Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
SOU_1/SOU4
corpus Pamela Puntel
Joséphin SOULARY
PENDANT L’INVASION
1871
PARIS BOMBARDÉ
Versailles, 7 janvier 1871, dix heures du matin.

Le roi Guillaume à Augusta :

Depuis neuf heures a commencé le bombardement de Paris,
par un temps d'hiver splendide et sans vent, et par 9
degrés de froid sans neige.
.
I
Anéantir Paris, | nous disait-on, chimère ! 6+6 a
Qu'il se permette un jour | cette menace amère, 6+6 a
Cela prouve qu'il a dîné ; 8 b
Mais si fou que le vin | fasse un propos d'ivrogne, 6+6 c
5 Encore est-il qu'il reste, | à jeun, quelque vergogne 6+6 c
A cet ivrogne couronné. 8 b
On conçoit qu'il ait pu, | dans une heure mauvaise, 6+6 a
Jeter ce quos ego | pour faire aboyer d'aise, 6+6 a
Comme un chasseur enflant sa voix, 8 b
10 Ces jappeurs familiers | qu'à nous mordre il élève : 6+6 c
Le Times des cokneys, | le Journal de Genève 6+6 c
Et la Gazette de la Croix. 8 b
Tant d'orgueil fanfaron, | tant de sottise immense 6+6 a
Accusent au grand jour | la sénile démence 6+6 a
15 De ce drôle au casque pointu, 8 b
Réaliste dévôt, | philosophe pratique 6+6 c
Qui fait de la tuerie | un art mathématique 6+6 c
Et du mensonge une vertu ! 8 b
Qu'il promène la torche | en des villes ouvertes ; 6+6 a
20 Qu'il égorge à plaisir | des victimes inertes, 6+6 a
Et qu'à ce métier fatigant 8 b
Il puisse, à pleins fourgons, | des nippes qu'il dérobe 6+6 c
Remonter à Potsdam | sa maigre garde-robe, 6+6 c
C'est dans son rôle de brigand. 8 b
25 Il a pour lui le fer, | l’audace et les ténèbres ; 6+6 a
Mais si hardi qu'on soit, | dans ces exploits funèbres 6+6 a
On a beau se faire la main, 8 b
Il vient au grand soleil | une pudeur suprême 6+6 c
Où s’arrête toujours, | fût-il Guillaume même, 6+6 c
30 Un détrousseur de grand chemin. 8 b
Anéantir Paris ? | — Rien qu'à cette pensée 6+6 a
Surgirait des tombeaux | ton ombre courroucée, 6+6 a
Fléau de Dieu, sombre Attila ! 8 b
‘( Anéantir Paris, | cœur et cerveau du monde ! 6+6 c
35 « Je suis mort, dirais-tu, | pur de ce rêve immonde ; 6+6 c
« Est-ce qu'on fait ces rêves-là ? » 8 b
II
Mais déjà ce n'est plus un rêve ! 8 a
Les engins d'enfer sont en jeu, 8 b
Déchaînant sans merci ni trêve 8 a
40 L'ouragan de fer et de feu. 8 b
Et le roi dépêche à sa dame 8 c
Cet adorable télégramme : 8 c
— Une idylle au soleil levant 8 d
N’aurait pas le ton plus candide : — 8 e
45 « Paris bombardé, — temps splendide ! 8 e
« Beau froid sec, sans neige et sans vent ! » 8 d
Couple heureux, je vous complimente, 8 a
Reine béate et roi moqueur ! 8 b
Mais, en effet, l'heure est charmante 8 a
50 Pour les mignardises du cœur ! 8 b
Songez donc ! la bombe enjouée 8 c
Fait sa formidable trouée 8 c
Sur des toits que la croix défend ! 8 d
Et, beau sujet d'épithalame, 8 e
55 Elle éventre une pauvre femme, 8 e
Elle écartèle un tendre enfant ! 8 d
Bah ! qu'importe ? Le roi s’admire 8 a
Dans les jeux du canon brutal ; 8 b
Lui-même en a pointé la mire 8 a
60 Sur l’ambulance et l'hôpital. 8 b
« Visons plus haut, dit le vieux reître, 8 c
« Un peuple qui va disparaître 8 c
« N’a que faire de ses savants. » 8 d
Et l'obus éclate, sonore, 8 e
65 Sur ces temples où l'Art honore 8 e
Dans les grands morts les grands vivants. 8 d
Un vol noir de corbeaux croasse 8 a
Dans les airs lugubres et froids : 8 b
« Merci, roi ! ta curée est grasse, 8 a
70 « Et nous dînons comme des rois ! » 8 b
Alors lui revient la pensée 8 c
De certaine fête passée 8 c
Où chez nous son couvert fut mis 8 d
A l'agape de l'industrie 8 e
75 Dont la table immense et fleurie 8 e
Conviait les peuples amis. 8 d
A cette table hospitalière 8 a
Où notre cœur se mit en frais, 8 b
Dans une étreinte familière 8 a
80 Il vida sa coupe à. la paix. 8 b
Et lui, l'hôte choyé naguère, 8 c
Voilà qu'il apporte la guerre 8 c
Au foyer qui lui fit accueil, 8 d
Et pour qu'aucun être n'en sorte, 8 e
85 Il met, gardienne de la porte, 8 e
La Famine en travers du seuil ! 8 d
Justement il y songe ; et même 8 a
Sur sa pitié faisant effort, 8 b
Il médite à part lui le thème 8 a
90 Des festins troublés par la mort : 8 b
Balthazar, sinistre féerie ; 8 c
Damoclès, sombre raillerie ; 8 c
Don Juan, funèbre gaîté. 8 d
« Ha ! dit-il, quel trait de lumière ! 8 e
95 « C'est moi le Commandeur de pierre 8 e
« Que la France avait invité ! » 8 d
III
Dieu, dont l’œil pénétrant | sonde nos actions, 6+6 a
Dieu, dont la main courbe et redresse, 8 b
Qui donnes ou reprends | du poids aux nations 6+6 a
100 Dont l'équilibre est en détresse ; 8 b
Ta voie est inconnue | et tes desseins cachés. 6+6 a
Si ton bras de nous se retire, 8 b
Si nous devons tomber | vaincus, pour nos péchés, 6+6 a
Dans l'assaut d'un dernier martyre ; 8 b
105 Nouveau Job au fumier, | raclant ses vives chairs, 6+6 a
Objet d'horreur et de nausées, 8 b
Si la France doit voir | ses voisins les plus chers 6+6 a
La bafouer de leurs risées ; 8 b
Achève, dieu des Huns ! | nous mourrons, envahis 6+6 a
110 Par les flots montants de ta fange ; 8 b
Mais trahis par la terre | et par le ciel trahis, 6+6 a
Un sentiment d'orgueil nous venge ! 8 b
L'impossible, dit-on, | est rayé de tes lois, 6+6 a
Et ta puissance est légendaire ; 8 b
115 Le miracle est ton fort ? | Eh bien, foi de Gaulois, 6+6 a
J'en sais un que tu ne peux faire ! 8 b
Tu peux faire, Paris | brûlé, que, dès demain, 6+6 a
Courtisant la force brutale, 8 b
Lions et léopards | du loup lèchent la main 6+6 a
120 Dans le charnier sa capitale ; 8 b
Que d'un seul froncement | de ses sourcils épais, 6+6 a
Ce Louis quatorze postiche 8 b
Fasse dans l'univers | et la guerre et la paix ; 6+6 a
Qu'on l'encense comme un fétiche ; 8 b
125 Qu'il ait ses grands levers, | ses poètes de cour 6+6 a
Et ses petits pages canailles, 8 b
Et qu'il soit roi-soleil | en tout, même en amour, 6+6 a
Dans le rôle appris à Versailles ; 8 b
Qu'il emporte chez lui, | pierre à pierre emballé, 6+6 a
130 Paris avec tous ses prestiges, 8 b
Et qu'il soit glorieux | par ce qu'il a volé 6+6 a
Tu peux faire tous ces prodiges ! 8 b
Tu peux faire encor plus : | — que la postérité 6+6 a
Consacre cette mascarade ; 8 b
135 Que le progrès s’arrête, | et que l'Humanité 6+6 a
Jusqu'à son berceau rétrograde. 8 b
Mais faire que l'honneur | loyal et généreux, 6+6 a
Notre fleuron chevaleresque, 8 b
Abandonnant le sol | où dorment nos grands preux, 6+6 a
140 S’acclimate au pays tudesque ; 8 b
Mais faire que l’Esprit, | notre follet malin, 6+6 a
Subtil éclair qui vivifie, 8 b
Enterré sous Paris, | ressuscite à Berlin, 6+6 a
Pour cela, non ! je t'en défie ! 8 b
mètre profils métriques : 8, 6+6
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