Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
ROL_2/ROL267
Maurice ROLLINAT
Les Névroses
1883
LES SPECTRES
La Chimère
À Georges Gourdon.
Il avait l'air hagard | quand il entra chez moi, 6+6 a
Et c'est avec le geste | âpre, la face ocreuse, 6+6 b
L'œil démesurément | ouvert, et la voix creuse 6+6 b
Qu'il me fit le récit | suivant : Figure-toi 6+6 a
5 Que j'errais au hasard | comme à mon habitude, 6+6 a
Enroulé dans mon spleen | ainsi qu'en un linceul, 6+6 b
Ayant l'illusion | d'être absolument seul 6+6 b
Au milieu de l'opaque | et rauque multitude. 6+6 a
Fils de ma dangereuse | imagination, 6+6 a
10 Mille sujets hideux | plus noirs que les ténèbres 6+6 b
Défilaient comme autant | de nuages funèbres 6+6 b
Dans mon esprit gorgé | d'hallucination. 6+6 a
Peu à peu cependant, | maîtrisant la névrose, 6+6 a
J'évoquais dans l'essor | de mes rêves câlins 6+6 b
15 Un fantôme de femme | aux mouvements félins 6+6 b
Qui voltigeait, tout blanc | sous une gaze rose. 6+6 a
J'ai dû faire l'effet, | même aux passants blasés, 6+6 a
D'un fou sur qui l'accès | somnambulique tombe, 6+6 b
Ou d'un enterré vif | échappé de la tombe, 6+6 b
20 Tant j'ouvrais fixement | mes yeux magnétisés. 6+6 a
Secouant les ennuis | qui la tenaient captive 6+6 a
Mon âme tristement | planait sur ses recors, 6+6 b
Et je m'affranchissais | de mon odieux corps 6+6 b
Pour me vaporiser | en brume sensitive : 6+6 a
25 Soudain, tout près de moi, | dans cet instant si cher 6+6 a
Un parfum s'éleva, | lourd, sur la brise morte, 6+6 b
Parfum si coloré, | d'une strideur si forte, 6+6 b
Que mon âme revint | s'atteler à ma chair. 6+6 a
Et sur le boulevard | brûlé comme une grève 6+6 a
30 J'ouvrais des yeux de bœuf | qu'on mène à l'abattoir, 6+6 b
Quand je restai cloué | béant sur le trottoir : 6+6 b
Je voyais devant moi | la femme de mon rêve. 6+6 a
Oh ! c'était bien son air, | sa taille de fuseau ! 6+6 a
À part la nudité | miroitant sous la gaze, 6+6 b
35 C'était le cher fantôme | entrevu dans l'extase 6+6 b
Avec ses ondoîments | de couleuvre et d'oiseau. 6+6 a
Certes ! je ne pouvais | la voir que par derrière : 6+6 a
Mais, comme elle avait bien | la même étrangeté 6+6 b
Que l'autre ! Et je suivis | son sillage enchanté, 6+6 b
40 Dans l'air devenu brun | comme un jour de clairière. 6+6 a
Je courais, angoisseux | et si loin du réel 6+6 a
Que j'incarnais déjà | mon impalpable idole 6+6 b
Dans la belle marcheuse | au frisson de gondole 6+6 b
Qui glissait devant moi | d'un pas surnaturel. 6+6 a
45 Et j'allais lui crier | dans la cohue infâme, 6+6 a
Frappant et bousculant | tout ce peuple haï : 6+6 b
« Je viens te ressaisir, | puisque tu m'as jailli 6+6 b
« Du cœur, pour te mêler | aux passants ! » quand la Dame 6+6 a
Se retourna soudain : | oh ! je vivrais cent ans 6+6 a
50 Que je verrais toujours | cet ambulant squelette ! 6+6 b
Véritable portrait | de la Mort en toilette, 6+6 b
Vieux monstre féminin | que le vice et le temps, 6+6 a
Tous deux, avaient tanné | de leurs terribles hâles ; 6+6 a
Tête oblongue sans chair | que moulait une peau 6+6 b
55 Sépulcrale, et dont les | paupières de crapaud 6−6 b
Se recroquevillaient | sur des prunelles pâles ! 6+6 a
mètre profil métrique : 6−6
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