Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
ROS_1/ROS8
Edmond ROSTAND
LES MUSARDISES
1887-1893
I
LA CHAMBRE D'ÉTUDIANT
VIII
LE VIEUX PION
… Le voyans au dehors, et l'estimans par l'extérieure apparence,
n'en eussiez donné un coupeau d'oignon, tant laid il était de corps
et ridicule en son maintien… Mais ouvrant cette boite eussiez au
dedans trouvé une céleste et impréciable drogue…
RABELAIS.
Vieux pion qu'on raillait,ô si doux philosophe 6+6 a
Aux coudes rapiécés,pauvre être marmiteux 6+6 b
Dont l'étroit paletot,d'une luisante étoffe, 6+6 a
Disait un long passéd'hivers calamiteux, 6+6 b
5 Je te revois. Ton crâneavait une houppette, 6+6 a
Une seule, au milieu,de poils, — et tu louchais. 6+6 b
Et longuement, avecun fracas de trompette, 6+6 a
Dans un mouchoir à grandscarreaux tu te mouchais. 6+6 b
Je te revois, dans lepréau, sous les arcades, 6−6 a
10 Grave, déambuler', et j'ai la vision 6+6 b
De ton accoutrementpendant ces promenades 6+6 a
tu marchais au flancde ma division ; 6+6 b
De ta longue, oh ! si longueet noire redingote, 6+6 a
Dans laquelle plus d'unavait déjà sué ; 6+6 b
15 De ton chapeau gibusbon pour mettre à la hotte, 6+6 a
Si fantastiquementbleuâtre et bossué ! 6+6 b
Ton haleine odoraitle vin et la bouffarde, 6+6 a
Et, quand tu paraissaisà l'étude du soir, 6+6 b
Souvent ton nez flambaitdans ta face blafarde, 6+6 a
20 Et c'est en titubantque tu venais t'asseoir. 6+6 b
Pochard mélancoliqueau crâne vénérable, 6+6 a
Parfois tu t'éveillais,quand tu cuvais ton vin, 6+6 b
Et, frappant un grand coupde règle sur la table, 6+6 a
Tu glapissais : « Messieurs,silence !… » Mais en vain. 6+6 b
25 Ou plutôt, tu dormais,sans souci des boulettes 6+6 a
Qu'on mâchait longuementpour l'envoyer au nez. 6+6 b
Et ton étude alorsmarchait sur des roulettes… 6+6 a
Plus de punitionsni de pensums donnés ! 6+6 b
On t'avait surnomméPif-Luisant. Les élèves 6+6 a
30 Charbonnaient ton profilgrotesque sur le mur. 6+6 b
Mais tu marchais toujourségaré dans tes rêves. 6+6 a
Tu ne souffrais de rien.Tu vivais dans l'azur. 6+6 b
Car tu faisais des vers.Tu rimais un poème ! 6+6 a
A nul autre que moitu ne l'as avoué. 6+6 b
35 — Comment donc avais-tu,lamentable bohème, 6+6 a
Au fond de ce collège,en province, échoué ? 6+6 b
Pif-Luisant, je t'aimais.Quelquefois je suis triste 6+6 a
En repensant à toi.Qu'es-tu donc devenu ? 6+6 b
C'est toi qui m'as préditque je serais artiste, 6+6 a
40 Et c'est toi le premierrimeur que j'ai connu. 6+6 b
Un jour, ayant trouvédes vers dans mon pupitre, 6+6 a
Tu fus pris d'une joieattendrie, et je vis 6+6 b
•Comme un rayonnementsur ta face de pitre, 6+6 a
Et tu me contemplaisavec des yeux ravis ! 6+6 b
45 Dès ce jour, tu m'aimas.Et tandis que les autres 6+6 a
Jouaient en criaillantaux barres, nous causions. 6+6 b
Les conversationsexquises que les nôtres ! 6+6 a
Parfois tu m'expliquaisun peu mes versions. 6+6 b
Je crois que si j'ai faitvraiment ma rhétorique, 6+6 a
50 C'est sous les marronniers,en t'écoutant parler. 6+6 b
Tu commentais, dans tonlangage poétique, 6−6 a
Homère, — et je voyaisla grande mer s'enfler, 6+6 b
Les galères en ligneavec leurs belles proues, 6+6 a
Et les cnémides d'ordes Grecs étincelants, 6+6 b
55 Et je voyais passer,le rose sur les joues, 6+6 a
La merveille de grâce,Hélène, à pas très lents ! 6+6 b
Quelquefois tu prenaisVirgile, ou bien Tibulle : 6+6 a
J'entendais, sous les vertsfeuillages, les pipeaux, 6+6 b
Les clochettes dont lachanson tintinnabule 6−6 a
60 Dans les lointains du soir,quand rentrent les troupeaux. 6+6 b
Et puis, c'était Ovideet ses métamorphoses, 6+6 a
Cycnus qui, duvetéde neige, est fait oiseau, 6+6 b
Daphné qui fuit, montrantses talons nus et roses, 6+6 a
Syringe qui se changeen flexible roseau, 6+6 b
65 En roseau chuchoteuret qui devient lui-même 6+6 a
Une flûte à six trousentre les doigts de Pan, 6+6 b
Io, génisse blancheet que Jupiter aime, 6+6 a
Les yeux d'Argus seméssur les plumes du paon ! 6+6 b
Merci, vieux, qui, plus jeuneencor, malgré ton asthme, 6+6 a
70 Que le gandin pédantdont nous suivions les cours, 6+6 b
Fus l'éveilleur de monpremier enthousiasme, 6−6 a
Me refaisant la classe,en plein air, dans les cours ! 6+6 b
Merci, toi qui me misde beaux rêves en tête, 6+6 a
Toi dont la main furtive,au dortoir, me glissait 6+6 b
75 Les livres défendusde plus d'un grand poète, 6+6 a
O toi qui m'as fait lireen cachette Musset ! 6+6 b
Souvent, le professeur,corrigeant ma copie, 6+6 a
Dans un discours françaistrouvait, en suffoquant, 6+6 b
Quelque insulte à Boileauqui lui semblait impie, 6+6 a
80 Quelque néologismehorriblement choquant ; 6+6 b
Il pâlissait de monaudace épouvantable, 6−6 a
Comme s'il s'attendaità voir crouler le toit… 6+6 b
Mais il ne s'est jamaisdouté que le coupable, 6+6 a
Mon affreux corrupteur,Pif-Luisant, c'était toi ! 6+6 b
85 Oui, si je fus poussévers quelque plus moderne 6+6 a
Irrégularité,celui qui me poussa 6+6 b
Fut ce pion crasseuxqu'on traitait de baderne. 6+6 a
Diogène poussifet Silène poussah ! 6+6 b
O bohème déchudont le sort fut si rude, 6+6 a
90 Es-tu du grand sommeilsous la terre endormi, 6+6 b
Ou bien fais-tu toujours,là-bas, ta triste étude, 6+6 a
Et liras-tu ces versde ton petit ami ? 6+6 b
Grand poète incompris,ivrogne de génie, 6+6 a
Toi qui me prédisaisun si bel avenir, 6+6 b
95 Tu fus mon mtre vrai.Loin que je te renie, 6+6 a
Aujourd'hui j'ai vouluchanter ton souvenir. 6+6 b
Et si la mort t'a pris,ce qui vaut mieux peut-être, 6+6 a
Car tu ne souffres plusni faim, ni froid cuisant, 6+6 b
Dors tranquille, mon vieux,repose-toi, pauvre être, 6+6 a
100 Toi que j'ai tant aimédoux pochard… Pif-Luisant ! 6+6 b
mètre profil métrique : 6−6
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