Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
ROL_2/ROL290
Maurice ROLLINAT
Les Névroses
1883
LES TÉNÈBRES
Les Agonies lentes
À Albert Allenet.
On voit sortir, l'été, par les superbes temps, 6+6 a
Les poitrinaires longs, fluets et tremblotants ; 6+6 a
Ils cherchent, l'œil vitreux et noyé de mystère, 6+6 b
Dans une grande allée, un vieux banc solitaire 6+6 b
5 Et que le soleil cuit dans son embrasement. 6+6 a
Alors, ces malheureux s'assoient avidement, 6+6 a
Et débiles, voûtés, blêmes comme des marbres 6+6 b
Regardent vaguement la verdure des arbres. 6+6 b
Parfois des promeneurs aux regards effrontés 6+6 a
10 Lorgnent ces parias par le mal hébétés, 6+6 a
Et jamais la pitié, tant que l'examen dure, 6+6 b
N'apparaît sur leur face aussi sotte que dure. 6+6 b
Trop béats pour sentir les deuils et les effrois, 6+6 a
Ils fument devant eux, indifférents et froids, 6+6 a
15 Et l'odeur du cigare, empoisonnant la brise ; 6+6 b
Cause à ces moribonds une toux qui les brise. 6+6 b
Eux, les martyrisés, eux, les cadavéreux, 6+6 a
Comme ils doivent souffrir de ce contraste affreux 6+6 a
Où la santé publique avec son ironie 6+6 b
20 Raille leur misérable et cruelle agonie ! 6+6 b
Pour eux, dont les poumons flétris dès le berceau 6+6 a
S'en vont, heure par heure et morceau par morceau, 6+6 a
Pas d'éclair consolant qui fende leurs ténèbres ! 6+6 b
Puis, ils sont assaillis de présages funèbres, 6+6 b
25 Ayant en plein midi, par un azur qui bout, 6+6 a
L'hostilité nocturne et louche du hibou : 6+6 a
Un convoi rencontré près d'une basilique ; 6+6 b
Un menuisier blafard, à l'air mélancolique, 6+6 b
Qui transporte un cercueil à peine raboté, 6+6 a
30 Où déjà le couvercle en dôme est ajusté ; 6+6 a
Un lugubre flâneur que l'âge ride et casse, 6+6 b
Qui se parle à lui-même en traînant sa carcasse 6+6 b
Et qui répond peut-être à quelque vieux remord ; 6+6 a
Une main qui remet des « faire part » de mort ; 6+6 a
35 Un prêtre en capuchon, comme un jaune trappiste : 6+6 b
Toutes ces visions s'acharnent à leur piste. 6+6 b
Le terme de leur vie, hélas ! va donc échoir ! 6+6 a
Ils le savent ! celui qui scrute leur crachoir 6+6 a
En a trop laissé voir sur sa figure fausse, 6+6 b
40 Pour qu'ils ne songent pas qu'on va creuser leur fosse. 6+6 b
Oh ! j'en ai rencontré plus d'un par les chemins 6+6 a
Qui cachait à moitié sa tête dans ses mains 6+6 a
Devant un corbillard gagnant le cimetière ; 6+6 b
Et j'ai senti pleurer mon âme tout entière ! 6+6 b
45 À quels frissonnements, à quelle intense horreur 6+6 a
Sont voués ces vivants écrasés de terreur, 6+6 a
Quand ils rentrent le soir, au déclin de l'automne, 6+6 b
Dans leur alcôve tiède, ancienne et monotone ? 6+6 b
En proie à la plus sombre hallucination, 6+6 a
50 Dans un morbide élan d'imagination, 6+6 a
Sous un mal qui les mine et qui les exténue 6+6 b
Osent-ils supposer que leur fin est venue, 6+6 b
Pour assister d'avance à leur enterrement ? 6+6 a
Voient-ils les invités entrer sinistrement 6+6 a
55 Dans la chambre où leur bière étroite et mal vissée 6+6 b
Souffle la puanteur infecte et condensée ? 6+6 b
Entendent-ils causer les croque-morts tout bas ? 6+6 a
Sentent-ils qu'on soulève et qu'on porte là-bas 6+6 a
Sous les panaches blancs de la lente voiture 6+6 b
60 Le bois rectangulaire où gît leur pourriture ? 6+6 b
Dans la nef, aux accords d'un orgue nasillard, 6+6 a
Sur le haut catafalque, au milieu d'un brouillard 6+6 a
D'encens, qu'on fait brûler auprès d'eux sur la pierre 6+6 b
Pour combattre l'odeur s'échappant de leur bière, 6+6 b
65 Entre des cierges gris aux lueurs de falot, 6+6 a
Appelés par des voix qu'étouffe le sanglot 6+6 a
Et pleurés par des chants d'une plainte infinie, 6+6 b
Voient-ils qu'on est au bout de la cérémonie 6+6 b
Mortuaire, et qu'on va les jeter dans le trou ? 6+6 a
70 L'entrée au cimetière, — un sol visqueux et mou, — 6+6 a
Les enterreurs au bord de la fosse qui s'offre, 6+6 b
Le brusque nœud coulant qu'on passe autour du coffre 6+6 b
Qui s'enfourne et descend comme un seau dans un puits ; 6+6 a
Le heurt mat du cercueil au fond du gouffre, et puis, 6+6 a
75 À la fin, les cailloux, les pierres et l'argile 6+6 b
Qui frappent à coups sourds leur couvercle fragile, 6+6 b
Tout cela passe-t-il en frissons désolés 6+6 a
Au plus creux de leur âme et de leurs os gelés, 6+6 a
Et dans un soliloque amer et pulmonique, 6+6 b
80 Ne pouvant maîtriser la suprême panique, 6+6 b
Crient-ils : « Grâce ! » au Destin qui répond : « Non, la Mort. » 6+6 a
Ainsi je songe, et j'offre à vous que le spleen mord, 6+6 a
À vous, pâles martyrs, plus damnés que Tantale, 6+6 b
Ces vers noirs inspirés par la Muse fatale. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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