Métrique en Ligne
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F = "e" féminin
| = césure
SIL_1/SIL19
Armand SILVESTRE
Les Renaissances
1870
LA VIE DES MORTS
III
LE RÊVE
La Renaissance Mortelle
(1866)
Las des rapides jours | et des lentes années, 6+6 a
Des soirs tristes, des nuits | mornes, des gais matins, 6+6 b
Vers les Temps éternels, | continus et lointains 6+6 b
Que ne troubleront plus | les heures obstinées, 6+6 a
5 Vers les Temps éternels | mon rêve s'est enfui 6+6 a
Par delà l'horizon | des sépultures vaines, 6+6 b
Vers les Temps éternels | dont les douleurs humaines 6+6 b
Ne mesureront plus | le monotone ennui. 6+6 a
Vers le Toujours promis | de mes amours passées, 6+6 a
10 Vers l'azur où l'extase | a figé les soleils 6+6 b
Dans l'immobilité | des deux toujours pareils, 6+6 b
Mon âme tend l'essor | de ses ailes blessées. 6+6 a
Une glace éternelle | a sculpté les flots blancs 6+6 a
De la mer qui m'attire, | et les ports sont moins calmes 6+6 b
15 Que sa morne étendue | où, pareils à des palmes, 6+6 b
Sont couchés les sillons | jadis faits à ses flancs. 6+6 a
Puisque tout mouvement | pousse vers un abîme, 6+6 a
Tout espoir vers un doute | ou bien vers un remords, 6+6 b
Et qu'un baiser sans fin | n'est qu'aux lèvres des morts, 6+6 b
20 — Vienne enfin la pitié | du tombeau magnanime ! 6+6 a
Sous l'oblique regard | des Orients vermeils 6+6 a
Je veux, tel que Memnon, | m'endormir dans la pierre. 6+6 b
Le grand sommeil des dieux | tente seul ma paupière, 6+6 b
Ayant lassé l'oubli | des terrestres sommeils. 6+6 a
25 — La pâle enchanteresse, | à mon chevet penchée, 6+6 a
Laissa choir de ses mains | lasses sa lampe d'or, 6+6 b
Et, comme une maîtresse | indifférente, dort, 6+6 b
Dans ses cheveux et dans | ses longs voiles couchée, 6−6 a
Rêve des deux fermés | et des jours révolus, 6+6 a
30 Fantôme virginal | et doux, ô fiancée 6+6 b
Des célestes amours, | ma blanche trépassée, 6+6 b
Ne te réveille pas ! | — je ne t'appelle plus. 6+6 a
L'azur a bu ton sang | dans quelque aurore antique, 6+6 a
Avec le sang des lis | et des dieux méconnus, 6+6 b
35 Et les rouges soleils | ont brûlé tes pieds nus, 6+6 b
O pâle sœur d'Icare, | ô vision mystique ! 6+6 a
Spectre divin, dans l'aube | errante évaporé, 6+6 a
Corps devenu parfum, | parfum perdu, ma bouche 6+6 b
Se sèche à t'aspirer | dans l'air mortel que touche 6+6 b
40 Le vol noir de la nuit | froide où je te suivrai. 6+6 a
Je lasserai le vol | de la nuit qui t'emporte, 6+6 a
Et, fermant les yeux d'or | des constellations, 6+6 b
J'oublîrai ta splendeur | avec les passions 6+6 b
Qu'allume dans mon sein | ton souffle épars, ô morte ! 6+6 a
45 Puisque, mêlant ta voix | aux terrestres rumeurs, 6+6 a
Ton être épars m'entoure, | et, fidèle, réclame 6+6 b
La foi jurée, — au seuil | des ténèbres de l'Âme 6+6 b
Ne m'attends plus ! — Reprends | ton corps auguste et meurs, 6+6 a
Reprends ton corps auguste | et sois corps tout entière, 6+6 a
50 Puisque la Mort s'arrête | à l'esprit triomphant, 6+6 b
Et que de sa pitié | toute âme se défend, 6+6 b
Et qu'un souffle suffit | à sauver la poussière. 6+6 a
Loin du souffle obstiné | des créateurs pervers, 6+6 a
Des rêveurs, des printemps | et des métamorphoses, 6+6 b
55 Revêts, pour t'y mouler | dans l'orgueil de tes poses, 6+6 b
La neige qui fera | les éternels hivers. 6+6 a
Sous des éclats pareils | et des blancheurs égales, 6+6 a
Tes formes dans la neige | à jamais revivront : 6+6 b
— Lève-toi seul dans l'ombre | où j'ai caché mon front, 6+6 b
60 Astre froid des cieux noirs | et des nuits boréales ! 6+6 a
— Revêts, pour y dresser | ton spectre radieux, 6+6 a
Quelque granit perdu | dans l'inerte matière, 6+6 b
Aussi dur que l'airain, | plus blanc que la lumière, 6+6 b
Moins vivant que le marbre | habité par les dieux ! 6+6 a
65 — J'étais chaste à jamais | de t'avoir possédée, 6+6 a
Fille auguste et terrible, | ô Vestale, ô ma sœur : 6+6 b
Car, dans tes bras sacrés, | j'avais pris la douceur 6+6 b
D'anéantir en moi | la Forme sous l'Idée. 6+6 a
La pudeur de mon Rêve | a trahi mon amour, 6+6 a
70 Et, dans la nuit de l'Âme | où je t'ai poursuivie, 6+6 b
Vainement je te cherche, | ô Cruelle, ô ma Vie, 6+6 b
Et je me sens aveugle — | à ne plus voir le jour ! 6+6 a
Réveille mes yeux morts, | ô Cruelle, ô Lumière, 6+6 a
Soleil d'un firmament | ou lampe d'un tombeau, 6+6 b
75 Rallume ta splendeur | sur l'autel large et beau 6+6 b
Où fume encor l'encens | de ma ferveur première, 6+6 a
Que renaissent en toi, | sous mes regards jaloux, 6+6 a
Tes Beautés, visions | que nulle ombre n'efface, 6+6 b
O Pâleur, ô Clarté | nocturne de ta face ! 6+6 b
80 O Douceur de tes yeux | si mortellement doux ! 6+6 a
O Langueur, cieux lointains | que ton front rêve encore ! 6+6 a
O Rougeur de ta lèvre | ouverte sur les cieux ! 6+6 b
O Charme enveloppant | tes traits délicieux ! 6+6 b
O Parfums, souffle errant | sur tes fraîcheurs d'aurore ! 6+6 a
85 O Gloire de mon Rêve, | à jamais mise en toi, 6+6 a
Forme exquise et puissante | en mon cerveau dressée, 6+6 b
Incarne-toi dans l'ombre | où t'étreint ma pensée : 6+6 b
— Reprends ton corps auguste — | et ne meurs qu'après moi ! 6+6 a
mètre profil métrique : 6−6
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