Métrique en Ligne
SAM_1/SAM55
Albert SAMAIN
Le Chariot d'or
1900
INTÉRIEUR
TÉNÈBRES
Les heures de la nuit sont lentes et funèbres. 6+6 a
Frère, ne trembles-tu jamais en écoutant, 6+6 b
Comme un bruit sourd de mer lointaine qu'on entend, 6+6 b
La respiration tragique des ténèbres ? 6+6 a
5 Les heures de la nuit sont filles de la peur ; 6+6 a
Leur souffle fait mourir l'âme humble des veilleuses, 6+6 b
Cependant que leurs mains froides et violeuses, 6+6 b
S'allongent sous les draps pour saisir notre cœur. 6+6 a
… une âme étrangement dans les choses tressaille, 6+6 a
10 Murmure ou craquement, qu'on ne définit point. 6+6 b
Tout dort ; on n'entend plus, même de loin en loin, 6+6 b
Quelque pas décroissant le long de la muraille. 6+6 a
Pâle, j'écoute au bord du silence béant. 6+6 a
La nuit autour de moi, muette et sépulcrale, 6+6 b
15 S'ouvre comme une haute et sombre cathédrale 6+6 b
Où le bruit de mes pas fait sonner du néant. 6+6 a
J'écoute, et la sueur coule à ma tempe blême, 6+6 a
Car dans l'ombre une main spectrale m'a tendu 6+6 b
Un funèbre miroir où je vois, confondu, 6+6 b
20 Monter vers moi du fond mon image elle-même. 6+6 a
Et peu à peu j'éprouve à me dévisager 6+6 a
Comme une inexprimable et poignante souffrance, 6+6 b
Tant je me sens lointain, tant ma propre apparence 6+6 b
Me semble en cet instant celle d'un étranger. 6+6 a
25 Ma vie est là pourtant, très exacte et très vraie, 6+6 a
Harnais quotidien, sonnailles de grelots, 6+6 b
Comédie et roman, faux rires, faux sanglots, 6+6 b
Et cette herbe des sens folle, comme l'ivraie 6+6 a
Et tout s'avère alors si piteux et si vain, 6+6 a
30 Tant de mensonge éclate au rôle que j'accepte, 6+6 b
Que le dégoût me prend d'être ce pître inepte 6+6 b
Et de recommencer la parade demain ! 6+6 a
Les heures de la nuit sont lentes et funèbres. 6+6 a
L'angoisse comme un drap mouillé colle à ma chair ; 6+6 b
35 Et ma pensée, ainsi qu'un vaisseau sous l'éclair, 6+6 b
Roule, désemparée, au large des ténèbres. 6+6 a
De mortelles vapeurs assiègent mon cerveau 6+6 a
Une vieille en cheveux qui rôde dans des tombes 6+6 b
Ricane en égorgeant lentement des colombes ; 6+6 b
40 Et sa main de squelette agrippe mon manteau 6+6 a
Cloué par un couteau, mon cœur bat, mon sang coule 6+6 a
Et c'est un tribunal au fond d'un souterrain, 6+6 b
Où trois juges, devant une table d'airain, 6+6 b
Siègent, portant chacun une rouge cagoule. 6+6 a
45 Et mon âme à genoux, devant leur trinité, 6+6 a
Râle, en claquant des dents, ses hontes, sa misère. 6+6 b
Et leur voix n'a plus rien des pitiés de la terre, 6+6 b
Et les trous de leurs yeux sont pleins d'éternité. 6+6 a
… mais soudain, dans la nuit d'hiver profonde encore, 6+6 a
50 Tout mon cœur d'un espoir immense a frissonné, 6+6 b
Car voici qu'argentine, une cloche a sonné, 6+6 b
Par trois coups espacés, la messe de l'aurore. 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
forme globale type : suite périodique
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