Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
SAM_2/SAM75
Albert SAMAIN
Symphonie héroïque
1900
SYMPHONIE HÉROÏQUE
LE FLEUVE
Sous l'être universel, vois l'éternel Symbole
Victor Hugo
Conçu dans l'ombre aux flancs | augustes de la terre, 6+6 a
Le fleuve prend sa vie | aux sources du mystère. 6+6 a
Il est le fils des monts | déserts et des glaciers ; 6+6 b
Et les vieux rocs pensifs, | farouches nourriciers 6+6 b
5 Du limpide cristal | distillé par la voûte, 6+6 a
Dans l'ombre, de longs jours | l'abreuvent goutte à goutte, 6+6 a
L'écoutent gazouiller | dans son lit de cailloux, 6+6 b
Si faible encore, avec | un murmure très doux, 6+6 b
Et suivent, attendris, | ses limpides manèges 6+6 a
10 Parmi la radieuse | innocence des neiges. 6+6 a
Tel il grandit, gardé | par l'antre paternel, 6+6 b
Pur de la pureté | des glaces — près du ciel. 6+6 b
Mais déjà, frémissant | de conquérir l'espace, 6+6 a
Il s'élance, et ruisseau | turbulent et vorace, 6+6 a
15 Emporte en bouillonnant | dans ses flots confondus 6+6 b
Des herbes, des rochers | et des sapins tordus ; 6+6 b
Puis, torrent blanc d'écume, | il déserte les cimes ; 6+6 a
Jaloux de l'avalanche, | il se rue aux abîmes, 6+6 a
Et sur les rocs fumants, | ivre et précipité, 6+6 b
20 S'écrase et tombe en des | cascades de clarté ! 6−6 b
Au fond des ravins noirs | sa fureur s'est éteinte. 6+6 a
Il respire à présent, | car la plaine est atteinte, 6+6 a
La plaine pacifique | aux horizons d'épis. 6+6 b
Il promène, étalé, | de longs jours assoupis 6+6 b
25 Parmi les terrains roux, | les vergers, les pâtures, 6+6 a
Le décor symétrique | et calme des cultures, 6+6 a
Et coule monotone | et pareil aux bœufs lents 6+6 b
Attelés sur la route | aux chars de foin tremblants. 6+6 b
Le rire de l'été | rayonne sur ses berges. 6+6 a
30 Des troupeaux çà et là | boivent à ses flots vierges ; 6+6 a
Il rencontre, en passant, | des villages, des bourgs ; 6+6 b
Maints châteaux dans ses eaux | claires mirent leurs tours 6+6 b
Et, charmant, il s'attarde, | il serpente, il chatoie, 6+6 a
Une frange de fleurs | à sa robe de soie. 6+6 a
35 Pourtant il reste en lui | des flammes du passé ; 6+6 b
Et, parfois, quand l'hiver | plus fort l'a terrassé, 6+6 b
Comme un taureau qu'on couche | en pesant sur ses cornes, 6+6 a
Tout à coup, s'échappant, | crevant les glaçons mornes, 6+6 a
Balayant l'horizon, | brisant tout, tordant tout, 6+6 b
40 Faisant sauter les ponts | de pierre d'un seul coup 6+6 b
— car l'âme des fléaux | géants est dans son âme— 6+6 a
Il arrive comme le vent, | comme la flamme ! 8+4 a
Et les peuples, béants | d'horreur sur les coteaux, 6+6 b
Écoutent dans la nuit | passer ses grandes eaux, 6+6 b
45 Jusqu'au jour où, lion | fatigué de ravages, 6+6 a
Il retourne à pas lents | dormir sur ses rivages, 6+6 a
Et reprend, souriant | sous l'azur attiédi, 6+6 b
Le rêve nonchalant | de ses après-midi. 6+6 b
Cependant il s'étend. | Ses eaux autoritaires 6+6 a
50 Rançonnent durement | les ruisseaux tributaires, 6+6 a
Et riche de ses flots | par des flots augmentés, 6+6 b
Il marche comme un roi | vainqueur vers les cités. 6+6 b
Chargé d'orgueil, au loin, | sur les plaines fertiles, 6+6 a
Il regarde traîner | son manteau semé d'îles, 6+6 a
55 Et, superbe, à plaisir | prodiguant les détours, 6+6 b
S'avance vers la ville | aux immenses faubourgs 6+6 b
Où, plein de majesté, | comme les patriarches, 6+6 a
Il entre, glorieux, | sous la splendeur des arches ! 6+6 a
La ville avec orgueil, | du haut des grands quais blancs 6+6 b
60 Regarde s'avancer | ses flots nobles et lents. 6+6 b
Les vieux palais bâtis | par les races lointaines 6+6 a
Suspendent sur ses eaux | leurs terrasses hautaines. 6+6 a
Les rêveurs éblouis | vont voir, les soirs vermeils, 6+6 b
Sur ses flots somptueux | descendre les soleils ; 6+6 b
65 Et la nuit jette au fond | de ses ondes funèbres 6+6 a
Des secrets qu'il emporte | à Dieu dans les ténèbres. 6+6 a
Un peuple de bateaux | le sillonnent sans fin. 6+6 b
Il apporte le blé, | le fer, le bois, le vin, 6+6 b
Et fait sur son chemin | bénir ses eaux royales 6+6 a
70 Par les grands bras levés | des saintes cathédrales ! 6+6 a
Il est religieux, | sacré, fécond, puissant, 6+6 b
Et coule au cœur | des nations | comme le sang. 4+4+4 b
L'horizon s'élargit, | respectueux ; la terre, 6+6 a
Orgueilleuse de lui, | comme une bonne mère, 6+6 a
75 Le salue au passage | avec ses bois, ses champs, 6+6 b
Ses vignes, ses moissons | et ses jardins penchants. 6+6 b
L'âge l'a couronné | de sagesse ; il respire 6+6 a
La brise parfumée | aux fleurs de son empire, 6+6 a
Et revêtu de force | et de sérénité 6+6 b
80 Marche tout plein déjà | de sa divinité. 6+6 b
Triomphateur altier | consacré par l'histoire, 6+6 a
Charriant sous maint pont | sonore un flot de gloire, 6+6 a
Il va de plus en plus | magnifique et profond. 6+6 b
Déjà de hauts vaisseaux | apparaissent qui font 6+6 b
85 Palpiter sur ses eaux | des gonflements de voiles. 6+6 a
Chaque nuit sa splendeur | réfléchit plus d'étoiles. 6+6 a
Le vent lointain qui vient | d'horizons ignorés 6+6 b
Soulève vers le soir | ses cheveux azurés. 6+6 b
L'océan ! L'océan ! | … déjà vers sa narine 6+6 a
90 Monte en souffle puissant | la grande odeur marine. 6+6 a
Il tressaille, il s'émeut ; | déjà de sourds reflux 6+6 b
Troublent obscurément | ses flots irrésolus. 6+6 b
Il a compris ; là-bas | l'attend l'ultime épreuve. 6+6 a
Au fils des monts altiers, | roi des plaines, au fleuve, 6+6 a
95 La mort dresse là-bas | le lit universel, 6+6 b
Brodé d'écume blanche | et parfumé de sel. 6+6 b
Alors multipliant | ses ondes épandues, 6+6 a
Superbe, débordant | au loin les étendues, 6+6 a
Il étreint l'horizon | immense peu à peu 6+6 b
100 De l'attendrissement | d'un magnifique adieu ; 6+6 b
Puis, enlacé déjà | par l'épouse fatale, 6+6 a
Dans un effort suprême, | il grandit, il s'étale 6+6 a
Et, pareil à la mer, | qu'inonde un couchant d'or, 6+6 b
Il entre dans l'orgueil | sublime de sa mort. 6+6 b
mètre profil métrique : 6=6
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