Métrique en Ligne
SAM_1/SAM43
Albert SAMAIN
Le Chariot d'or
1900
INTÉRIEUR
HYACINTHE
Pour la voir aussitôt m'apparaître, fidèle 6+6 a
Je n'ai qu'à prononcer son nom mélodieux, 6+6 b
Comme si quelque instinct miséricordieux 6+6 b
D'avance lui disait l'heure où j'ai besoin d'elle. 6+6 a
5 Je la trouve toujours, quand mon cœur contristé 6+6 a
S'exile et se replie au fond de ses retraites, 6+6 b
Et pansant à la nuit ses blessures secrètes, 6+6 b
Reprend avec l'orgueil sa native beauté. 6+6 a
C'est dans un parc illustre où la blancheur des marbres 6+6 a
10 Dans l'ombre çà et là dresse un beau geste nu, 6+6 b
Où ruisselle un bruit d'eau léger et continu, 6+6 b
Où les chemins rayés par les ombres des arbres 6+6 a
S'enfoncent comme on voit aux tableaux anciens. 6+6 a
Aux noblesses du cœur le décor est propice, 6+6 b
15 Et parmi les bosquets l'âme de Bérénice 6+6 b
Semble encor sangloter des vers raciniens. 6+6 a
Elle est là ; sous le dais des ténèbres soyeuses, 6+6 a
Elle attend ; autour d'elle à chaque mouvement 6+6 b
Ses ailes font d'un vague et lent frémissement 6+6 b
20 De plumes onduler les fleurs harmonieuses. 6+6 a
Ses lèvres par instants laissent tomber le mot 6+6 a
Unique où se concentre en goutte le silence ; 6+6 b
Le geste de ses mains pâles est l'indolence, 6+6 b
Et sa voix musicale est fille du sanglot. 6+6 a
25 Nous errons à travers les jardins taciturnes 6+6 a
Émus en même temps de limpides frissons, 6+6 b
Touchés de nous aimer dans ce que nous pensons 6+6 b
Et nous penchant ensemble aux fontaines nocturnes. 6+6 a
L'amour s'ouvre à ses doigts comme un lys infini, 6+6 a
30 Tout en elle se donne et rien ne se dérobe. 6+6 b
Ses bras savent surtout bercer et sous sa robe 6+6 b
Son sein a la chaleur maternelle du nid. 6+6 a
La pitié, la douceur, la paix sont ses servantes ; 6+6 a
À sa ceinture pend le rosaire des soirs, 6+6 b
35 Et c'est elle sans trêve et pourtant sans espoirs, 6+6 b
Que je cherche à jamais à travers les vivantes. 6+6 a
Elle est tout ce que j'aime au monde, le secret, 6+6 a
L'amour aux longs cheveux, la pudeur aux longs voiles, 6+6 b
Même elle me ressemble aux rayons des étoiles, 6+6 b
40 Et c'est comme une sœur morte qui reviendrait. 6+6 a
Hyacinthe est le nom mortel que je lui donne. 6+6 a
Souvent au fond des ans par d'étranges détours 6+6 b
Nous évoquons la même enfance aux mêmes jours, 6+6 b
Et sa voix dont l'accent fatidique m'étonne 6+6 a
45 Semble du plus profond de mon âme venir. 6+6 a
Elle a le timbre ému des heures abolies, 6+6 b
Et sonne l'angélus de mes mélancolies 6+6 b
Dans la vallée au vieux clocher du souvenir. 6+6 a
Et parfois elle dit, pâle en la nuit profonde, 6+6 a
50 Pendant qu'au loin la lune argente un marbre nu 6+6 b
Et qu'un ruissellement léger et continu 6+6 b
Mêle au son de sa voix l'écoulement de l'onde, 6+6 a
Pendant qu'aux profondeurs des grands espaces bleus 6+6 a
Palpite une douceur grave et surnaturelle, 6+6 b
55 Et que je vois comme un miracle fait pour elle 6−6 b
Les astres scintiller à travers ses cheveux, 6+6 a
Elle dit : quelque jour dans un pays suprême 6+6 a
Ton désir cueillera les fruits puissants et beaux 6+6 b
Dont la fleur blême ici languit sur les tombeaux. 6+6 b
60 Et ton propre idéal sera ton diadème. 6+6 a
Avec l'argile triste où chemine le ver 6+6 a
Tu quitteras le mal, la honte, l'esclavage, 6+6 b
Et je te sourirai dans les lys du rivage, 6+6 b
Belle comme la lune, en été, sur la mer. 6+6 a
65 Tes sens magnifiés vivront d'intenses fièvres, 6+6 a
Ivres d'intensité dans un air immortel ; 6+6 b
Alors s'accomplira ton rêve originel 6+6 b
Et, penché sur mes yeux pleins d'un soir éternel, 6+6 b
C'est ton âme que tu baiseras sur mes lèvres. 6−6 a
mètre profil métrique : 6−6
forme globale type : suite de strophes
schéma : 16[abba] 1[abbba]
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