Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
SAM_2/SAM73
Albert SAMAIN
Symphonie héroïque
1900
SYMPHONIE HÉROÏQUE
FORÊTS
Vastes forêts, forêts | magnifiques et fortes, 6+6 a
Quel infaillible instinct | nous ramène toujours 6+6 b
Vers vos vieux troncs drapés | de mousses de velours 6+6 b
Et vos étroits sentiers | feutrés de feuilles mortes ? 6+6 a
5 Le murmure éternel | de vos larges rameaux 6+6 a
Réveille encore en nous, | comme une voix profonde, 6+6 b
L'émoi divin de l'homme | aux premiers jours du monde, 6+6 b
Dans l'ivresse du ciel, | de la terre, et des eaux. 6+6 a
Grands bois, vous nous rendez | à la sainte nature. 6+6 a
10 Et notre cœur retrouve, | à votre âme exalté, 6+6 b
Avec le jeune amour | l'antique liberté, 6+6 b
Grands bois grisants et forts | comme une chevelure ! 6+6 a
Vos chênes orgueilleux | sont plus durs que le fer ; 6+6 a
Dans vos halliers profonds | nul soleil ne rayonne ; 6+6 b
15 L'horreur des lieux sacrés | au loin vous environne, 6+6 b
Et vous vous lamentez | aussi haut que la mer ! 6+6 a
Quand le vent frais de l'aube | aux feuillages circule, 6+6 a
Vous frémissez aux cris | de mille oiseaux joyeux ; 6+6 b
Et rien n'est plus superbe | et plus religieux 6+6 b
20 Que votre grand silence, | au fond du crépuscule… 6+6 a
Autrefois vous étiez | habités par les dieux ; 6+6 a
Vos étangs miroitaient | de seins nus et d'épaules, 6+6 b
Et le Faune amoureux, | qui guettait dans les saules, 6+6 b
Sous son front bestial | sentait flamber ses yeux. 6+6 a
25 La nymphe grasse et rousse | ondoyait aux clairières 6+6 a
Où l'herbe était foulée | aux pieds lourds des silvains, 6+6 b
Et, dans le vent nocturne, | au long des noirs ravins, 6+6 b
Le centaure au galop | faisait rouler des pierres. 6+6 a
Votre âme est pleine encor | des songes anciens ; 6+6 a
30 Et la flûte de Pan, | dans les campagnes veuves, 6+6 b
Les beaux soirs où la lune | argente l'eau des fleuves, 6+6 b
Fait tressaillir encor | vos grands chênes païens. 6+6 a
Les muses, d'un doigt pur | soulevant leurs longs voiles 6+6 a
À l'heure où le silence | emplit le bois sacré, 6+6 b
35 Pensives, se tournaient | vers le croissant doré, 6+6 b
Et regardaient la mer | soupirer aux étoiles… 6+6 a
Nobles forêts, forêts | d'automne aux feuilles d'or, 6+6 a
Avec ce soleil rouge | au fond des avenues, 6+6 b
Et ce grand air d'adieu | qui flotte aux branches nues 6+6 b
40 Vers l'étang solitaire, | où meurt le son du cor. 6+6 a
Forêts d'avril : chansons | des pinsons et des merles ; 6+6 a
Frissons d'ailes, frissons | de feuilles, souffle pur ; 6+6 b
Lumière d'argent clair, | d'émeraude et d'azur ; 6+6 b
Avril ! … pluie et soleil | sur la forêt en perles ! … 6+6 a
45 Ô vertes profondeurs, | pleines d'enchantements, 6+6 a
Bancs de mousse, rochers, | sources, bruyères roses, 6+6 b
Avec votre mystère, | et vos retraites closes, 6+6 b
Comme vous répondez | à l'âme des amants ! 6+6 a
Dans le creux de sa main | l'amante a mis des mûres ; 6+6 a
50 Sa robe est claire encore | au sentier déjà noir ; 6+6 b
De légères vapeurs | montent dans l'air du soir, 6+6 b
Et la forêt s'endort | dans les derniers murmures. 6+6 a
La hutte au toit noirci | se dresse par endroits ; 6+6 a
Un cerf, tendant son cou, | brame au bord de la mare 6+6 b
55 Et le rêve éternel | de notre cœur s'égare 6+6 b
Vers la maison d'amour | cachée au fond des bois. 6+6 a
Ô calme ! … tremblement | des étoiles lointaines ! … 6+6 a
Sur la nappe s'écroule | une coupe de fruits ; 6+6 b
Et l'amante tressaille | au silence des nuits, 6+6 b
60 Sentant sur ses bras nus | la fraîcheur des fontaines… 6+6 a
Forêts d'amour, forêts | de tristesse et de deuil, 6+6 a
Comme vous endormez | nos secrètes blessures, 6+6 b
Comme vous éventez | de vos lentes ramures 6+6 b
Nos cœurs toujours brûlants | de souffrance ou d'orgueil. 6+6 a
65 Tous ceux qu'un signe au front | marque pour être rois, 6+6 a
Pâles s'en vont errer | sous vos sombres portiques, 6+6 b
Et, frissonnant au bruit | des rameaux prophétiques, 6+6 b
Écoutent dans la nuit | parler de grandes voix. 6+6 a
Tous ceux que visita | la douleur solennelle, 6+6 a
70 Et que n'émeuvent plus | les soirs ni les matins, 6+6 b
Rêvent de s'enfoncer | au cœur des vieux sapins, 6+6 b
Et de coucher leur vie | à leur ombre éternelle. 6+6 a
Salut à vous, grands bois | à la cime sonore, 6+6 a
Vous où, la nuit, s'atteste | une divinité, 6+6 b
75 Vous qu'un frisson parcourt | sous le ciel argenté, 6+6 b
En entendant hennir | les chevaux de l'aurore. 6+6 a
Salut à vous, grands bois | profonds et gémissants, 6+6 a
Fils très bons et très doux | et très beaux de la terre, 6+6 b
Vous par qui le vieux cœur | humain se régénère, 6+6 b
80 Ivre de croire encore | à ses instincts puissants : 6+6 a
Hêtres, charmes, bouleaux, | vieux troncs couverts d'écailles, 6+6 a
Piliers géants tordant | des hydres à vos pieds, 6+6 b
Vous qui tentez la foudre | avec vos fronts altiers, 6+6 b
Chênes de cinq cents ans | tout labourés d'entailles, 6+6 a
85 Vivez toujours puissants | et toujours rajeunis ; 6+6 a
Déployez vos rameaux, | accroissez votre écorce 6+6 b
Et versez-nous la paix, | la sagesse et la force, 6+6 b
Grands ancêtres par qui | les hommes sont bénis. 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
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