Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
ROL_2/ROL260
Maurice ROLLINAT
Les Névroses
1883
LES SPECTRES
La Déveine
À Charles Leroy.
Je m'habille ahuri, subissant à plein corps 6+6 a
L'atroce ubiqui d'une introuvable puce ; 6+6 b
Mettre mon faux-col ?… Mais, il faudrait que je pusse ! 6+6 b
Et ma botte ennemie a réveillé mes cors. 6+6 a
5 Le placard aux effets, sous des grappes de loques, 6+6 a
Cache précisément l'indispensable habit ; 6+6 b
Et la migraine, avec un vrillement subit, 6+6 b
M'arrache de plaintifs et stridents soliloques. 6+6 a
Ma brosse a les crins mous, parce que je m'en sers ; 6+6 a
10 L'invisibili de ma bourse m'effraie ; 6+6 b
La rafale au dehors pleure comme une orfraie ; 6+6 b
Et toujours mes chagrins comme autant de cancers ! 6+6 a
Je sors : un grand voyou crotté comme une truie 6+6 a
Me lorgne en ricanant sous le ciel pluvieux ; 6+6 b
15 Et dès mes premiers pas sur le trottoir, un vieux 6+6 b
A failli m'éborgner avec son parapluie. 6+6 a
Ma pitié du cheval déplaît au cocher gras : 6+6 a
Encore un qui s'en vient prêt à me chercher noise ! 6+6 b
Et voilà que sa rosse hypocrite et sournoise, 6+6 b
20 Pour me remercier veut me couper le bras. 6+6 a
J'allonge mon chemin, pour éviter la Morgue, 6+6 a
Enfin débarrassé d'un affreux babillard, 6+6 b
Quand l'apparition d'un pauvre corbillard 6+6 b
Me surprend tout à coup devant un joueur d'orgue. 6+6 a
25 Un pâle individu me bouscule en tremblant ; 6+6 a
D'abord, je vois du vin qui suinte aux commissures 6+6 b
De ses lèvres, et puis un tas de vomissures 6+6 b
Me révèle pourquoi l'homme a le teint si blanc. 6+6 a
Triste, et plus recueilli qu'un moine de la trappe, 6+6 a
30 Je vais, lorsque soudain mon chapeau s'envolant, 6+6 b
M'expose au ridicule âpre et désopilant, 6+6 b
Puisqu'il me faut courir pour que je le rattrape ! 6+6 a
Toujours le mot Complet à tous les omnibus : 6+6 a
Si bien, qu'enfin juché sur une impériale, 6+6 b
35 Je subis la prunelle inquisitoriale 6+6 b
D'un long monsieur coiffé d'un funèbre gibus. 6+6 a
Je vois un ami poindre. Enfin ! C'est une fiche 6+6 a
De consolation… Mais cela, c'en est trop : 6+6 b
L'ingrat, pour m'éviter, gagne un mur au grand trot, 6+6 b
40 Et fait semblant de lire une très vieille affiche. 6+6 a
Et je suis, juste ciel ! malheureux à ce point, 6+6 a
Qu'au milieu d'une rue ignoble et solitaire 6+6 b
J'aperçois ma mtresse au bras d'un militaire 6+6 b
Qui fait sonner sa botte, une cravache au poing. 6+6 a
45 Et la pluie et le vent, les voitures, la boue, 6+6 a
Tout, garçon de café, commis de magasin, 6+6 b
Le roquet, le concierge, et jusqu'à mon voisin 6+6 b
De table, tout cela me vexe et me bafoue. 6+6 a
Je rentre : un gîte plein d'inhospitalité ! 6+6 a
50 Rideaux et papiers peints prennent des tons qui gueulent ; 6+6 b
Quant à mes vieux portraits, on dirait qu'ils m'en veulent 6+6 b
Et ma pendule tinte avec hostilité. 6+6 a
Déjà dans l'escalier, l'œil du propriétaire 6+6 a
M'a requis de payer l'argent que je lui dois ; 6+6 b
55 Ma porte s'est fermée en me pinçant les doigts 6+6 b
Avec un grincement subit et volontaire. 6+6 a
J'avise l'encrier, mais pas d'encre dedans ! 6+6 a
Et moi qui peux fumer nuit et jour, à quelque heure 6+6 b
Que ce soit, mon cigare en ce moment m'écœure : 6+6 b
60 J'en ai la sueur froide et la nausée aux dents, 6+6 a
Je veux faire du feu : mon bois inallumable 6+6 a
Sue ironiquement sur les grands chenets froids ; 6+6 b
Ma lampe fait craquer son verre, et si j'en crois 6+6 b
Mes yeux, ma glace perd sa transparence aimable. 6+6 a
65 Et tant de malveillance émane du plafond, 6+6 a
Des meubles, des cahiers, des livres, des estampes, 6+6 b
Que je me désespère, et la migraine aux tempes, 6+6 b
Je fléchis sous le mal que ses vrilles me font. 6+6 a
Si même, je n'étais que mon propre vampire, 6+6 a
70 Je bénirais l'horreur de mes lancinements, 6+6 b
Mais tout ce qui m'entoure attise mes tourments, 6+6 b
Et toujours contre moi la matière conspire. 6+6 a
Dans ce monde jaloux, venimeux et discord, 6+6 a
Je suis le paria contre qui tout s'acharne. 6+6 b
75 En vain mon cœur sanglote et mon corps se décharne, 6+6 b
L'universel guignon me persécute encor. 6+6 a
Et j'ai des jours si durs, outre mes jours moroses, 6+6 a
— Et comment à l'ennui pouvoir s'habituer ! — 6+6 b
Que depuis bien longtemps, je songe à me tuer 6+6 b
80 Sous la vexation des hommes et des choses. 6+6 a
Et je m'en vais enfin accomplir ce projet 6+6 a
Avec mon revolver à la crosse d'ébène, 6+6 b
Puisque plus que jamais j'ai ressenti la haine 6+6 b
Et la féroci de l'être et de l'objet. 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
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