Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
ROL_3/ROL424
Maurice ROLLINAT
Paysages et Paysans
1899
L'ancien Soldat
Indépendant d'instinct, d'esprit, d'âme et de fibre 6+6 a
Et rendu toujours plus jugeur sain, penseur libre, 6+6 a
Par son métier rôdant de pêcheur-braconnier, 6+6 a
Le vieil ancien soldat, franc comme son visage, 6+6 b
5 Évoquait devant moi ce souvenir guerrier 6+6 a
Qu'il concluait ainsi de façon simple et sage : 6+6 b
« Des marécag' de sang qui s' fige et qui s' grumelle 6+6 a
Où q' l'on voit dans des coins, noirs comm' du jus d' fumier, 6+6 b
Avec des bouts d'entraill' et des éclats d' cervelle, 6+6 a
10 Des cadav' en morceaux et d'autr' dans leur entier ; 6+6 b
Chefs, soldats, jeun's et vieux, les géants, les minimes, 6+6 a
Tous en figur' de cire et barbouillés d' caillots ; 6+6 b
Des Turcos s' finissant qui grincent comm' des limes, 6+6 a
Montrant leur ventr' qui bâille en perdant ses boyaux ; 6+6 b
15 Corps d'hussards ench'vêtrés à des cadav' de zouaves ; 6+6 a
Des pêl'-mêl' d'homm' et d'arm', de bagag' et d' fourgons ; 6+6 b
D' la ch'valin' roug' de sang et tout' mousseus' de bave, 6+6 a
S' plaignant, par tas serrés, sous des meul' de dragons ; 6+6 b
Des cous d' décapités qui pench' leur moignon rouge 6+6 a
20 Sur des énorm' boulots qu'ont l'air de les railler ; 6+6 b
Des mulets ruant encor sur des blessés qui bougent 6+6 a
En v'lant prendre au hasard des morts pour oreiller ; 6+6 b
Casques pleins d' terre et d' sang, de ch'veux et d' morceaux d' crâne ; 6+6 a
Tambours crevés, clairons tordus comm' des serpents ; 6+6 b
25 Des mourants qui font peur malgré qu'i's ont l'air crâne 6+6 a
Avec les doigts coupés, l'œil vid', la cuiss' qui pend ; 6+6 b
Sous des gross' mouch' de viand' qui s'appell' et s' rassemblent, 6+6 a
Verminant leur voltige à tourbillons mêlés, 6+6 b
Des grands monceaux qui r'muent, qui s' soulèvent, qui tremblent, 6+6 a
30 D'où sort des voix d' cavern', des gémiss'ments râlés : 6+6 b
V'la c' que j'ai toujours vu sur tous les champs d' bataille ! 6+6 a
Sans parler d' la puanteur qui m'en donne encor froid… 6+6 b
Et des band' de corbeaux qui s' gorgent les entrailles 6+6 a
De tout c' mond' pourrissant par le capric' des rois. 6+6 b
35 Pour qui réfléchit, sans la politique, 5+5 a
Avec son cœur et sa raison, 8 b
Au nom d' la conscienc' qui n' pratique 8 a
Q' la bonn' justice en tout' saison, 8 b
L' pourquoi d' la guerre, allez ! c'est un sacré problème. 6+6 a
40 Ces gens là m'en veul't'-i' ? Null'ment. 8 b
Moi j' leur en veux pas pareill'ment : 8 b
Ça n' fait rien ! on doit s' batt' quand même. 8 a
J' m'ai dit : « D'où q' vienn' l'attaq' ? la v'là ! faut ben s' défendre. 6+6 a
Mais, toujours en avant j'ai marché sans comprendre. 6+6 a
45 J'ai fait mon d'voir, soumis aux chefs comme au danger ; 6+6 a
Tel qu'on l' faisait cont' moi, j'ai tiré, j'ai chargé ; 6+6 a
D' mes yeux clairs, dans c' temps-là, qu'avaient la voyanc' nette, 6+6 a
À ceux homm' étrangers j' leur ai pointé l' trépas. 6+6 b
Mais, j' m'excusais d' mes meurt' en r'grettant d'avoir pas 6+6 b
50 Au droit d' mon coup d' fusil, face à ma baïonnette, 6+6 a
En plac' de ceux victim' innocent', tous les m'neurs 6+6 a
Coupab' d'occasionner d'aussi sanglant's horreurs, 6+6 a
Seuls auteurs responsab' si des milliers d' pauv's êtres 6+6 a
D' loin ou d' près, corps à corps, s'assassin' sans s' connaître, 6+6 a
55 Tandis qu'eux aut's, la caus' de tant d' massac' et d' morts, 6+6 a
Meur' dans leur lit sans mal, et, qui sait ? p't-êt' sans r'mords ! 6+6 a
Par tous les parents, dans tous les pays, 5+5 a
La guerre est maudite autant que j' l'haïs. 5+5 a
Consultez donc les sœurs, les épouses, les mères, 6+6 a
60 Et vous verrez q'yaura plus d' guerres. 8 a
Ou, si c'est vrai q' les homm' peuv' pas s'en empêcher, 6+6 a
Q' les bataill' sont pour eux un besoin d' leur engeance, 6+6 b
Qu'i's élèv' leur famill', froid'ment, sans s'yattacher, 6+6 a
Puisqu'au carnag' la fleur en est promis' d'avance ! 6+6 b
65 Mais, ça n' m'est pas prouvé du tout 8 a
Q'les gens civilisés s' batt' paʼcʼque c'est d'leur goût, 6+6 a
Pour voler chez l' voisin ou par c'te drôl' d'idée 6+6 a
Q' l'humanité pouss' trop, q' faut qu'ell' soit émondée, 6+6 a
Maint'nue en équilib', juste ent' le trop et l' guère, 6+6 a
70 Par les sécateurs de la guerre. 8 a
Comm' si, pour tous les homm', sur terr' yavait pas d' quoi 6+6 a
Aller et v'nir, s' bâtir un toit, 8 a
Boire et manger à son envie ; 8 a
Comm' si, les défunts balançant 8 b
75 Toujours à peu près les naissants, 8 b
La mort tout' naturell' ne m'surait pas la vie. 6+6 a
J'croirais plutôt, depuis des siècl' déjà 10 a
Où tant d' mond' partout s'égorgea, 8 a
Q'les gens pris un par un qu'on s'rait v'nu consulter 6+6 a
80 Auraient dit : « J'veux la paix ! » sans trop longtemps s' tâter, 6+6 a
Et q'chacun dans leurs plain', dans leurs montagn', leurs îles, 6+6 a
Les peupl' n'auraient d'mandé qu'à rester ben tranquilles. 6+6 a
C'est beau d' mourir pour la patrie ! 8 a
Mais ça c's'rait plus beau, ces tueries 8 a
85 Un' bonn' fois faisant place à la fraternité, 6+6 a
D'mourir pour tout' l'humanité, 8 a
Tué, non par ses semblab', mais par l'hasard des choses 6+6 a
Qui s' dout' pas, ell' au moins, des morts dont ell' sont cause ! 6+6 a
Allons ! j'souhait' qu'enfin libr' et ben à l'unisson, 6+6 a
90 D'l'un à l'aut', tous les peupl' pens' comm' moi cont' la guerre, 6+6 b
Qu'en fait d'coup', de massacr' et d' gis'ments sur la terre 6+6 b
I' n'yait plus q'ceux des foins, des arb' et des moissons ! » 6+6 a
mètre profils métriques : 8, 6+6, 5÷5
logo du CRISCO logo de l'université