasphème ! 6+6 a
Ô semblable ! Et pourtant plus parfait que moi-même, 6+6 a
Éphémère immortel, si clair devant mes yeux, 6+6 a
Pâles membres de perle, et ces cheveux soyeux, 6+6 a
125 Faut-il qu’à peine aimés, l’ombre les obscurcisse, 6+6 a
Et que la nuit dé nous divise, ô Narcisse, 6+6 a
Et glisse entre nous deux le fer qui coupe un fruit ! 6+6 a
Qu’as-tu ?
Ma plainte même est funeste ?
Le bruit 6+6 a
Du souffle que j’enseigne à tes lèvres, mon double, 6+6 a
130 Sur la limpide lame a fait courir un trouble ! 6+6 a
Tu trembles !… Mais ces mots que j’expire à genoux 6+6 a
Ne sont pourtant qu’une âme hésitante entre nous, 6+6 a
Entre ce front si pur et ma lourde mémoire… 6+6 a
Je suis si près de toi que je pourrais te boire, 6+6 a
135 Ô visage !… Ma soif est un esclave nu… 6+6 a
Jusqu’à ce temps charmant je m’étais inconnu, 6+6 a
Et je ne savais pas me chérir et me joindre ! 6+6 a
Mais te voir, cher esclave, obéir à la moindre 6+6 a
Des ombres dans mon cœur se fuyant à regret, 6+6 a
140 Voir sur mon front l’orage et les feux d’un secret, 6+6 a
Voir, ô merveille, voir ! ma bouche nuancée 6+6 a
Trahir… peindre sur l’onde une fleur de pensée, 6+6 a
Et quels événements étinceler dans l’œil ! 6+6 a
J’y trouve un tel trésor d’impuissance et d’orgueil, 6+6 a
145 Que nulle vierge enfant échappée au satyre, 6+6 a
Nulle ! aux fuites habile, aux chutes sans émoi, 6+6 b
Nulle des nymphes, nulle amie, ne m’attire 6+6 a
Comme tu fais sur l’onde, inépuisable Moi !… 6+6 b
II
Fontaine, ma fontaine, eau froidement présente, 6+6 a
150 Douce aux purs animaux, aux humains complaisante 6+6 a
Qui d’eux-mêmes tentés suivent au fond la mort, 6+6 a
Tout est songe pour toi, Sœur tranquille du Sort ! 6+6 a
À peine en souvenir change-t-il un présage, 6+6 a
Que pareille sans cesse à son fuyant visage, 6+6 a
155 Sitôt de ton sommeil les cieux te sont ravis ! 6+6 a
Mais si pure tu sois des êtres que tu vis, 6+6 a
Onde, sur qui les ans passent comme les nues, 6+6 a
Que de choses pourtant doivent t’être connues, 6+6 a
Astres, roses, saisons, les corps et leurs amours ! 6+6 a
160 Claire, mais si profonde, une nymphe toujours 6+6 a
Effleurée, et vivant de tout ce qui l’approche, 6+6 a
Nourrit quelque sagesse à l’abri de sa roche, 6+6 a
À l’ombre de ce jour qu’elle peint sous les bois. 6+6 a
Elle sait à jamais les choses d’une fois… 6+6 a
165 Ô présence pensive, eau calme qui recueilles 6+6 a
Tout un sombre trésor de fables et de feuilles, 6+6 a
L’oiseau mort, le fruit mûr, lentement descendus, 6+6 a
Et les rares lueurs des clairs anneaux perdus. 6+6 a
Tu consommes en toi leur perte solennelle ; 6+6 a
170 Mais, sur la pure de ta face éternelle, 6+6 a
L’amour passe et périt…
Quand le feuillage épars 6+6 a
Tremble, commence à fuir, pleure de toutes parts, 6+6 a
Tu vois du sombre amour s’y mêler la tourmente, 6+6 a
L’amant brûlant et dur ceindre la blanche amante, 6+6 a
175 Vaincre l’âme… Et tu sais selon quelle douceur 6+6 a
Sa main puissante passe à travers l’épaisseur 6+6 a
Des tresses que répand la nuque précieuse, 6+6 a
S’y repose, et se sent forte et mystérieuse ; 6+6 a
Elle parle à l’épaule et règne sur la chair. 6+6 a
180 Alors les yeux fermés à l’éternel éther 6+6 a
Ne voient plus que le sang qui dore leurs paupières ; 6+6 a
Sa pourpre redoutable obscurcit les lumières 6+6 a
D’un couple aux pieds confus qui se mêle, et se ment. 6+6 a
Ils gémissent… La Terre appelle doucement 6+6 a
185 Ces grands corps chancelants, qui luttent bouche à bouche, 6+6 a
Et qui, du vierge sable osant battre la couche, 6+6 a
Composeront d’amour un monstre qui se meurt… 6+6 a
Leurs souffles ne font plus qu’une heureuse rumeur, 6+6 a
L’âme croit respirer l’âme toute prochaine, 6+6 a
190 Mais tu sais mieux que moi, vénérable fontaine, 6+6 a
Quels fruits forment toujours ces moments enchantés ! 6+6 a
Car, à peine les cœurs calmes et contentés 6+6 a
D’une ardente alliance expirée en délices, 6+6 a
Des amants détachés tu mires les malices, 6+6 a
195 Tu vois poindre des jours de mensonges tissus, 6+6 a
Et naître mille maux trop tendrement conçus ! 6+6 a
Bientôt, mon onde sage, infidèle et la même, 6+6 a
Le Temps mène ces fous qui crurent que l’on aime 6+6 a
Redire à tes roseaux de plus profonds soupirs ! 6+6 a
200 Vers toi, leurs tristes pas suivent leurs souvenirs… 6+6 a
Sur tes bords, accablés d’ombres et de faiblesse, 6+6 a
Tout éblouis d’un ciel dont la beauté les blesse 6+6 a
Tant il garde l’éclat de leurs jours les plus beaux, 6+6 a
Ils vont des biens perdus trouver tous les tombeaux… 6+6 a
205 « Cette place dans l’ombre était tranquille et nôtre ! » 6+6 a
« L’autre aimait ce cyprès, se dit le cœur de l’autre, 6+6 a
« Et d’ici, nous gtions le souffle de la mer ! » 6+6 a
Hélas ! la rose même est amère dans l’air… 6+6 a
Moins amers les parfums des suprêmes fumées 6+6 a
210 Qu’abandonnent au vent les feuilles consummées !… 6+6 a
Ils respirent ce vent, marchent sans le savoir, 6+6 a
Foulent aux pieds le temps d’un jour de désespoir… 6+6 a
Ô marche lente, prompte, et pareille aux pensées 6+6 a
Qui parlent tour à tour aux têtes insensées ! 6+6 a
215 La caresse et le meurtre hésitent dans leurs mains, 6+6 a
Leur cœur, qui croit se rompre au détour des chemins, 6+6 a
Lutte, et retient à soi son espérance étreinte. 6+6 a
Mais leurs esprits perdus courent ce labyrinthe 6+6 a
Où s’égare celui qui maudit le soleil ! 6+6 a
220 Leur folle solitude, à l’égal du sommeil, 6+6 a
Peuple et trompe l’absence ; et leur secrète oreille 6+6 a
Partout place une voix qui n’a point de pareille. 6+6 a
Rien ne peut dissiper leurs songes absolus ; 6+6 a
Le soleil ne peut rien contre ce qui n’est plus ! 6+6 a
225 Mais s’ils traînent dans l’or leurs yeux secs et funèbres, 6+6 a
Ils se sentent des pleurs défendre leurs ténèbres 6+6 a
Plus chères à jamais que tous les feux du jour ! 6+6 a
Et dans ce corps caché tout marqué de l’amour 6+6 a
Que porte amèrement l’âme qui fut heureuse, 6+6 a
230 Brûle un secret baiser qui la rend furieuse… 6+6 a
Mais moi, Narcisse aimé, je ne suis curieux 6+6 a
Que de ma seule essence ; 6 b
Tout autre n’a pour moi qu’un cœur mystérieux, 6+6 a
Tout autre n’est qu’absence. 6 b
235 Ô mon bien souverain, cher corps, je n’ai que toi ! 6+6 a
Le plus beau des mortels ne peut chérir que soi… 6+6 a
Douce et dorée, est-il une idole plus sainte, 6+6 a
De toute une forêt qui se consume, ceinte, 6+6 a
Et sise dans l’azur vivant par tant d’oiseaux ? 6+6 a
240 Est-il don plus divin de la faveur des eaux, 6+6 a
Et d’un jour qui se meurt plus adorable usage 6+6 a
Que de rendre à mes yeux l’honneur de mon visage ? 6+6 a
Naisse donc entre nous que la lumière unit 6+6 a
De grâce et de silence un échange infini ! 6+6 a
245 Je vous salue, enfant de mon âme et de l’onde, 6+6 a
Cher trésor d’un miroir qui partage le monde ! 6+6 a
Ma tendresse y vient boire, et s’enivre de voir 6+6 a
Un désir sur soi-même essayer son pouvoir ! 6+6 a
Ô qu’à tous mes souhaits, que vous êtes semblable ! 6+6 a
250 Mais la fragili vous fait inviolable, 6+6 a
Vous n’êtes que lumière, adorable moitié 6+6 a
D’une amour trop pareille à la faible amitié ! 6+6 a
Hélas ! la nymphe même a séparé nos charmes ! 6+6 a
Puis-je espérer de toi que de vaines alarmes ? 6+6 a
255 Qu’ils sont doux les périls que nous pourrions choisir ! 6+6 a
Se surprendre soi-même et soi-même saisir, 6+6 a
Nos mains s’entremêler, nos maux s’entre-détruire, 6+6 a
Nos silences longtemps de leurs songes s’instruire, 6+6 a
La même nuit en pleurs confondre nos yeux clos, 6+6 a
260 Et nos bras refermés sur les mêmes sanglots 6+6 a
Étreindre un même cœur, d’amour prêt à se fondre… 6+6 a
Quitte enfin le silence, ose enfin me répondre, 6+6 a
Bel et cruel Narcisse, inaccessible enfant, 6+6 a
Tout orné de mes biens que la nymphe défend… 6+6 a
III
265 … Ce corps si pur, sait-il qu’il me puisse séduire ? 6+6 a
De quelle profondeur songes-tu de m’instruire, 6+6 a
Habitant de l’abîme, hôte si précieux 6+6 a
D’un ciel sombre ici-bas précipité des cieux ? 6+6 a
Ô le frais ornement de ma triste tendance 6+6 a
270 Qu’un sourire si proche, et plein de confidence, 6+6 a
Et qui prête à ma lèvre une ombre de danger 6+6 a
Jusqu’à me faire craindre un désir étranger ! 6+6 a
Quel souffle vient à l’onde offrir ta froide rose !… 6+6 a
J’aime… J’aime !… Et qui donc peut aimer autre chose 6+6 a
Que soi-même ?…
275 Toi seul, ô mon corps, mon cher corps, 6+6 a
Je t’aime, unique objet qui me défends des morts. 6+6 a
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Formons, toi sur ma lèvre, et moi, dans mon silence, 6+6
Une prière aux dieux qu’émus de tant d’amour 6+6 a
Sur sa pente de pourpre ils arrêtent le jour !… 6+6 a
280 Faites, Maîtres heureux, Pères des justes fraudes, 6+6 a
Dites qu’une lueur de rose ou d’émeraudes 6+6 a
Que des songes du soir votre sceptre reprit, 6+6 a
Pure, et toute pareille au plus pur de l’esprit, 6+6 a
Attende, au sein des cieux, que tu vives et veuilles, 6+6 a
285 Près de moi, mon amour, choisir un lit de feuilles, 6+6 a
Sortir tremblant du flanc de la nymphe au cœur froid, 6+6 a
Et sans quitter mes yeux, sans cesser d’être moi, 6+6 a
Tendre ta forme fraîche, et cette claire écorce… 6+6 a
Oh ! te saisir enfin !… Prendre ce calme torse 6+6 a
290 Plus pur que d’une femme et non formé de fruits… 6+6 a
Mais, d’une pierre simple est le temple où je suis, 6+6 a
Où je vis… Car je vis sur tes lèvres avares !… 6+6 a
Ô mon corps, mon cher corps, temple qui me sépares 6+6 a
De ma divinité, je voudrais apaiser 6+6 a
295 Votre bouche… Et bientôt, je briserais, baiser, 6+6 a
Ce peu qui nous défend de l’extrême existence, 6+6 a
Cette tremblante, frêle, et pieuse distance 6+6 a
Entre moi-même et l’onde, et mon âme, et les dieux ! 6+6 a
Adieu… Sens-tu frémir mille flottants adieux ? 6+6 a
300 Bientôt va frissonner le désordre des ombres ! 6+6 a
L’arbre aveugle vers l’arbre étend ses membres sombres, 6+6 a
Et cherche affreusement l’arbre qui disparaît… 6+6 a
Mon âme ainsi se perd dans sa propre forêt, 6+6 a
Où la puissance échappe à ses formes suprêmes… 6+6 a
305 L’âme, l’âme aux yeux noirs, touche aux ténèbres mêmes, 6+6 a
Elle se fait immense et ne rencontre rien… 6+6 a
Entre la mort et soi, quel regard est le sien ! 6+6 a
Dieux ! de l’auguste jour, le pâle et tendre reste 6+6 a
Va des jours consumés joindre le sort funeste ; 6+6 a
310 Il s’abîme aux enfers du profond souvenir ! 6+6 a
Hélas ! corps misérable, il est temps de s’unir… 6+6 a
Penche-toi… Baise-toi. Tremble de tout ton être ! 6+6 a
L’insaisissable amour que tu me vins promettre 6+6 a
Passe, et dans un frisson, brise Narcisse, et fuit… 6+6
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