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| = césure
ROS_1/ROS18
Edmond ROSTAND
LES MUSARDISES
1887-1893
I
LA CHAMBRE D'ÉTUDIANT
XVIII
DEUX MAGASINS
I
JOUJOUX
A l'heure où s'ouvrent les écoles, 8 a
Oubliant les pensums, les colles 8 a
Et les leçons, 4 b
En riant, en jetant des billes, 8 c
5 On voit se bousculer les filles 8 c
Et les garçons ! 4 b
Poussant des cris épouvantables, 8 a
Ils courent avec leurs cartables 8 a
Mis en sautoir, 4 b
10 Leurs manches noires de lustrine, 8 c
Se grouper à chaque vitrine 8 c
Sur le trottoir. 4 b
Avant de gagner leurs demeures, 8 a
Ils regardent pendant des heures 8 a
15 Les beaux joujoux. 4 b
C'est leur plaisir, à ces mioches 8 c
Qui n'ont pas au fond de leurs poches 8 c
Des petits sous. 4 b
Ils regardent, les pauvres gosses, 8 a
20 Le Polichinelle à deux bosses 8 a
Qui coûte cher, 4 b
Les poupons en chaussons de laine, 8 c
Les bébés dont la porcelaine 8 c
Paraît en chair. 4 b
25 Ils comptent les ballons, les balles, 8 a
Par un clown jouant des cymbales 8 a
Très étonnés ; 4 b
Et ce sont des heures d'extase 8 c
Devant cette vitre où s'écrase 8 c
30 Leur petit nez. 4 b
Que c'est beau ! leurs sourcils s'écartent ! 8 a
Ce sont de vrais fusils, qui partent ! 8 a
De vrais fourneaux ! 4 b
De vrais outils de jardinage ! 8 c
35 Et les voitures d'arrosage 8 c
Ont des tonneaux ! 4 b
Sous des arbres dont les verdures 8 a
Sont faites avec des frisures 8 a
De copeaux verts, 4 b
40 Ils voient, bêtes et gens en marche, 8 c
Tout ce qui s'échappe de l'Arche 8 c
Aux toits ouverts ! 4 b
Ils regardent d'un regard tendre 8 a
Les filles de Noé leur tendre 8 a
45 Des petits bras ; 4 b
(Comme, au commencement du monde, 8 c
On avait une tête ronde, 8 c
Des chapeaux plats !) 4 b
L'Auvergnat sortant de sa boîte, 8 a
50 Les soldats de plomb dans l'ouate 8 a
S'emmitouflant, 4 b
La chèvre avec ses trois nœuds roses, 8 c
Ils regardent toutes ces choses 8 c
En reniflant. 4 b
55 Une dame dans la boutique 8 a
Fait marcher un ours mécanique 8 a
Sur le parquet. 4 b
Comme il marche ! — Une demoiselle 8 c
Entoure avec de la ficelle 8 c
60 Un grand paquet ! 4 b
Un Monsieur achète un théâtre 8 a
Où l'on peut, en or sur du plâtre, 8 a
Lire : OPÉRA. 4 b
Le Monsieur sort. La porte sonne. 8 c
65 Oh ! les beaux joujoux que personne 8 c
Ne leur paiera ! 4 b
Les fillettes aux mains crispées 8 a
Regardent surtout les poupées 8 a
Dans leur carton. 4 b
70 Hein, Sophie ? hein, Claire ? hein, Louise ? 8 c
En ont-elles de la chemise 8 c
Et du feston ! 4 b
Sont-elles riches, les mâtines ! 8 a
On leur enlève leurs bottines 8 a
75 Pour les coucher ! 4 b
Et celle en bleu, près de la Cible ! 8 c
Il ne sera jamais possible 8 c
De la toucher ! 4 b
Et celle avec sa robe Empire 8 a
80 Qui fait que tout leur cœur soupire : 8 a
« Oh ! je la veux ! » 4 b
Et cette autre avec sa dînette ! 8 c
(Leur grande sœur la midinette 8 c
A ces cheveux ! ) 4 b
85 Elles restent là, bouche ronde ! 8 a
Le ménage de cette blonde 8 a
Aux yeux trop grands 4 b
Dont l'écriteau dit qu' « elle nage » 8 c
Est mieux monté que le ménage 8 c
90 De leurs parents ! 4 b
Et les garçons, qu'est-ce qu'ils disent 8 a
Devant les sabres qui reluisent 8 a
Comme d'acier ? 4 b
Se peut-il qu'un enfant reçoive 8 c
95 De quoi tout d'un coup être zouave 8 c
Ou cuirassier ? 4 b
Oh ! les chevaux que l'on harnache ! 8 a
(Ils sont en vrai poil, qui s'arrache, 8 a
Que l'on te dit !) 4 b
100 Et le poussah sur une sphère, 8 c
Qui titube comme leur père 8 c
Le samedi ! 4 b
Hein, Gaston ? hein, Marcel ? hein, Charle ? 8 a
Quand viendra le jour dont on parle 8 a
105 A la maison, 4 b
Dont on parle en fumant des pipes, 8 c
Le jour où tous les pauvres types 8 c
Auront raison, 4 b
Pourra-t-on en être à tout âge ? 8 a
110 Lorsque viendra le grand partage 8 a
Des partageux, 4 b
Les mômes, moucherons, moustiques, 8 c
Entreront-ils dans les boutiques 8 c
Prendre les jeux ? 4 b
115 Il faut, si c'est de la justice, 8 a
Que tout, la petite bâtisse 8 a
En blocs de bois, 4 b
Le clown au pantalon trop large, 8 c
Le Grand Tir, le canon qu'on charge 8 c
120 Avec des pois, 4 b
Il faut que l'avaleur de boules, 8 d
Il faut que tout, les coqs, les poules, 8 d
Soit partagé ! 4 e
Le singe montrant ses gencives, 8 f
125 Et les couleurs « inoffensives » 8 f
èS. Gé. Dé. G.é ; 4 e
Tout : l'Anglais fumant son cigare, 8 a
Le chemin de fer avec gare, 8 a
Tunnels et ponts… 4 b
130 On prendra tous les jeux de quilles ! 8 c
On mettra dans les bras des filles 8 c
Tous les poupons ! 4 b
Le pain, ça manque. Oui, mais ça manque 8 a
Aussi, ce clown, ce saltimbanque, 8 a
135 Tous ces chiens fous, 4 b
Ce Polichinelle à deux bosses !… 8 c
Droit au pain, soit ! Et, pour les gosses, 8 c
Droit aux joujoux ! 4 b
Ainsi, sous la blouse ou le châle, 8 a
140 Pense, plus grand et déjà pâle, 8 a
Chaque moutard. 4 b
Ils restent dans le vent qui siffle. 8 c
Ce soir, tous vont, risquant la gifle, 8 c
Être en retard. 4 b
145 Ils en ont oublié qu'il gèle. 8 a
Ils ne battent plus la semelle ; 8 a
Mais, quelquefois, 4 b
Leur souffle ayant terni la glace, 8 c
Pour mieux voir ils essuient la place 8 c
150 Avec leurs doigts ! 4 b
II
FLEURS
Nous sommes les fleurs des fleuristes, 8 a
Nous sommes les fleurs des marchands, 8 b
Les petites fleurs qui sont tristes 8 a
De ne pas fleurir dans les champs ; 8 b
155 Nous sommes les fleurs printanières 8 a
Qui n'ont jamais vu lé printemps, 8 b
Et dont on fait des boutonnières 8 a
Pour des revers trop miroitants ; 8 b
Nous sommes cette rose noire 8 a
160 Et ce bleuet gros comme un chou 8 b
Pour qui les smokings, sous leur moire, 8 a
Ont un oblique caoutchouc ! 8 b
Nous sommes ces lilas superbes 8 a
Qui dans les boutiques, l'hiver, 8 b
165 Montent en monstrueuses gerbes 8 a
Coûtant monstrueusement cher ! 8 b
Nous sommes, parmi le vertige 8 a
Des jours de l'an nauséabonds, 8 b
Les pauvres fleurs que l'on oblige 8 a
170 A faire un métier de bonbons ! 8 b
Nous sommes les fleurs qu'on envoie 8 a
Dès qu'on a publié les bans, 8 b
Pour que la famille les voie 8 a
Dans des paniers à grands rubans ; 8 b
175 Nous sommes les fleurs où voltige 8 a
La libellule de carton ; 8 b
Nous tremblons trop sur notre tige, 8 a
Car notre tige est en laiton ! 8 b
Nous sommes les fleurs qui sur elles 8 a
180 N'ont qu'un papillon de papier 8 b
Offrant sur deux plateaux, ses ailes,' 8 a
L'adresse, en or, du boutiquier. 8 b
Pour nous la rosée est un mythe, 8 a
Malgré d'adroits contrefacteurs 8 b
185 Dont la ruse, sur nous, l'imite 8 a
Avec des vaporisateurs. 8 b
Nous sommes les fleurs sans abeilles 8 a
Qui trouvent, les trois jours bien longs 8 b
Où l'on fait vivre leurs corbeilles 8 a
190 Sur les pianos des salons ! 8 b
Nous voyons sur nous, parasites 8 a
Qui blessent nos feuillages verts, 8 b
Pousser des cartes de visites 8 a
Où parfois on écrit des vers ! 8 b
195 C'est nous qu'un pâle accessoiriste, 8 a
Après les six rappels du « trois », 8 b
Monte en hâte à la grande artiste 8 a
Par des escaliers trop étroits. 8 b
Nous sommes ces iris de nacre 8 a
200 Que les fleuristes de Paris 8 b
Savent envoyer dans un fiacre 8 a
Pendant l'absence des maris ! 8 b
Nous sommes ces héliotropes, 8 a
Ces glaïeuls forcés de fleurir 8 b
205 Qui portent dans des enveloppes 8 a
Le nom qu'on sait avant d'ouvrir ! 8 b
C'est nous la flore citadine 8 a
Qui, sous les capillaires fous, 8 b
Ne se penche, pendant qu'on dîne, 8 a
210 Qu'aux berges d'argent des surtouts ! 8 b
C'est nous la flore dont l'arôme 8 a
Toujours au pays flottera 8 b
Qui va de la Place Vendôme 8 a
A la Place de l'Opéra. 8 b
215 Les noms de cette étrange flore 8 a
Sont du botaniste inconnus : 8 b
Comment porter les noms encore 8 a
Des fleurs que nous ne sommes plus ? 8 b
Nous sommes désormais — Nature, 8 a
220 Ne ris pas de ces noms de fleurs ! — 8 b
Le réséda-de-la ceinture, 8 a
L'œillet-des-costumes-tailleurs ! 8 b
Et, fleurs que loin de nos collines 8 a
Dans la fourrure on exila, 8 b
225 Le mimosa-des-zibelines 8 a
Et la parme-du-chinchilla ! 8 b
Nous sommes ces frivoles touffes 8 a
Qui connaissent pour seuls étés 8 b
La température des Bouffes 8 a
230 Et celle des Variétés, 8 b
Nous sommes, parmi les éloges 8 a
Aux blondes nuques adressés, 8 b
Les fleurs chaudes qui, dans les loges, 8 a
Frayent avec les fruits glacés. 8 b
235 Nous sommes le lys qui se fane 8 a
Au vent des restaurants du soir ; 8 b
La rose qu'on jette au tzigane 8 a
Qui sur l'épaule a son mouchoir ; 8 b
Le muguet qui sait chaque phrase 8 a
240 Qu'on dit à la fin des soupers, 8 b
Et la jacinthe qu'on écrase 8 a
Dans les coins sombres des coupés ! 8 b
Nous sommes, quand le cœur s'effraye, 8 a
Ces violettes d'un instant 8 b
245 Qu'on respire en prêtant l'oreille 8 a
Et qu'on mordille en hésitant. 8 b
Nous sommes ces œillets de Londre 8 a
Et ces jonquilles de Menton 8 b
Dans lesquels, avant de répondre, 8 a
250 On enfonce un joli menton. 8 b
Nous enguirlandons l'aventure, 8 a
Et, quand le bonheur est défunt. 8 b
Nous assurons à la rupture 8 a
De l'élégance et du parfum. 8 b
255 Nous sommes les fleurs nécessaires 8 a
Aux intrigues de la Cité. 8 b
Nous n'avons connu, dans les serres, 8 a
Qu'un soleil d'électricité. 8 b
Dans les serres nous sommes nées ; 8 a
260 Des saisons nous ne vîmes rien. 8 b
Quelles étaient nos destinées, 8 a
Cependant, nous le savons bien ! 8 b
Nous sentons en nous, ô mystère ! 8 a
Parler la sève d'autres fleurs 8 b
265 Qui poussèrent, libres, de terre, 8 a
Et nos souvenirs sont les leurs ! 8 b
Nous sentons, dans ces mornes fêtes 8 a
Où passent d'inutiles fronts, 8 b
Vaguement, que nous sommes faites 8 a
270 Pour être ailleurs, — et nous souffrons. 8 b
Nous aimerions, fières, ravies, 8 a
Vraiment fraîches, pures toujours, 8 b
Nous mélanger à d'autres vies, 8 a
Favoriser d'autres amours ! 8 b
275 Pourquoi donc, fleurs dont nous naquîmes, 8 a
Dans vos graines aviez-vous mis 8 b
L'amour des vallons et des cimes, 8 a
Puisqu'il ne nous est pas permis ? 8 b
Puisqu'il nous faut vivre à distance 8 a
280 De ces choses, pourquoi faut-il 8 b
Que nous soupçonnions l'existence 8 a
D'une Nature et d'un Avril ? 8 b
— Et nous sommes, dans les boutiques, 8 a
Sur du gazon artificiel, 8 b
285 Les petites fleurs nostalgiques. 8 a
D'air pur, de lumière et de ciel. 8 b
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