Métrique en Ligne
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| = césure
THE_1/THE1
corpus Pamela Puntel
André THEURIET
LES PAYSANS DE L'ARGONNE
1792
1871
LES PAYSANS DE L'ARGONNE
Verdun s'était rendu, Serrés en noires lignes, 6+6 a
Les bataillons prussiens escaladaient nos vignes, 6+6 a
Vers l'Argonne, aux grands bois noyés dans les brouillards, 6+6 b
Ils s'avançaient nombreux, insolents et pillards, 6+6 b
5 Et les corbeaux, trompés par ces voix allemandes, 6+6 a
Se croyaient en famille et saluaient leurs bandes. 6+6 a
Tous se voyaient dé triomphants et, le soir, 6+6 b
Leurs généraux, grisés par les vins du terroir, 6+6 b
Taillaient la France entre eux comme un cerf qu'on démembre 6+6 a
10 La route cependant était rude. Septembre 6+6 a
Versait à flots les pleurs de son ciel pluvieux, 6+6 b
Les fourgons dans la boue entraient jusqu'aux essieux, 6+6 b
Et les hommes juraient et faisaient triste mine, 6+6 a
Ayant au front la pluie, au ventre la famine. 6+6 a
15 Les bourgs étaient déserts ; les paysans lorrains 6+6 b
Cachaient dans les forêts leurs troupeaux et leurs grains, 6+6 b
Et, quand chez un fermier les fourrageurs avides 6+6 a
Arrivaient, l'écurie et la huche étaient vides, 6+6 a
Leurs premiers régiments, à demi morts de faim, 6+6 b
20 Avaient atteint Grandpré ; devant eux à la fin, 6+6 b
L'Argonne se dressait, profonde, sombre et haute, 6+6 a
Quand un des espions rapporta qu'à mi-côte, 6+6 a
Dans un taillis cou par des fossés bourbeux, 6+6 b
Des paysans s'étaient enfuis avec leurs bœufs. 6+6 b
25 D'abord ce fut un rauque et brutal cri de joie, 6+6 a
Puis un silence, et, pour ne pas manquer la proie, 6−6 a
On cerna le taillis.
Au milieu des halliers, 6+6 b
Cent hommes environ, fermiers et journaliers, 6+6 b
Pâles, armés de faux et de vieilles ées, 6+6 a
30 Faisaient le guet, tandis qu'à l'entour des cées, 6+6 a
Leurs grands bœufs ruminaient d'un air indifférent 6+6 b
Tout à coup un rayon de soleil, éclairant 6+6 b
L'épaisseur du fourré, laissa voir sous les ormes 6+6 a
Les fusils des Prussiens et leurs noirs uniformes. 6+6 a
35 « A nous ! » dit un berger… Sa voix vibrait encor, 6+6 b
Quand un coup de mousquet l'étendit roide mort. 6+6 b
Ils étaient dix contre un ; d'ailleurs que peuvent faire 6+6 a
De pauvres paysans contre des gens de guerre ?… 6+6 a
On se rendit. Un chef écrivit le détail 6+6 b
40 Des parts que chacun d'eux avait dans le bétail, 6+6 b
Et leur remit, avec d'amères railleries, 6+6 a
Un bon sur le Trésor, payable aux Tuileries… 6+6 a
Puis en criant hurrah ! les soldats deux à deux 6+6 b
Défilèrent, poussant le troupeau devant eux. 6+6 b
45 Les bœufs, en mugissant ; et les génisses rousses 6+6 a
Tournaient le front d'un air plaintif, et leurs voix douces 6+6 a
Retentissaient au loin. Les paysans navrés 6+6 b
Les regardaient partir, muets, les poings serrés, 6+6 b
Et des larmes de feu brûlaient leur peau tannée 6+6 a
50 Amour de la maison où notre race est née, 6+6 a
Haine de d'étranger qui vient prendre au pays 6+6 b
Le blé de ses sillons et le sang de ses fils, 6+6 b
Fier sentiment du droit écrasé par la force, 6+6 a
C'est vous qui pénétrez nos cœurs à rude écorce ! 6+6 a
55 Nous ne comprenons rien, nous autres laboureurs, 6+6 b
Aux querelles des rois avec les empereurs, 6+6 b
Nous ne connaissons pas la gloire et ses chimères ; 6+6 a
Mais nous savons que les enfants sont à leurs mères, 6−6 a
Que nos champs sont à nous, que le sang veut du sang, 6+6 b
60 Et nous nous soulevons comme un flot menaçant… 6+6 b
Les paysans, avec des pleurs dans les paupières, 6+6 a
Demeurèrent longtemps au milieu des bruyères, 6+6 a
Tout à coup, brandissant leurs faux, mêlant leurs voix, 6+6 b
Ils jetèrent un cri qu'au loin l'écho des bois 6+6 b
65 Répercuta comme un tonnerre, et, l'œil farouche, 6−6 a
La rage dans le cœur, la vengeance à la bouche, 6+6 a
Ils bondirent parmi les ronces des halliers 6+6 b
Comme un fauve troupeau de rudes sangliers. 6+6 b
Ils coururent ainsi jusqu'aux âpres falaises 6+6 a
70 Où les noirs charbonniers surveillaient leurs fournaises. 6+6 a
Tout un groupe vaillant vivait sur ces hauteurs : 6+6 b
Braconniers, bûcherons, hardis et fiers lutteurs, 6+6 b
Hors d'haleine, tremblant de hâte et de colère, 6+6 a
Le doyen des fermiers leur raconta l'affaire, 6+6 a
75 Et quand il eut fini, le maître charbonnier 6+6 b
Remplit sa poire à poudre et boucla son carnier, 6+6 b
C'était un grand vieillard aux traits durs et moroses, 6+6 a
Il avait vu beaucoup de pays et de choses, 6+6 a
Et savait lire : « Amis, leur dit-il, vengeons-nous, 6+6 b
80 Vengeons-nous dès ce soir !… Ces Prussiens sont des loups 6+6 b
Qui nous dévoreront, si nous les laissons faire. 6+6 a
Ils nous prendront jusqu'au dernier lopin de terre, 6−6 a
Ils viendront se gorger de notre vin vermeil 6+6 b
Et dégourdir leur sang à notre chaud soleil… 6+6 b
85 Nous sommes la lumière ; eux, il sont les ténèbres ! 6+6 a
Donc, en marche, et traquons à mort ces loups funèbres ! 6+6 a
Je sais où doit passer un de leurs régiments. 6+6 b
Venez tous, et ce soir, contre les Allemands 6+6 b
Ce que nous défendrons, avec notre existence, 6+6 a
90 Ce sera le joyeux et libre sol de France ! » 6+6 a
Il dit et se leva. Son profil maigre et fier 6+6 b
Se découpait en noir sur le couchant d'or clair 6+6 b
Ayant pris son fusils il partit, l'air tranquille, 6+6 a
Comme pour une chasse, et derrière, à la file, 6+6 a
95 Dans un sentier bordé de genêts et de houx, 6+6 b
Graves, silencieux, ils le suivirent tous… 6+6 b
Ils marchaient, et la nuit tombait, et les nuées 6+6 a
Où les éclairs perçaient de blafardes trouées, 6+6 a
Dans le ciel orageux amassaient leurs plis lourds, 6+6 b
100 L'averse ruisselait… Ils avançaient toujours 6+6 b
Enfin le charbonnier sur le bord d'une pente 6+6 a
Fit halte, et, leur montrant la profondeur béante, 6+6 a
Murmura lentement : « C'est par là qu'ils viendront. » 6+6 b
Dans la roche un ravin s'ouvrait, et d'un seul bond 6+6 b
105 Descendait brusquement au fond d'une clairière, 6+6 a
Un torrent s'y creusait un étroit lit de pierre, 6+6 a
Et la route longeait à pic le cours de l'eau. 6+6 b
Du creux de ce couloir au sommet du plateau, 6+6 b
Selon l'effort du vent, la voix d'une cascade 6+6 a
110 Arrivait jusqu'aux gens placés en embuscade, 6+6 a
Tantôt comme fracas de chevaux au galop, 6+6 b
Et tantôt comme un faible et limpide sanglot. 6+6 b
Les paysans avaient barricadé la route. 6+6 a
Ils attendaient, le cœur plein d'angoisse et de doute, 6+6 a
115 Lorsque, vers le ravin penchant son front noirci, 6+6 b
Le charbonnier leur dit : « Écoutez !… Les voici… » 6+6 b
En effet, à travers la pluie et la rafale, 6+6 a
On distinguait un bruit confus… Par intervalle 6+6 a
La rumeur s'accroissait. De brefs commandements 6+6 b
120 Retentissaient pareils à des croassements, 6+6 b
Et les éclairs faisaient briller les baïonnettes, 6+6 a
Et déjà des soldats les voix montaient plus nettes. 6+6 a
Le charbonnier cria : « Mort aux brigands !… A mort !… » 6+6 b
Et ce fut le signal… Sur ces hommes du Nord 6+6 b
125 Les troncs d'arbres noueux et les quartiers de roche 6+6 a
Croulèrent, comme si l'Argonne, à leur approche, 6+6 a
Eût convulsivement secoué de son front 6+6 b
Les rocs et les forêts pour venger son affront, 6+6 b
Les grès lourds écrasaient les Prussiens par vingtaines. 6+6 a
130 « En avant ! en avant ! » hurlaient les capitaines 6+6 a
Avec d'affreux jurons ; mais ils hurlaient en vain ; 6+6 b
Les plus braves soldats tombaient dans le ravin, 6+6 b
Fous de peur, et mouraient avec un cri sauvage, 6+6 a
En songeant au clocher lointain de leur village, 6+6 a
135 Les rouges coups de feu se croisaient ; les blessés 6+6 b
Râlaient en se tordant au revers des fossés… 6+6 b
« Et maintenant, mes fils, marchons à l'arme blanche ! » 6+6 a
Dit un vieux paysan…
Et comme une avalanche 6+6 a
De démons, dans la gorge on les vit se ruer, 6+6 b
140 Pour armes ayant pris tout ce qui peut tuer : 6+6 b
Le hoyau du sarcleur, le fléau de la grange 6+6 a
Et la serpe… Ce fut une sombre vendange, 6+6 a
Et les torrents gonflés, dans leur flot écumant, 6+6 b
Roulèrent plus d'un froid cadavre d'Allemand… 6+6 b
145 Lorsque tout fut fini, lorsque leur dernier homme, 6+6 a
Le front dans les roseaux, dormit son dernier somme, 6+6 a
Il se fit un silence, Alors, terrible et fier, 6+6 b
Debout sur le talus, tandis qu'un large éclair 6+6 b
Promenait sur les bois sa silhouette immense 6+6 a
150 Le maitre charbonnier cria : « Vive la France ! » 6+6 a
mètre profil métrique : 6−6
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