Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
ROU_1/ROU6
Jean-Antoine ROUCHER
Les Mois
1779
LES MOIS D'ÉTÉ
JUILLET
CHANT CINQUIÈME
L’UNIVERS existoit : mais l’univers encore 6+6 a
Ne voyoit point regner l’ordre qui le décore. 6+6 a
Enfin à ce grand-tout un dieu donna des loix, 6+6 b
Et destinant chaque être à d’éternels emplois, 6+6 b
5 Lui marqua son séjour, son rang et sa durée. 6+6 a
Il déploya des cieux la tenture azurée, 6+6 a
Du soleil sur son trône en fit le pavillon, 6+6 b
Voulut qu’il y regnât, et qu’à son tourbillon, 6+6 b
Il enchnât en roi le monde planétaire ; 6+6 a
10 Que du globe terrestre esclave tributaire, 6+6 a
Le nocturne croissant dont Phébé resplendit, 6+6 b
Sous les feux du soleil tous les mois s’arrondît ; 6+6 b
Que d’un cours sinueux traversant les vallées, 6+6 a
Le fleuve s’engloutît dans les plaines salées : 6+6 a
15 Qu’on vît toujours aux fleurs succéder les moissons, 6+6 b
Et les fruits précéder le règne des glaçons ; 6+6 b
Que l’ambre hérissât la bruyante Baltique ; 6+6 a
Que l’ébène ombrageât la rive asiatique ; 6+6 a
Que le sol des incas d’un or pur s’enrichît ; 6+6 b
20 Que dans les flots d’Ormus la perle se blanchît ; 6+6 b
Qu’aux veines des rochers, une chaleur féconde 6+6 a
Changeât en diamant le sable de Golconde ; 6+6 a
Que le fleuve du Caire, en ses profondes eaux, 6+6 b
Prêtât au crocodile un abri de roseaux ; 6+6 b
25 Que le phoque rampât aux bords de la Finlande ; 6+6 a
Que l’ours dormît trois mois sur les rochers d’Islande ; 6+6 a
Que sous le pôle même, où vingt fleuves glacés 6+6 b
Apportent le tribut des hyvers entassés, 6+6 b
Éparses en troupeaux, les énormes baleines 6+6 a
30 Du sauvage océan fîssent mugir les plaines ; 6+6 a
Et qu’au bord de ces lacs, où cent forts démolis 6+6 b
Au triste Canada font regretter nos lys, 6+6 b
Le castor, avec nous disputant d’industrie, 6+6 a
De hardis monumens embellît sa patrie, 6+6 a
35 DE ces républicains, nos paisibles rivaux, 6+6 b
Le soleil en ce mois éclaire les travaux. 6+6 b
Dirigés par l’instinct, dont la voix les rassemble, 6+6 a
Aux rivages d’un fleuve ils s’avancent ensemble : 6+6 a
Ils veulent, l’un par l’autre au travail excités, 6+6 b
40 D’un pont couvrir les eaux, et bâtir des cités. 6+6 b
EN désordre d’abord répandus sur l’arène, 6+6 a
Ils s’y rangent en cercle, ils attaquent un frêne, 6+6 a
Qui robuste, noueux, élancé dans les airs, 6+6 b
D’épais et longs rameaux couvre les bords déserts. 6+6 b
45 Sous l’effort de leurs dents, à grand bruit, sur la plage 6+6 a
Il tombe ; il a perdu l’honneur de son feuillage. 6+6 a
TANDIS que par la foule à la hâte emporté, 6+6 b
Le tronc au sein des eaux roule précipité, 6+6 b
D’autres, que dans leur marche un vieux chef accompagne, 6+6 a
50 D’arbres moins vigoureux dépeuplent la campagne, 6+6 a
Les portent jusqu’au fleuve, et nerveux matelots, 6+6 b
Les font d’un cours heureux naviger sur les flots. 6+6 b
Des pieux en sont formés. Une magique adresse 6+6 a
Dans l’onde en pilotis les enfonce, les dresse. 6+6 a
55 On enlace autour d’eux le souple balizier, 6+6 b
Et le saule flexible, et le docile osier. 6+6 b
Celui-ci va, revient ; et voyageur agile, 6+6 a
Sur sa queue applatie il emporte l’argile, 6+6 a
Qu’en ciment sous ses piés un autre ramollit. 6+6 b
60 De ce limon bro la digue se remplit, 6+6 b
S’élève, sort enfin des eaux qu’elle domine, 6+6 a
Et déjà sur le pont le castor s’achemine. 6+6 a
Solide monument ! Son immense longueur 6+6 b
Étonne des humains l’adresse et la vigueur. 6+6 b
65 CES travaux achevés, la sage république 6+6 a
Se partage en tribus, et par grouppes s’applique 6+6 a
À créer une ville, où sous trente maisons, 6+6 b
Elle doit voir renaître et mourir deux saisons. 6+6 b
Le travail recommence ; et le double rivage 6+6 a
70 Des arbres qu’il nourrit souffre encor le ravage. 6+6 a
De leurs vastes débris à la glaise mêlés, 6+6 b
Naissent des pavillons avec art modelés : 6+6 b
Ils montent, couronnés d’une cime arrondie. 6+6 a
TELLE on vit s’élever aux champs de Numidie 6+6 a
75 La ville, où les troyens, du naufrage assaillis, 6+6 b
Furent par une reine en triomphe accueillis. 6+6 b
Ici, pour décorer l’enceinte d’un théâtre, 6+6 a
Le ciseau façonnoit le porphyre, l’albâtre ; 6+6 a
Là, regnoient dans les airs les creneaux d’une tour ; 6+6 b
80 Plus loin, s’ouvroit d’un port le spacieux contour ; 6+6 b
Et prodiguant par tout leurs travaux et leurs veilles, 6+6 a
Les arts au fils d’Anchise étaloient des merveilles. 6+6 a
QUE les vents, désormais de sa cité jaloux, 6+6 b
L’assiègent ; le castor insulte à leur courroux. 6+6 b
85 Le buis et le sapin, qu’épargne la froidure, 6+6 a
Prêtent à son sommeil des tapis de verdure. 6+6 a
Les querelles jamais ne troublent ses loisirs ; 6+6 b
Et lorsque, ramenant la saison des plaisirs, 6+6 b
L’amour viendra regner sur ce peuple amphibie, 6+6 a
90 Le castor, peu semblable aux monstres de Lybie, 6+6 a
N’ira point, alté de combats et de sang, 6+6 b
Défier un rival et lui percer le flanc : 6+6 b
Aimé de sa compagne, il lui reste fidèle. 6+6 a
MAIS nous qui l’admirons, nous sert-il de modèle ? 6+6 a
95 Savons-nous comme lui, sans haîne, sans discords, 6+6 b
De l’ordre social respecter les accords ? 6+6 b
Le seul helvétien lui ressemble peut-être. 6+6 a
Dans ses Alpes caché, libre et digne de l’être, 6+6 a
Ignorant notre luxe et nos folles erreurs, 6+6 b
100 Du sol qui le nourrit il aime les horreurs. 6+6 b
HELVÉTIQUES tribus, sur vos roches fameuses, 6+6 a
D’où tombent cent torrens en ondes écumeuses, 6+6 a
Heureux, qui maintenant, comme vous, à longs traits, 6+6 b
Goûte l’air frais et pur de vos vieilles forêts ! 6+6 b
105 Ah ! Tandis que sur nous le cancer règne encore, 6+6 a
Que sous un ciel d’airain le soleil nous dévore ; 6+6 a
Tandis que haletant, l’homme, ainsi que les fleurs, 6+6 b
Baisse un front accablé sous le faix des chaleurs, 6+6 b
Monts, chantés par Haller, recevez un poëte ! 6+6 a
110 ERRANT parmi ces rocs, imposante retraite, 6+6 a
Au front du Grindelval je m’élève, et je voi, 6+6 b
Dieux ! Quel pompeux spectacle étalé devant moi ! 6+6 b
Sous mes yeux enchantés, la nature rassemble 6+6 a
Tout ce qu’elle a d’horreurs et de beautés ensemble, 6+6 a
115 Dans un lointain qui fuit un monde entier s’étend. 6+6 b
EH ! Comment embrasser ce mêlange éclatant 6+6 b
De verdure, de fleurs, des moissons ondoyantes, 6+6 a
De paisibles ruisseaux, de cascades bruyantes, 6+6 a
De fontaines, de lacs, de fleuves, de torrens, 6+6 b
120 D’hommes et de troupeaux sur les plaines errans, 6+6 b
De forêts de sapins au lugubre feuillage, 6+6 a
De terreins éboulés, de rocs minés par l’âge 6+6 a
Pendans sur des vallons que le printems fleurit, 6+6 b
De côteaux escarpés où l’automne sourit, 6+6 b
125 D’abymes ténébreux, de cimes éclairées, 6+6 a
De nèges couronnant de brûlantes contrées, 6+6 a
Et de glaciers enfin, vaste et solide mer, 6+6 b
Où règne sur son trône un éternel hyver ? 6+6 b
LÀ, pressant à ses pieds les nuages humides, 6+6 a
130 Il hérisse les monts de hautes pyramides, 6+6 a
Dont le bleuâtre éclat, au soleil s’enflammant, 6+6 b
Change ces pics glacés en murs de diamant, 6+6 b
Là, viennent expirer tous les feux du solstice. 6+6 a
Envain l’astre du jour, embrasant l’écrevisse, 6+6 a
135 D’un déluge de flamme assiège ces déserts : 6+6 b
La masse inébranlable insulte au roi des airs. 6+6 b
Mais trop souvent la nège arrachée à leur cime 6+6 a
Roule en bloc bondissant, court d’abyme en abyme, 6+6 a
Gronde comme un tonnerre, et grossissant toujours 6+6 b
140 À travers les rochers fracassés dans son cours, 6+6 b
Tombe dans les vallons, s’y brise, et des campagnes 6+6 a
Remonte en brume épaisse au sommet des montagnes. 6+6 a
SI je quitte ces lieux, si je vole aux climats, 6+6 b
Que jamais n’ont blanchis la glace et les frimats, 6+6 b
145 À mes regards encor ce mois offre en spectacle 6+6 a
Le Nil, qui fuit sa rive et roule sans obstacle. 6+6 a
CE fleuve, qui long tems nous cela son berceau, 6+6 b
Échappé de Goyame en rapide ruisseau, 6+6 b
Du vaste Dambéa traverse le domaine. 6+6 a
150 Sous des isles sans nombre il recourbe, il promène 6+6 a
Ses flots purs, couronnés de lauriers toujours verds. 6+6 b
Bientôt devenu roi de vingt fleuves divers, 6+6 b
Entrnant avec lui leurs ondes tributaires, 6+6 a
Par de puissans états, par des lieux solitaires, 6+6 a
155 Aux bornes de Nubie il court impétueux. 6+6 b
Envain pour le dompter, mille rocs tortueux 6+6 b
Du sauvage mosho hérissent la contrée, 6+6 a
Et remparts de l’Égypte, en défendent l’entrée ; 6+6 a
De ses flots mutinés que l’écume blanchit, 6+6 b
160 Le Nil couvre ces monts, s’enlève et les franchit ; 6+6 b
Il tombe : les échos, dans les rocs qu’il inonde, 6+6 a
Répètent longuement le fracas de son onde. 6+6 a
MAIS qu’il roule d’un cours plus bruyant et plus fier, 6+6 b
Aujourd’hui qu’éta comme une vaste mer, 6+6 b
165 Il s’est enflé des eaux, dont l’humide tropique 6+6 a
Couvre depuis trois mois le sol éthiopique ! 6+6 a
Dans le calme annuel des vents étésiens, 6+6 b
En triomphe, il arrive aux bords égyptiens, 6+6 b
Y répand en grondant sa vague débordée ; 6+6 a
170 Tout nage : et cependant cette Égypte inondée 6+6 a
Rend grâces par des jeux, des festins et des chants 6+6 b
Au fleuve nourricier égaré dans ses champs. 6+6 b
Pour elle, un mois entier n’est qu’une longue fête. 6+6 a
QU’UN destin différent pour l’Europe s’apprête ! 6+6 a
175 Ils approchent les jours, où nos sillons dorés 6+6 b
Verront les moissonneurs du midi dévorés 6+6 b
Se noircir à ses feux, et d’une main lassée 6+6 a
À peine soulever la faucille émoussée : 6+6 a
Ils vont pousser encor des soupirs douloureux, 6+6 b
180 En recueillant des fruits qui ne sont pas pour eux. 6+6 b
AH ! Du moins, si des loix dignes des tems antiques, 6+6 a
Par quelque fête aimable, aux fatigues rustiques 6+6 a
Encourageoient ce peuple, et lui rendoient plus doux 6+6 b
Les pénibles labeurs qu’il dévore pour nous : 6+6 b
185 Mais pourvu que les fruits de son humble héritage 6+6 a
Du trône et de l’autel grossissent le partage ; 6+6 a
Qu’importe qu’au travail il vive condamné ! 6+6 b
Pour gter le bonheur le peuple est-il donc né ? 6+6 b
COMBIEN l’antiquité, politique plus sage, 6+6 a
190 Du suprême pouvoir fit un plus noble usage ! 6+6 a
Pour mieux enchner l’homme à ses champs paternels, 6+6 b
Par un culte riant, par des jeux solemnels, 6+6 b
Elle eut soin d’embellir le cercle de l’année. 6+6 a
Près des eaux, sous un bois, de festons couronnée, 6+6 a
195 La foule des colons chantoit les immortels, 6+6 b
Et trouvoit le plaisir jusqu’aux piés des autels. 6+6 b
La danse, les concerts, un aimable tumulte, 6+6 a
Les jeux, le tendre amour se mêloient à ce culte : 6+6 a
L’homme, alors rani par des jours de repos, 6+6 b
200 En aimoit plus ses bois, ses champs et ses troupeaux. 6+6 b
VOYEZ Rome agricole, et cependant guerrière. 6+6 a
Avant que le cancer, au bout de sa carrière, 6+6 a
Lui donnât en fuyant le signal des moissons, 6+6 b
Aux sons du chalumeau mariés aux chansons, 6+6 b
205 Elle ouvroit pour son peuple une fête champêtre. 6+6 a
Le vorace animal, que le chêne voit paître, 6+6 a
Autour des blés, trois fois en pompe promené, 6+6 b
De folâtres danseurs marchoit environné. 6+6 b
Sur l’autel de Cérès, serpentoit en guirlandes 6+6 a
210 Le feuillage du chêne ; et de douces offrandes, 6+6 a
Du miel, du vin, du lait ensemble confondus 6+6 b
Exhaloient leurs parfums, à longs flots répandus. 6+6 b
La victime expiroit. Sous la verte feuillée, 6+6 a
La nuit parmi les jeux retrouvoit l’assemblée ; 6+6 a
215 Et quand le roi du jour lançoit de nouveaux traits, 6+6 b
Ils couroient plus joyeux moissonner leurs guérets. 6+6 b
POUR nous, à qui les mois plus lentement préparent 6+6 a
Les ondoyans trésors dont nos rives se parent, 6+6 a
Avant que du lion s’irritent les chaleurs, 6+6 b
220 Dépouillons de son miel le peuple amant des fleurs. 6+6 b
Mais gardons d’imiter ce maître inéxorable, 6+6 a
Qui, dans l’ombre des nuits aux crimes favorable, 6+6 a
Enflamme sous la ruche un bucher sulphureux. 6+6 b
Le repos, le sommeil sur cet asyle heureux 6+6 b
225 Regnoit ; et tout-à-coup la vapeur dévorante 6+6 a
S’élève à flots pressés dans la ruche odorante, 6+6 a
S’élargit, et frappant de son venin jaloux 6+6 b
L’abeille, accoutumée à des parfums plus doux, 6+6 b
Arrache à leurs palais et le peuple et la reine, 6+6 a
230 Déjà mourans d’ivresse et couchés sur l’arène. 6+6 a
C’EN est trop : et s’il faut que les cruels humains 6+6 b
Signalent par le sang le pouvoir de leurs mains, 6+6 b
Aujourd’hui, vers les bords où l’Europe commence, 6+6 a
Le commerce leur ouvre une carrière immense. 6+6 a
235 Qu’ils volent à travers une mer de glaçons 6+6 b
Combattre et déchirer les monstrueux poissons, 6+6 b
Que l’océan du nord voit bondir sur son onde. 6+6 a
CES monstres, relegués aux limites du monde, 6+6 a
À peine ont découvert à l’œil des matelots 6+6 b
240 La masse de leurs corps allongés sur les flots, 6+6 b
Que s’élançant vers eux sur un bateau fragile, 6+6 a
L’intrepide nocher vogue d’un cours agile, 6+6 a
Se place sur la poupe, et d’un bras assu 6+6 b
Au monstre plus voisin pousse un dard acéré. 6+6 b
245 Le féroce animal, que la rage transporte, 6+6 a
Pousse un long meuglement ; il s’échappe, il emporte 6+6 a
Avec lui sous les flots le trait qui l’a percé : 6+6 b
L’onde fume du sang de la plaie élancé. 6+6 b
EN vain pour échapper au fer qui le tourmente, 6+6 a
250 Il remonte à grand bruit sur la vague écumante ; 6+6 a
Envain pour respirer, par ses doubles évents, 6+6 b
Il vomit l’onde amère et repousse les vents 6+6 b
La baleine, et de force et de sang épuisée, 6+6 a
Livre à ses ennemis une conquête aisée. 6+6 a
255 Les barbares, en foule autour d’elle assemblés, 6+6 b
Lui déchirent les flancs de harpons redoublés. 6+6 b
Elle meurt. Acharnés sur ce monstre sauvage, 6+6 a
Par des chaînes de fer on le traîne au rivage : 6+6 a
Tout mort qu’il est, sa vue inspire encor l’horreur. 6+6 b
260 Tel étoit ce python, qui, gonflé de fureur, 6+6 b
Rouloit son vaste corps dans la fange croupie, 6+6 a
Quand l’onde vengeresse eût noyé l’homme impie. 6+6 a
VOUS cependant, nochers, dont ces reines des eaux 6+6 b
Ont d’une proie immense enrichi les vaisseaux, 6+6 b
265 Revenez, hâtez-vous ; craignez que la gelée 6+6 a
Ne hérisse la mer de glace emmoncelée. 6+6 a
Le midi vous rappelle ; il attend que vos mâts 6+6 b
Lui portent les trésors des sauvages climats. 6+6 b
MAIS ces fanons grossiers, qui retiendroient captive 6+6 a
270 Et l’aimable jeunesse et l’enfance plaintive ; 6+6 a
Ah ! Rendez à la mer ce butin malheureux : 6+6 b
Nous n’avons su que trop, par un art désastreux, 6+6 b
En former des prisons, où notre extravagance 6+6 a
D’une taille naissante enchnoit l’élégance. 6+6 a
275 Barbares ennemis de nos propres enfans, 6+6 b
Ainsi nous attristions l’aurore de leurs ans. 6+6 b
Pouvoient-ils déployer dans leurs dures entraves 6+6 a
Cet aimable gté, qui fuit loin des esclaves ? 6+6 a
Insensés ! Nous pensions leur prêter des appas ; 6+6 b
280 Et pour les embellir, nous hâtions leur trépas. 6+6 b
ENFIN Rousseau parut. Il vit la tendre enfance 6+6 a
Malheureuse, opprimée ; il en prit la défense : 6+6 a
À son antique chaîne il l’arrache à jamais. 6+6 b
Enfans, rendez-lui grâce ; et vous, qui désormais 6+6 b
285 Verrez en liberté vos jeunes charmes craître, 6+6 a
Belles, pardonnez-lui, si trop sage peut-être 6+6 a
Il borna votre gloire, et d’une austère main, 6+6 b
De la célébri vous ferma le chemin. 6+6 b
Cent exemples fameux, répétés d’âge en âge, 6+6 a
290 Vous servent contre lui d’éloquent témoignage. 6+6 a
Eh ! Quels arts par vos mains ne furent embellis ? 6+6 b
Quels lauriers, quels honneurs n’avez-vous point cueillis ? 6+6 b
La valeur même encor ajoute à vos conquêtes ; 6+6 a
Et Mars a pour Vénus des palmes toujours prêtes. 6+6 a
295 Oui, j’en atteste ici tout l’empire français ; 6+6 b
Beauvais, Beauvais sur-tout sauvé par vos succès. 6+6 b
Muse, qui des héros éternises l’histoire, 6+6 a
Viens, et monte ma voix au ton de la victoire. 6+6 a
LOUIS régnoit. Vassal infidèle à son roi, 6+6 b
300 Charles, dont le nom seul réveille encor l’effroi, 6+6 b
De Beauvais investi foudroyoit les murailles. 6+6 a
À ses fiers bourguignons nourris dans les batailles, 6+6 a
Vers les ramparts fumans, déjà l’échelle en main, 6+6 b
Sur les morts entassés Charle ouvroit un chemin. 6+6 b
305 Le peuple et le soldat, tout fuyoit. Une femme 6+6 a
S’élance ; et d’une voix que la colère enflamme : 6+6 a
« N’avez vous plus de roi ? N’avez vous plus d’enfans, 6+6 b
» Lâches ? Eh bien ! Fuyez : seule, je les défends. » 6+6 b
Hachette, c’est le nom de la jeune héroïne, 6+6 a
310 Dit et marche. À sa voix une chaleur divine 6+6 a
Ranime tous les cœurs ; mais trois fois ramenés, 6+6 b
Trois fois les citoyens reculent consternés. 6+6 b
ET dans le même instant, aux yeux de la guerrière, 6+6 a
Des femmes, qui d’un temple ont franchi la barrière, 6+6 a
315 Cachent dans les tombeaux, cachent sous les autels 6+6 b
Leurs fils, qui s’attachoient à leurs bras maternels : 6+6 b
« Quoi ! Vous pouvez combattre, et vous versez des larmes ! 6+6 a
» Laissez à vos maris la peur et les allarmes, 6+6 a
» Marchons ; et les forçant à rougir devant nous, 6+6 b
320 » Soyez hommes pour eux, s’ils sont femmes pour vous. » 6+6 b
Lorsque dans les forêts une meute aboyante, 6+6 a
De la trompe et du cor entend la voix bruyante, 6+6 a
Rapide elle s’élance, et s’élevant par bonds, 6+6 b
Du cerf épouvan suit les pas vagabonds ; 6+6 b
325 Tel d’audace brûlant vole un sexe timide : 6+6 a
Il marche aux ennemis en colonne intrépide, 6+6 a
Et la pique à la main, Hachette le conduit. 6+6 b
Du nouveau bataillon le spectacle et le bruit 6+6 b
Ébranlent l’assaillant : il recule, il s’étonne. 6+6 a
330 PLANTÉ sur un creneau, d’où le salpêtre tonne, 6+6 a
Dans la soie et l’azur de ses replis mouvans, 6+6 b
L’étendard de Bourgogne emprisonnoit les vents ; 6+6 b
Charles, déjà vainqueur, le couvroit de sa lance : 6+6 a
Hachette voit l’enseigne ; elle vole, s’élance, 6+6 a
335 Du prince cuirassé brave et trompe le dard : 6+6 b
Le bras de l’Amazone enlève l’étendard. 6+6 b
Privé de tous les siens, dont il pleure la chûte, 6+6 a
Charles seul, sans épée, à tous les traits en butte, 6+6 a
Charles fuit ; et les murs, à jamais raffermis, 6+6 b
340 Reposent triomphans sous l’ombrage des lys. 6+6 b
D’HACHETTE et de son nom garde bien la mémoire, 6+6 a
France ! Et si dans Beauvais, encor plein de sa gloire, 6+6 a
Moi, qui jeune aux autels formant un doux lien, 6+6 b
Viens à ce nom sacré d’associer le mien, 6+6 b
345 Oh ! Si je porte un jour mon filial hommage, 6+6 a
Entretiens-moi d’Hachette, offre-moi son image, 6+6 a
Que j’y puisse attacher mon œil religieux, 6+6 b
Et couronner de fleurs ce front victorieux ! 6+6 b
QUELLES fleurs toutefois offrir à sa statue, 6+6 a
350 Aujourd’hui que pleurant sa vigueur abattue, 6+6 a
La terre voit regner aux célestes lambris 6+6 b
Le lion de Némée et le chien de Procris ? 6+6 b
Ministres de l’été, leur souffle décolore 6+6 a
L’émail, qu’en nos jardins le printems fit éclore ; 6+6 a
355 Sur ses bras tortueux languissamment penché, 6+6 b
Le triste chèvre-feuille expire desséché ; 6+6 b
Le pavot à ses piés voit tomber sa couronne ; 6+6 a
Le panache azu dont l’iris s’environne, 6+6 a
Effeuillé par les vents, flotte dans les bosquets, 6+6 b
360 Le lilas tout honteux, cherche envain ses bouquets ; 6+6 b
De l’amoureux pastour la parure est flétrie ; 6+6 a
Le gazon pâlissant languit dans la prairie ; 6+6 a
Et jusqu’au fond des bois les chênes, les ormeaux 6+6 b
D’un feuillage moins verd ont bruni leurs rameaux. 6+6 b
365 SOUS les feux que vomit l’ardente canicule, 6+6 a
Le fleuve resserré plus lentement circule. 6+6 a
Ô surprise ! à l’aspect d’un si foible ruisseau, 6+6 b
Le voyageur s’arrête, et le croit au berceau. 6+6 b
Son œil demande envain aux canaux solitaires 6+6 a
370 Ces mouvantes forêts, ces barques tributaires, 6+6 a
Qui, voguant aux cités, leur portoient tour-à-tour 6+6 b
Et les trésors d’Olinde et les fruits d’alentour. 6+6 b
Ces magasins flottans des régions fertiles 6+6 a
Sur l’arène des ports languissent inutiles ; 6+6 a
375 Et près d’eux, le nocher, à regret spectateur, 6+6 b
De l’onde paresseuse accuse la lenteur. 6+6 b
La campagne brûlante et poudreuse et déserte 6+6 a
Offre de toutes parts sa surface entr’ouverte. 6+6 a
L’homme le plus robuste a perdu sa vigueur ; 6+6 b
380 Le génie épui s’endort dans la langueur, 6+6 b
Et les enfans du Pinde, à chanter inhabiles, 6+6 a
Sentent leur lyre d’or fuir de leurs mains débiles. 6+6 a
MAIS que dis-je ! Ah ! Je puis, aux traits brûlans du jour, 6+6 b
Opposer des forêts le paisible séjour, 6+6 b
385 Jardins majestueux qu’a plantés la nature, 6+6 a
Et dont l’antique honneur rajeunit sans culture, 6+6 a
Ô forêts ! Ouvrez-moi vos sentiers tournoyans ; 6+6 b
Courbez-vous sur ma tête en dômes verdoyans : 6+6 b
Plongé sous votre ombrage aux sources du délire, 6+6 a
390 Je vais encor, je vais faire entendre ma lyre. 6+6 a
CIEL ! Sous leurs pavillons j’entre à peine ; et dans moi 6+6 b
Leur ténébreux lointain imprime un saint effroi : 6+6 b
Dans ce désert muet lentement je m’avance, 6+6 a
Et je crois habiter le palais du silence. 6+6 a
395 Qu’aisément aujourd’hui je pardonne à l’erreur, 6+6 b
Qui, frappant nos yeuxayeux d’une secrette horreur, 6+6 b
Pour eux, changeoit les bois en vénérable enceinte, 6+6 a
Que les dieux remplissoient de leur majesté sainte ! 6+6 a
Eh ! N’éprouvons-nous point sous ces portiques verds 6+6 b
400 Qu’on croit sentir la main qui régit l’univers, 6+6 b
Que nos jeunes pensers en raison se transforment, 6+6 a
Et que nos passions se taisent et s’endorment ? 6+6 a
LE seul amour y veille. Oui, c’est dans les forêts 6+6 b
Qu’à notre ame attentive il parle de plus près. 6+6 b
405 C’est-là que dans le sein d’une belle ingénue, 6+6 a
Un trouble intéressant par degrés s’insinue ; 6+6 a
Que son œil affoibli craint les rayons du jour, 6+6 b
Et que sa voix expîre en longs soupirs d’amour. 6+6 b
VOUS, esclaves flétris et des cours et des villes, 6+6 a
410 Qui prodiguez votre ame à des mtresses viles, 6+6 a
Vous croyez être amans ? Non, vous ne l’êtes pas. 6+6 b
Des palais, où Phry vous vendit ses appas, 6+6 b
Le véritable amour et s’indigne et s’exile ; 6+6 a
Enfant de la nature, il en cherche l’asyle. 6+6 a
415 L’amour aime des bois les dédales épais, 6+6 b
S’enfonce dans leur ombre, et s’y nourrit en paix. 6+6 b
DANS les forêts encor, les rois de l’harmonie 6+6 a
Assis ou vagabonds retrouvent le génie. 6+6 a
Là, s’égaroit Orphée, en modulant ces airs, 6+6 b
420 Par qui fut attendri le rocher des déserts ; 6+6 b
Là, d’Achille et d’Hector le chantre vénérable, 6+6 a
Ainsi que leurs exploits, rendit son nom durable ; 6+6 a
Là, prenant tour-à-tour la lyre et les pipeaux, 6+6 b
Virgile célébroit les rois et les troupeaux. 6+6 b
425 AIMABLES enchanteurs, nos guides et nos maîtres, 6+6 a
Jadis je ne pouvois, comme vous, sous des hêtres, 6+6 a
Tromper la canicule et défier ses traits. 6+6 b
Malgré moi-même, hélas ! Exilé des forêts, 6+6 b
Malgré moi, je vivois enchné dans les villes : 6+6 a
430 J’y voyois le démon des discordes civiles, 6+6 a
Dans le palais des rois, triompher impuni, 6+6 b
Et toujours aux vertus le malheur réuni. 6+6 b
Souvent je m’écriois ? « ô ciel ! Quand la fortune 6+6 a
» Voudra-t-elle adoucir sa rigueur importune ? 6+6 a
435 » Ah ! Si je puis trouver un terme à ses refus, 6+6 b
» Vous me verrez alors sous vos dômes touffus, 6+6 b
» Verdoyantes forêts ! Et vous, claires fontaines, 6+6 a
» Qui coupez en fuyant leurs routes incertaines, 6+6 a
» Sur vos gazons mousseux j’irai me reposer ! 6+6 b
440 » Les amours et leur sœur m’y viendront courtiser. 6+6 b
» D’un long et doux sommeil j’y gterai l’ivresse ; 6+6 a
» Et lorsque m’arrachant à sa molle paresse, 6+6 a
» Je voudrai des saisons célébrer les bienfaits, 6+6 b
» Ou chanter des héros l’audace et les hauts-faits, 6+6 b
445 » Je n’y trouverai point les muses indociles, 6+6 a
» Et mes vers couleront plus doux et plus faciles. » 6+6 a
AINSI, d’un doux repos mes desirs envieux 6+6 b
Chaque jour sans relâche importunoient les dieux ; 6+6 b
Mais l’oreille des dieux obstinément fermée 6+6 a
450 Laissoit mes vœux perdus s’exhâler en fumée : 6+6 a
Hélas ! Déjà pour moi n’existoient plus les champs. 6+6 b
LE ciel m’exauce enfin. Noble appui de mes chants, 6+6 b
L’ami du laboureur et des fils d’Uranie 6+6 a
Au calme des forêts a rendu mon génie ; 6+6 a
455 Sa main vient de m’ouvrir les routes du bonheur. 6+6 b
Oh ! Si je puis un jour y rencontrer l’honneur, 6+6 b
Si je puis mériter que le Pinde m’avoue, 6+6 a
Et m’orne des lauriers du chantre de Mantoue, 6+6 a
J’irai, tout rayonnant d’une noble fierté, 6+6 b
460 Les offrir à l’auteur de ma félicité ; 6+6 b
Et lui montrant l’envie à ses pieds étouffée, 6+6 a
À sa vertu modeste ériger un trophée. 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
logo du CRISCO logo de l'université