Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
SAM_1/SAM50
Albert SAMAIN
Le Chariot d'or
1900
INTÉRIEUR
INCANTATION
Ô nuit magicienne, ô douce, ô solitaire, 6+6 a
Le paysage avec sa flûte de roseau 6+6 b
T'accueille ; et tes pieds nus posés sur le coteau 6+6 b
Font tressaillir le cœur fatigué de la terre. 6+6 a
5 Laissant fuir de ses doigts sa guirlande de fleurs, 6+6 a
Voici qu'en tes bras frais s'endort le soir qui rêve. 6+6 b
L'âme, veule au soleil, frissonne, se soulève, 6+6 b
Et tord sa chevelure à la source des pleurs. 6+6 a
Les paysans rentrant par les plaines tranquilles 6+6 a
10 Prennent au crépuscule un accent éternel ; 6+6 b
Et la tristesse passe, en respirant le ciel 6+6 b
Vaguement lumineux dans les eaux immobiles. 6+6 a
Derniers bruits des chemins pleins d'ombre. Fin du jour… 6+6 a
Ô nuit, l'âme des fleurs nuptiales t'épie 6+6 b
15 Le bétail est couché ; la glèbe est assoupie, 6+6 b
Et la servante a clos les portes de la cour. 6+6 a
Sur ton sein resplendit la lune magnétique. 6+6 a
La nymphe qu'elle attire ondule dans les joncs ; 6+6 b
Et tout ce qu'en nos cœurs sanglotants nous songeons 6+6 b
20 Monte, comme la mer, vers sa face mystique. 6+6 a
L'heure est harmonieuse et grave sous les cieux ; 6+6 a
L'ombre, étendue au loin, solennise les lignes ; 6+6 b
Et l'homme, s'éveillant au mystère des signes, 6+6 b
Sent monter lentement la prière à ses yeux… 6+6 a
25 Là-bas, la ville au loin presse ses toits sans nombre ; 6+6 a
Seuls, de la multitude anonyme émergés, 6+6 b
Les monuments, debout ainsi que des bergers, 6+6 b
Veillent pour témoigner de son âme dans l'ombre. 6+6 a
L'abîme étoilé s'ouvre à l'ardeur de penser, 6+6 a
30 Et l'esprit, visité de rumeurs inconnues, 6+6 b
S'étonne, et frémissant écoute au fond des nues, 6+6 b
Comme un grand fleuve noir, l'éternité passer. 6+6 a
Ivresse ! Bras tendus au ciel ! Vol qui s'égare… 6+6 a
Baiser de l'infini qui rend pâle un instant… 6+6 b
35 Et toujours sous nos fronts ce vieux désir luttant, 6+6 b
Toujours l'héréditaire orgueil des fils d'Icare. 6+6 a
Un vent sacré venu des espaces profonds 6+6 a
Détache le fruit mûr qui pèse aux flancs des femmes, 6+6 b
Pendant qu'à son approche, au loin, les grandes âmes 6+6 b
40 Brûlent, comme des feux allumés sur les monts. 6+6 a
Je te salue, ô nuit des pâtres, des prophètes, 6+6 a
Mère au long voile noir des grands enfantements, 6+6 b
Ô féconde par qui, jumelles en tourments, 6+6 b
Les œuvres de la femme et de l'homme sont faites. 6+6 a
45 Grande nuit ! Sanctuaire auguste des secrets. 6+6 a
Ô nuit, sœur de la mort, comme elle impénétrable. 6+6 b
Nuit d'Orphée et d'Isis, déesse vénérable, 6+6 b
Aïeule de la mer antique et des forêts ! 6+6 a
*
Et nuit divine aussi, vierge pur et clémente 6+6 a
50 Qui ranimes l'amour à ton sourire obscur, 6+6 b
Toi qui poses au cœur tes longues mains d'azur, 6+6 b
Et portes le sommeil innocent sous ta mante. 6+6 a
Seule, tu sais calmer les tourments inconnus 6+6 a
De ceux que le mentir quotidien torture. 6+6 b
55 Leur front brûle, et voici ta sombre chevelure ; 6+6 b
Leur âme est solitaire, et voici tes bras nus. 6+6 a
Et chacun, dénouant les liens du masque infâme, 6+6 a
Dans ta forêt, sous l'œil d'or fixe du hibou, 6+6 b
Au large de son cœur promène un archet fou, 6+6 b
60 Et marche, magnifique et libre, dans son âme ! 6+6 a
Cependant qu'aux buissons l'oiseau sentimental, 6+6 a
L'oiseau, triste et divin, que les ombres suscitent, 6+6 b
Sur les jardins déserts où les feuilles palpitent, 6+6 b
Fait ruisseler son cœur en sanglots de cristal. 6+6 a
65 Minuit. La voûte est comme une église tendue. 6+6 a
Le livre resplendit, au fond, d'or et de fer. 6+6 b
Et la chair est sublime et vibre avec l'éther ! 6+6 b
Ô vagues de silence à travers l'étendue… 6+6 a
Et déjà respirant les fleurs d'étranges soirs, 6+6 a
70 Le rêve s'aventure, enlacé par Hélène, 6+6 b
Aux plus lointaines mers de la pensée humaine 6+6 b
Sur son char attelé de deux grands cygnes noirs. 6+6 a
Ô nuit, tes pieds divins font tressaillir la terre, 6+6 a
Ta coupe d'argent noir contient les profondeurs ; 6+6 b
75 Tu fais jaillir de nous les secrètes splendeurs ; 6+6 b
Et je t'adorerai pour ce triple mystère. 6+6 a
Ô nuit magicienne, ô douce, ô solitaire. 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
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