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ROS_1/ROS13
Edmond ROSTAND
LES MUSARDISES
1887-1893
I
LA CHAMBRE D'ÉTUDIANT
XIII
SOUVENIRS DE VACANCES
I
LE TAMBOURINEUR
A l'heure où l'invisible orchestre des cigales 6+6 a
N'exerce pas encor ses petites cymbales, 6+6 a
Quand l'horizon est rose et vert, de bon matin, 6+6 b
Par les sentiers pierreux de la blanche colline, 6+6 c
5 En jouant un vieil air lentement s'achemine 6+6 c
Le tambourineur, beau comme un pâtre latin. 6+6 b
Sous les pins parasols d'où pleuvent les aiguilles 6+6 d
Qui rendent les sentiers glissants, il fait des trilles 6+6 d
Sur le fin gaboulet, comme un merle siffleur. 6+6 e
10 Sa longue caisse aux flots de rubans verts ballante. 6+6 f
Il s'en va pour donner une aubade galante 6+6 f
A la belle qui l'a choisi pour cajoleur. 6+6 e
Il souffle dans son fifre un air très gai de danse, 6+6 a
Pendant qu'il frappe avec la baguette, en cadence, 6+6 a
15 La peau du tambourin qui ronfle sourdement. 6+6 b
Le petit galoubet d'ivoire rossignole, 6+6 c
Et le tambourin, suit l'alerte, farandole 6+6 c
D'un monotone, un peu triste, accompagnement. 6+6 b
Tambourineur d'Amour, comme je te ressemble ! 6+6 d
20 Je vais jouant du triste et du gai tout ensemble : 6+6 d
Le tambourin sonore et grave, c'est mon cœur, 6+6 e
Rien plus lourd à porter, va, que ta caisse lourde ! 6+6 f
Mais, toujours, cependant qu'il fait sa plainte sourde, 6+6 f
Sifflote mon esprit, ce galoubet moqueur ! 6+6 e
II
L'ÉTANG
25 L'étang, dont le soleil chauffe la somnolence, 6+6 a
Est fleuri ce matin de beaux nénuphars blancs. 6+6 b
Les uns, sortis de l'eau, semblent offrir, tremblants. 6+6 b
Leur assiette de Chine où de l'or se balance. 6+6 a
D'autres n'ont pu fleurir, mais purent émerger, 6+6 a
30 Et, pointe autour de quoi l'onde en cercles se plisse, 6+6 b
Leur gros bouton bron qui commence à nager 6+6 a
Est une cassolette avant d'être un calice. 6+6 b
D'autres, encor plus loin du moment de surgir, 6+6 a
Promesse de boutons par l'eau glauque couverte, 6+6 b
35 Se bercent d'un remous sous l'ample feuille verte 6+6 b
Qu'on voit, comme un plateau de laque, s'élargir. 6+6 a
Ainsi sont mes pensers dans leur floraison lente. 6+6 a
Il en est d'achevés que leur tige me tend, 6+6 b
Complètement éclos, comme, sur cet étang, 6+6 b
40 Les nénuphars berçant leur soucoupe indolente. 6+6 a
D'autres n'ont encor pu qu'atteindre le niveau… 6+6 a
Et ce sont eux surtout que, poète, on caresse, 6+6 b
Qu'on laisse à fleur d'esprit flotter avec paresse, 6+6 b
Comme les nénuphars qui pointent à fleur d'eau. 6+6 a
45 Mais je sens la poussée en moi, vivace et sourde, 6+6 a
D'autres pensers germes mystérieusement, 4+8 b
Qui montent en secret vers leur achèvement, 6+6 b
Comme les nénuphars qui dorment sous l'eau lourde. 6+6 a
III
LES PAPILLONS
En Mai, quand les brises roucoulent, 8 a
50 Quand fleurissent toutes les fleurs, 8 b
Les papillons sont grands buveurs : 8 b
Les petits papillons se soûlent. 8 a
Souvent, au crépuscule gris, 8 a
A l'heure où le couchant se clore, 8 b
55 On en voit balocher encore : 8 b
C'est tout simplement qu'ils sont gris. 8 a
Le regard les suit et s'étonne 8 a
De les voir, dans le jour tombant, 8 b
S'en aller d'un vol titubant, 8 b
60 D'un vol qui zigzague et festonne. 8 a
Les pauvrets se sont attardés 8 a
A boire dans toutes les roses ; 8 b
Pour chasser les ennuis moroses 8 b
Ils se sont un peu pochardés. 8 a
65 Au sortir de leur chrysalide 8 a
Faisant dehors leurs premiers pas, 8 b
Pour les parfums n'avaient-il pas 8 b
Encor la tête assez solide ? 8 a
Avaient-ils des chagrins d'amour, 8 a
70 Ces papillons ? Voulaient-ils boire 8 b
Pour se consoler d'un déboire ? 8 b
Mon Dieu, ça se voit chaque jour ! 8 a
Ou par des amis en goguette 8 a
Se laissèrent-ils emmener 8 b
75 De fleur en fleur biberonner, 8 b
Comme de guinguette en guinguette ? 8 a
Eux, les élégants papillons, 8 a
Si corrects près des marguerites, 8 b
Ils sont, en regagnant leurs gîtes, 8 b
80 Dépoudrés de leurs vermillons ! 8 a
Et gris à rouler sous les roses, 8 a
Lorsqu'il leur faut rentrer chez eux, 8 b
Ils s'en reviennent deux par deux… 8 b
Et voilà qu'ils disent des choses !… 8 a
85 Ils se détaillent leurs amours, 8 a
Se vantent de leurs prétentaines, 8 b
Mettent de travers leurs antennes, 8 b
S'attendrissent, font des discours ; 8 a
Eux, les doux frôleurs de corolles, 8 a
90 Les petits Platons de l'air pur, 8 b
Amis des lys et de l'azur, 8 b
Ils racontent des gaudrioles ! 8 a
Quand les nectars et les rayons 8 a
Ont troublé leur âme sensible, 8 b
95 Il n'y a rien de plus terrible 8 b
Que l'ivresse des papillons ! 8 a
Dons Juans récitant leurs listes, 8 a
Ils révèlent soudain aux fleurs 8 b
Quelles âmes d'écornifleurs 8 b
100 Ils cachaient, ces idéalistes ! 8 a
Battant des ailes de pastel, 8 a
Chacun, avant la nuit, aspire 8 b
Un dernier lys avec sa spire, 8 b
Ainsi que l'on hume un cocktail ! 8 a
105 Les roses ayant une essence 8 a
Qui grise mieux que le trois-six, 8 b
Ce qu'au buisson dit le Tircis 8 b
Est de la plus rare indécence. 8 a
Les Machaons sont déchaînés. 8 a
110 Et les hautaines Atalantes 8 b
Ne fuient qu'avec des ailes lentes 8 b
Qui semblent leur dire : « Venez ! » 8 a
Le Mars, gai comme un soir de solde, 8 a
Dit au Tabac d'Espagne : « Ohé ! » 8 b
115 Le Daphnis change de Chloé. 8 b
Le Tristan se trompe d'Ysolde. 8 a
A demain matin les pardons ! 8 a
Il faudra qu'on s'y reconnaisse. 8 b
Mais, ce soir, plus d'une Vanesse 8 b
120 Pour les phlox trahit les chardons. 8 a
Un obscur papillon d'avoine 8 a
Tutoie un lilas de jardin. 8 b
Le papillon du chou, soudain, 8 b
Appelle : « Mon chou ! » la pivoine. 8 a
125 Le désordre règne. Il n'y a 8 a
Plus de lois ni de protocoles» 8 b
L'Argus parle argot. « Tu me colles ! » 8 b
Dit l'Argynne au pétunia. 8 a
Le Demi-Deuil n'est plus sévère. 8 a
130 Et : « Ma primevère n'est pas 8 b
Grande », dit le Sylvain tout bas, 8 b
« Mais je bois dans ma primevère ! » 8 a
IV
DÉJEUNER DE SOLEIL
Le soleil hume la rosée 8 a
Qui s'évapore lentement. 8 b
135 Vers lui, dans le matin charmant, 8 b
Elle monte, vaporisée, 8 a
L'aurore fait le firmament 8 a
D'une teinte exquise et rosée. 8 b
Le soleil hume la rosée 8 b
140 Qui s'évapore lentement. 8 a
Sur chaque brin d'herbe est posée 8 a
Une goutte arc-en-cielisée 8 a
De plus de feux qu'un diamant… 8 b
Et, comme il en est très gourmand, 8 b
145 Le soleil hume la rosée. 8 a
V
LES COCHONS ROSES
Le jour s'annonce à l'Orient 8 a
De pourpre se coloriant ; 8 a
Le doigt du matin souriant 8 a
Ouvre : les roses ; 4 b
150 Et sous la garde d'un gamin 8 c
Qui tient une gaule à la main, 8 c
On voit passer sur le chemin 8 c
Les cochons roses, 4 b
Lé rose rare au ton charmant 8 a
155 Qu'à l'horizon, en ce moment, 8 a
Là-bas, au fond du firmament, 8 a
On voit s'étendre, 4 b
Ne réjouit pas tant les yeux, 8 c
N'est pas si frais et si joyeux 8 c
160 Que celui des cochons soyeux 8 c
D'un rose tendre. 4 b
Le zéphyr, ce doux maraudeur, 8 a
Porte plus d'un parfum rôdeur, 8 a
Et, dans la matinale odeur 8 a
165 Des églantines, 4 b
Les petits cochons transportés 8 c
Ont d'exquises vivacités 8 c
Et d'insouciantes gaîtés 8 c
Presque enfantines. 4 b
170 Heureux, poussant de petits cris, 8 a
Ils vont par les sentiers fleuris, 8 a
Et ce sont des jeux et des ris 8 a
Remplis de grâces ; 4 b
Ils vont, et tous ces corps charnus 8 c
175 Sont si roses qu'ils semblent nus, 8 c
Comme ceux d'amours ingénus 8 c
Aux formes grasses. 4 b
Des points noirs dans ce rose clair 8 a
Semblant des truffes dans leur chair 8 a
180 Leur donnent vaguement un air 8 a
De galantine, 4 b
Et leur petit trottinement 8 c
A cette graisse, incessamment, 8 c
Communique un tremblotement 8 c
185 De gélatine. 4 b
Le long du ruisseau floflottant 8 a
Ils suivent, tout en ronflotant, 8 a
La blouse au large dos flottant 8 a
De toile bleue ; 4 b
190 Ils trottent, les petits cochons, 8 c
Les gorets gras et folichons 8 c
Remuant les tire-bouchons 8 c
Que fait leur queue. 4 b
Et quand les champs sans papillons 8 a
195 Exhaleront de leurs sillons 8 a
Les plaintes douces des grillons 8 a
Toujours pareilles, 4 b
Les cochons, rentrant au bercail, 8 c
Défileront sous le portail, 8 c
200 Agitant le double éventail 8 c
De leurs oreilles. 4 b
Puis, quand, là-bas, à l'Occident, 8 a
Croulera le soleil ardent, 8 a
A l'heure où le soir descendant 8 a
205 Touche les roses, 4 b
Paisiblement couchés en rond, 8 c
Près de l'auge peinte en marron, 8 c
Bien repus, ils s'endormiront, 8 c
Les cochons roses… 4 b
VI
LE PETIT CHAT
210 C'est un petit chat noir, effronté comme un page. 6+6 a
Je le laisse jouer sur ma table, souvent. 6+6 b
Quelquefois il s'assied sans faire de tapage ; 6+6 a
On dirait un joli presse-papier vivant. 6+6 b
Rien de lui, pas un poil de sa toison ne bouge. 6+6 a
215 Longtemps il reste là, noir sur un feuillet blanc, 6+6 b
A ces matous, tirant leur langue de drap rouge, 6+6 a
Qu'on fait pour essuyer les plumes, ressemblant. 6+6 b
Quand il s'amuse, il est extrêmement comique. 6+6 a
Pataud et gracieux, tel un ourson drôlet. 6+6 b
220 Souvent je m'accroupis pour suivre sa mimique 6+6 a
Quand on met devant lui la soucoupe de lait. 6+6 b
Tout d'abord, de son nez délicat il le flaire, 6+6 a
Le frôle ; puis, à coups de langue très petits, 6+6 b
Il le lampe ; et dès lors il est à son affaire ; 6+6 a
225 Et l'on entend, pendant qu'il boit, un clapotis. 6+6 b
Il boit, bougeant la queue, et sans faire une pause, 6+6 a
Et ne relève enfin son joli museau plat 6+6 b
Que lorsqu'il a passé sa langue rêche et rose 6+6 a
Partout, bien proprement débarbouillé le plat. 6+6 b
230 Alors, il se pourlèche un moment les moustaches, 6+6 a
Avec l'air étonné d'avoir déjà fini ; 6+6 b
Et, comme il s'aperçoit qu'il s'est fait quelques taches. 6+6 a
Il relustre avec soin son pelage terni. 6+6 b
Ses yeux jaunes et bleus sont comme deux agates ; 6+6 a
235 Il les ferme à demi, parfois, en reniflant, 6+6 b
Se renverse, ayant pris son museau dans ses pattes. 6+6 a
Avec des airs de tigre étendu sur le flanc. 6+6 b
Mais le voilà qui sort de cette nonchalance, 6+6 a
Et, faisant le gros dos, il a l'air d'un manchon ; 6+6 b
240 Alors, pour l'intriguer un peu, je lui balance, 6+6 a
Au bout d'une ficelle invisible, un bouchon. 6+6 b
Il fuit en galopant et la mine effrae, 6+6 a
Puis revient au bouchon, le regarde, et d'abord 6+6 b
Tient suspendue en l'air sa patte repliée, 6+6 a
245 Puis l'abat, et saisit le bouchon, et le mord. 6+6 b
Je tire la ficelle, alors, sans qu'il le voie ; 6+6 a
Et le bouchon s'éloigne, et le chat noir le suit, 6+6 b
Faisant des ronds avec sa patte qu'il envoie, 6+6 a
Puis saute de côté, puis revient, puis refuit. 6+6 b
250 Mais dès que je lui dis : « Il faut que je travaille ; 6+6 a
Venez vous asseoir là, sans faire le méchant ! » 6+6 b
Il s'assied… Et j'entends, pendant que j'écrivaille, 6+6 a
Le petit bruit mouillé qu'il fait en se léchant. 6+6 b
VII
BALLADE DU PETIT BÉBÉ
Il fait un gazouillis suave, 8 a
255 Un chantonnement continu, 8 b
Sans souci du ton, de l'octave. 8 a
Son crâne au seul frison ténu 8 b
Est si blond qu'il paraît chenu. 8 b
Par une prudente planchette 8 c
260 Dans son haut fauteuil retenu, 8 b
Le petit bébé fait risette. 8 c
Et puis il désigne, très brave, 8 a
Le gros chat, de son doigt menu. 8 b
Et puis, quand sa bonne le lave 8 a
265 Et poudre tout son corps charnu, 8 b
De vive force maintenu 8 b
Jambes en l'air, sans chemisette, 8 c
En montrant son derrière nu 8 b
Le petit bébé fait risette. 8 c
270 Après quoi, longuement, il bave. 8 a
Et comme un objet inconnu 8 b
Il contemple, rêveur et grave, 8 a
Son pied dans ses deux mains tenu. 8 b
Et, pris du désir saugrenu 8 b
275 De sucer son bout de chaussette 8 c
Auquel il n'est pas parvenu, 8 b
Le petit bébé fait risette. 8 c
ENVOI
Épousez-vous, couple ingénu, 8 a
Comme Marius et Cosette. 8 b
280 Tout rit lorsque, nouveau venu, 8 a
Le petit bébé fait risette. 8 b
VIII
CRÉPUSCULE
Au bord de l'horizon les collines boies 6+6 a
Ondulent, en prenant des teintes ardoies, 6+6 a
Cependant qu'un dernier reflet, comme un mica 6+6 b
285 Piqué sur les coteaux, scintille clans leur brume, 6+6 c
Et que, timidement, une étoile s'allume 6+6 c
Dans l'azur pâle et délicat. 8 b
Les arbres, sur le ciel, de leurs grêles membrures, 6+6 a
Font un dessin pareil à celui des nervures 6+6 a
290 D'une feuille. A présent, les étoiles sont deux, 6+6 b
Et luisent à travers la vapeur violette 6+6 c
Comme des yeux de femme à travers la voilette 6+6 c
Les arbres ont un air frileux. 8 b
Tous les contours ont des finesses d'aquarelle. 6−6 a
295 Les fonds sont des lavis très clairs. Un clocher — frêle 6+6 a
S'effile exquisement sur le lointain bleuté. 6+6 b
Les étoiles sont trois. La campagne repose, 6+6 c
Et dans le ciel vert d'eau monte une lune rose 6+6 c
Comme un cuivre désargenté. 8 b
300 De larges bandes d'or l'horizon se chamarre. 6+6 a
Mais le dernier reflet s'est éteint sur la mare. 6+6 a
On croit voir des cyprès dans les hauts peupliers. 6+6 b
Le jour traîne un moment encor son agonie. 6+6 c
Les crapauds font un chant d'une plainte infinie 6+6 c
305 Les étoiles sont des milliers. 8 b
IX
ON SOUFFLE
On souffle, et vous vous envolez, 8 a
Duvet des chandelles de neige ! 8 b
Le souffle qui vous désagrège 8 b
Met à nu des cœurs désolés ! 8 a
310 Par un jeu bête et sacrilège 8 a
Pauvres cœurs désauréolés ! 8 b
On souffle, et vous vous envolez, 8 b
Duvet des chandelles de neige ! 8 a
Rayons blancs dont sont étoilés 8 a
315 Nos cœurs naïfs (au mien que n'ai-je 8 b
Votre poids encor, qui l'allège !) 8 b
Ainsi, vous nous êtes volés : 8 a
On souffle, et vous vous envolez ! 8 a
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