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F = "e" féminin
| = césure
ROS_1/ROS38
Edmond ROSTAND
LES MUSARDISES
1887-1893
III
LA MAISON DES PYRÉNÉES
III
L'EAU
Luchon, ville des eaux courantes, 8 a
Où mon enfance avait son toit, 8 b
L'amour des choses transparentes 8 a
Me vient évidemment de toi ! 8 b
5 Ton nom seul, plein de bulles blanches, 8 a
Fait pour moi des ruisseaux couler 8 b
Sous des passerelles de planches 8 a
Que mon pied soudain sent trembler ! 8 b
Où voit-on les bergeronnettes, 8 a
10 Qui s'y connaissent en ruisseaux, 8 b
Longer plus d'eaux vives et nettes 8 a
Sous de plus verdoyants arceaux ? 8 b
Où la neige daignerait-elle 8 a
Descendre ainsi du pic sacré 8 b
15 Pour former une cascatelle 8 a
Dès qu'un passant est altéré ? 8 b
Où voit-on s'offrir une vasque 8 a
A chaque tournant de chemin 8 b
Pour qu'on puisse tenir Vénasque 8 a
20 Dans le creux glacé de sa main ? 8 b
Ce Vénasque au chapeau de brume 8 a
Ne cesse pas de faire au val 8 b
Des générosités d'écume 8 a
Et des largesses de cristal ! 8 b
25 Prodigue sûr de ses ressources 8 a
Et que la pelouse bénit, 8 b
Le mont jette l'argent des sources 8 a
Par les fenêtres de granit ! 8 b
Il veut, formidable Mécène 8 a
30 Qui sait que l'eau fait toujours bien, 8 b
Subvenir à la mise en scène 8 a
De ce décor virgilien. 8 b
Dans l'herbe, au fond du précipice, 8 a
Caressant ou rongeant le bord, 8 b
35 Partout l'eau sourd, l'eau court, l'eau glisse, 8 a
L'eau fuit, l'eau bout, l'eau rit, l'eau dort ! 8 b
L'eau brille dans ta robe grise 8 a
Comme des glaives et des socs, 8 b
Montagne auguste dont Moïse 8 a
40 Semble avoir frappé tous les rocs ! 8 b
Quand l'eau Semble absente, un bruit tendre 8 a
Nous avise qu'elle est tout près. 8 b
Et quand on ne peut pas l'entendre, 8 a
On la sent dans l'odeur des prés. 8 b
45 O sentiers ! ô ruisseaux sans nombre 8 a
L'un à l'autre se mélangeant ! 8 b
Les sentiers sont des ruisseaux d'ombre, 8 a
Les ruisseaux des sentiers d'argent ! 8 b
A travers d'obliques ondées, 8 a
50 L'Aurore, dans un bleu frisson, 8 b
Voit les collines accoudées 8 a
Comme des nymphes qu'elles sont ! 8 b
Sur leurs épaules incarnates 8 a
Des torrents glissent, éperdus ! 8 b
55 Et ces éblouissantes nattes 8 a
Sont faites de ruisseaux tordus ! 8 b
De l'eau partout ! Quand la rivière 8 a
Déborde, — histoire de pouvoir 8 b
Laisser autour de la chaumière 8 a
60 Des petits morceaux de miroir, — 8 b
Les champs ont du ciel dans leurs barbes 8 a
Comme un vieil homme a des yeux bleus ! 8 b
Et vous savez, chevaux de Tarbes 8 a
Qui broutez les prés onduleux, 8 b
65 Combien de ces flaques dormantes 8 a
Il faut savoir franchir d'un bond 8 b
Lorsqu'on galope sur les menthes, 8 a
Dont l'écrasement sent si bon ! 8 b
Quelle terre ne serait sèche 8 a
70 Auprès de cette terre ? Ah ! si 8 b
L'on vivait d'amour et d'eau fraîche, 8 a
Ce ne pourrait être qu'ici ! 8 b
Et des fontaines ! des fontaines ! 8 a
Y en a-t-il !… Il y en a 8 b
75 Pour toutes les Samaritaines 8 a
Et pour toutes les Rébecca ! 8 b
Partout de l'eau ! Toujours des gouttes 8 a
Aux sandales des vagabonds ! 8 b
Tant d'eau partout que, pour les routes, 8 a
80 Il faut, partout, des ponts, des ponts ! 8 b
Voûtés comme de bons esclaves, 8 a
Les ponts, joyeux de leurs fardeaux, 8 b
Pour leur faire passer les gaves 8 a
Prennent les routes sur leurs dos ! 8 b
85 Et les routes d'or, qui s'amusent 8 a
De voir les ponts plonger aux flots 8 b
Leurs grands pieds de pierre qui s'usent, 8 a
Ont de longs rires de grelots ! 8 b
A l'heure où sortent les bréviaires, 8 a
90 Le crépuscule rend divins 8 b
Ces paysages de rivières, 8 a
D'arches, de pics et de ravins. 8 b
Et toute cette eau, source ou gave, 8 a
Sur le roc ou sous les cressons, 8 b
95 Voix joyeuse ou silence grave, 8 a
Nous instruit en fraîches leçons. 8 b
Ah ! quelle leçon vaudrait-elle 8 a
Cette claire leçon d'amour 8 b
Que donne la neige éternelle 8 a
100 En pensant aux ruisseaux d'un jour ? 8 b
Où s'apprend la persévérance ? 8 a
C'est au catéchisme de l'Eau 8 b
Qui, sous des airs d'indifférence, 8 a
Songe toujours à son niveau. 8 b
105 Contre la force ou le sarcasme, 8 a
L'Eau, noble et fine, nous apprend, 8 b
En bouillonnant, l'enthousiasme, 8 a
Et la patience, en filtrant ! 8 b
Ses conseils n'ont rien de scolaire, 8 a
110 Car elle enseigne, en ses ruisseaux, 8 b
L'utilité de la colère, 8 a
Des belles chutes, et des sauts ! 8 b
Elle murmure avec tendresse 8 a
— Car elle veut que nous rêvions — 8 b
115 Que bien souvent une paresse 8 a
Peut laisser des alluvions ! 8 b
On sait tout lorsque l'on assiste 8 a
Aux cours délicieux de l'Eau : 8 b
Sous la fougère et sous le ciste 8 a
120 Elle explique, en passant, le Beau, 8 b
Prodiguant l'exemple qui frappe, 8 a
Elle prouve aussi bien qu'il est 8 b
Dans l'abondance d'une nappe 8 a
Que dans la grâce d'un filet. 8 b
125 La dignité, cet esclavage, 8 a
Ne rend jamais son flot boudeur ; 8 b
On ne connaît pas le rivage 8 a
Où l'attachera sa grandeur ! 8 b
Son orgueil n'a pas la folie 8 a
130 De se priver des jeux charmants. 8 b
Ah ! comme elle aime qu'on oublie 8 a
Qu'elle est un des quatre éléments ! 8 b
Quand de sa crue on s'inquiète, 8 a
Elle se pique de vermeil, 8 b
135 Ne dédaignant pas la paillette 8 a
Qu'elle sait être du soleil. 8 b
C'est par l'Eau que les blanches cimes 8 a
Se racontent aux peupliers : 8 b
Car les glaciers les plus sublimes 8 a
140 Parlent en ruisseaux familiers. 8 b
Eh quoi ! l'Eau ? la sœur de la Terre ? 8 a
L'Eau qui féconde ? la grande Eau ? 8 b
L'Eau qui lave et qui désaltère 8 a
Daigne jouer sous ce rideau ? 8 b
145 Elle joue avec l'écrevisse, 8 a
Avec le saule… Et, tout d'un coup, 8 b
Elle va se mettre en service, 8 a
Elle qui peut inonder tout ! 8 b
Elle coulait, large et futile, 8 a
150 Sous les terrasses du château, 8 b
Et puis un besoin d'être utile 8 a
L'a prise brusquement, cette eau ! 8 b
Lâchant la pompe fluviale, 8 a
Elle file, d'un air malin, 8 b
155 Dans la rigole triviale 8 a
Que lui propose le moulin ! 8 b
Elle s'échappe des palettes, 8 a
Et, bravement, voulant avoir 8 b
De grosses bulles violettes, 8 a
160 Elle va mousser au lavoir ; 8 b
Elle entre, avec un bruit de foudre, 8 a
Dans une scierie aux longs toits, 8 b
Pour y mêler sa,blanche poudre 8 a
A la poudre blonde du bois ; 8 b
165 Et quand on a dépecé l'arbre, 8 a
Elle va, toujours s'échappant, 8 b
S'embaucher pour scier du marbre 8 a
Chez un marbrier de Campan ! 8 b
Elle a ses gaîtés les meilleures 8 a
170 Dans le travail et dans le bruit… 8 b
L'Eau divine a fait ses huit heures 8 a
Quand commence à tomber la nuit ! 8 b
Le clair de lune y met sa traîne… 8 a
Le bétail y met ses naseaux… 8 b
175 Soyez, belle Eau Pyrénéenne, 8 a
Bénie entre toutes les eaux ! 8 b
— Source calme ou torrent bravache, 8 a
L'Eau qui descend de la hauteur 8 b
Apprend tout ce qu'il faut qu'on sache 8 a
180 Pour être poète ou lutteur ! 8 b
L'Eau ne cesse pas, gave ou source, 8 a
D'apprendre à l'homme, à chaque instant, 8 b
Qu'on emporte — en prenant sa course, 8 a
Et qu'on reflète — en s'arrêtant ; 8 b
185 Mais que, malgré le flot qui rage, 8 a
L'arbre emporté d'un brusque effort, 8 b
O lutteur, devient un barrage 8 a
Lorsque le torrent n'est pas fort ; 8 b
Et que, malgré l'azur, poète, 8 a
190 Quand le ruisseau n'est pas profond, 8 b
À travers le ciel qu'il reflète 8 a
On peut voir la terre du fond ! 8 b
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