Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
ROL_2/ROL282
Maurice ROLLINAT
Les Névroses
1883
LES SPECTRES
Le Meneur de Loups
CHANT ROYAL
À Jules Barbey d'Aurevilly.
Je venais de franchir | la barrière isolée, 6+6 a
Et la stupeur nocturne | allait toujours croissant 6+6 b
Du ravin tortueux | à la tour écroulée, 6+6 a
Quand soudain j'entendis | un bruit rauque et perçant. 6+6 b
5 J'étais déjà bien loin | de toute métairie, 6+6 c
Dans un creux surplombé | par une croix pourrie 6+6 c
Dont les vieux bras semblaient | prédire le destin : 6+6 d
Aussi, la peur, avec | son frisson clandestin, 6+6 d
Me surprit et me tint | brusquement en alerte, 6+6 e
10 Car à cent pas de moi, | là, j'en étais certain, 6+6 d
Le grand meneur de loups | sifflait dans la nuit verte. 6+6 e
Il approchait, guidant | sa bande ensorcelée 6+6 a
Que fascinait à peine | un charme tout puissant, 6+6 b
Et qui, pleine de faim, | lasse, maigre et pelée, 6+6 a
15 Compacte autour de lui, | trottinait en grinçant. 6+6 b
Elle montrait, avec | une sourde furie, 6+6 c
Ses formidables crocs | qui rêvaient la tuerie, 6+6 c
Et ses yeux qui luisaient | comme un feu mal éteint ; 6+6 d
Cependant que toujours | de plus en plus distinct, 6+6 d
20 Grave, laissant flotter | sa limousine ouverte, 6+6 e
Et coupant l'air froidi | de son fouet serpentin, 6+6 d
Le grand meneur de loups | sifflait dans la nuit verte. 6+6 e
Le chat-huant jetait | sa plainte miaulée, 6+6 a
Et de mauvais soupirs | passaient en gémissant, 6+6 b
25 Quand, roide comme un mort | devant son mausolée, 6+6 a
Il s'en vint près d'un roc | hideux et grimaçant. 6+6 b
Tous accroupis en rond | sur la brande flétrie, 6+6 c
Les fauves regardaient | d'un air de songerie 6+6 c
Courir les reflets blancs | d'une lune d'étain ; 6+6 d
30 Et debout, surgissant | au milieu d'eux, le teint 6+6 d
Livide, l'œil brûlé | d'un flamboiement inerte, 6+6 e
Spectre encapuchonné | comme un bénédictin, 6+6 d
Le grand meneur de loups | sifflait dans la nuit verte. 6+6 e
Mais voilà que du fond | de la triste vallée 6+6 a
35 Une jument perdue | accourt en hennissant, 6+6 b
Baveuse, les crins droits, | fumante, échevelée, 6+6 a
Et se rue au travers | du troupeau rêvassant. 6+6 b
Prompts comme l'éclair, tous, | ivres de barbarie 6+6 c
Ne firent qu'un seul bond | sur la bête ahurie. 6+6 c
40 Horreur ! Sous ce beau ciel | de nacre et de satin, 6+6 d
Ils mangeaient la cervelle | et fouillaient l'intestin 6+6 d
De la pauvre jument | qu'ils avaient recouverte ; 6+6 e
Et pour les animer | à leur affreux festin, 6+6 d
Le grand meneur de loups | sifflait dans la nuit verte. 6+6 e
45 En vain, rampant au bas | de la croix désolée, 6+6 a
Je sentais mes cheveux | blanchir en se dressant, 6+6 b
Et la voix défaillir | dans ma gorge étranglée : 6+6 a
J'avais bu ce spectacle | atroce et saisissant. 6+6 b
Puis, après un moment | de cette boucherie 6+6 c
50 Aveugle, à bout de rage | et de gloutonnerie, 6+6 c
Repu, léchant son poil | que le sang avait teint, 6+6 d
Tout le troupeau quitta | son informe butin, 6+6 d
Et quand il disparut | louche et d'un pas alerte, 6+6 e
Plein de hâte, aux premiers | rougeoiements du matin, 6+6 d
55 Le grand meneur de loups | sifflait dans la nuit verte. 6+6 e
ENVOI
Monarque du Grand Art, | paroxyste et hautain, 6+6 d
Apprends que si parfois | à l'heure du Lutin, 6+6 d
J'ai craint de m'avancer | sur la lande déserte, 6+6 e
C'est que pour mon oreille, | à l'horizon lointain, 6+6 d
60 Le grand meneur de loups | sifflait dans la nuit verte. 6+6 e
mètre profil métrique : 6+6
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