Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
ROS_1/ROS16
Edmond ROSTAND
LES MUSARDISES
1887-1893
I
LA CHAMBRE D'ÉTUDIANT
XVI
LES TZIGANES
Un ordre fut donné | par le chef à mi-voix, 6+6 a
Et des bruits d'instruments | dans l'ombre s'entendirent. 6+6 b
Le silence se fit. | Et, sur leurs clés de bois, 6+6 a
Harmonieusement | les cordes se tendirent. 6+6 b
5 Ce ne furent d'abord, | sous les arbres touffus, 6+6 a
Que des fragments épars | d'harmonie essayée, 6+6 b
— Par de vagues accords, | des préludes confus, 6+6 a
L'âme des violons | voulant être éveillée. 6+6 b
Incertains un moment | gémirent les altos, 6+6 a
10 Puis de leur gravité | sonore ils s'assurèrent, 6+6 b
Et les Tziganes noirs, | drapés dans leurs manteaux, 6+6 a
Brusquement, pour jouer, | en cercle se levèrent. 6+6 b
Alors le chef, les yeux | perdus, improvisant, 6+6 a
Attaqua la mesure | avec un geste large, 6+6 b
15 Et, du son merveilleux | lui-même se grisant, 6+6 a
Il partit, endiablé, | comme dans une charge. 6+6 b
L'orchestre répandit | un long bruit de sanglots ; 6+6 a
Et du même côté, | tous, la tête penchée, 6+6 b
Ils envoyaient l'archet, | pâles, les yeux mi-clos, 6+6 a
20 Ivres de l'harmonie | en ondes épanchée. 6+6 b
Ils jouaient, balançant | lentement leurs grands corps, 6+6 a
Et toujours un sourire | énigmatique aux lèvres. 6+6 b
Et par moments c'étaient | d'étranges désaccords, 6+6 a
Ou, sous les doigts pinceurs, | des pizzicati mièvres. 6+6 b
25 Agacés quelquefois | par les archets frôleurs, 6+6 a
Les instruments avaient | des plaintes fantastiques, 6+6 b
Comme le vent nocturne | ou les dogues hurleurs 6+6 a
Montant lugubrement | leurs gammes chromatiques. 6+6 b
Tantôt sous un baiser | de lune on croyait voir 6+6 a
30 Quelque apparition | vague en une clairière, 6+6 b
Tantôt des cavaliers | passer sous un ciel noir 6+6 a
Quand le rythme prenait | une fureur guerrière. 6+6 b
Et c'étaient, tout d'un coup, | d'immenses désespoirs, 6+6 a
Plaintes de trahison, | mortes chères pleurées ; 6+6 b
35 Et puis, des souvenirs | attendris de beaux soirs… 6+6 a
Et les cordes n'étaient | plus qu'à peine effleurées. 6+6 b
Le violon du chef | chantait éperdument. 6+6 a
Quel étrange génie | avait donc ce grand diable ? 6+6 b
Il passa tout d'un coup | du sauvage au charmant : 6+6 a
40 Et ce fut une valse, | alors, inoubliable ! 6+6 b
Son archet, appuyé | dans toute sa longueur, 6+6 a
Faisait monter un son | d'une pureté grave, 6+6 b
Qui vous envahissait | de trouble et de langueur, 6+6 a
Et qui se prolongeait, | agonisant, suave ! 6+6 b
45 Vous roulant, vous berçant, | avec quelles lenteurs 6+6 a
Ondulait et mourait | la vague mélodique ! 6+6 b
Et plus que la nuit chaude, | et plus que les senteurs, 6+6 a
Elle prenait les sens, | cette rare musique ! 6+6 b
J'écoutais, subissant | comme un charme pervers. 6+6 a
50 Parfois, il me semblait | que ces archets magiques 6+6 b
Jouaient, ayant quitté | leurs cordes, sur mes nerfs… 6+6 a
Et c'étaient de beaux cris | d'amour, longs et tragiques ! 6+6 b
Car d'abord le chef seul | avait improvisé. 6+6 a
Chaque musicien | suivait, comme un élève, 6+6 b
55 Accompagnant le chant… | Mais voilà que, grisé, 6+6 a
Chacun était parti | maintenant dans son rêve ! 6+6 b
Dans son rêve, les yeux | fermés, chacun marchait. 6+6 a
Ce n'étaient plus du tout | de simples airs de danses, 6+6 b
Car le cœur de chacun | saignait sous son archet, 6+6 a
60 Et tous ces violons | chantaient des confidences ! 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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