Métrique en Ligne
ROL_2/ROL219
Maurice ROLLINAT
Les Névroses
1883
LES REFUGES
Les Grives
À Joseph de Brettes.
Dans la vigne escarpée où maint pommier sauvage 6+6 a
Crispe sur l'horizon ses bras tors et rugueux, 6+6 b
Elles viennent s'abattre avec des vols fougueux, 6+6 b
Cherchant la solitude et le friand breuvage. 6+6 a
5 Or, sachant qu'avant peu l'on voudra vendanger, 6+6 a
Et qu'il faudra bientôt que les pommes s'en aillent, 6+6 b
Les grives, sans tarder, s'installent et ripaillent 6+6 b
Au milieu d'une odeur d'angoisse et de danger : 6+6 a
Car, malgré ce beau ciel dont l'azur se déplisse, 6+6 a
10 Peut-être qu'un milan plane dans l'air qui dort, 6+6 b
Et qu'un fusil rouillé cache un éclair de mort 6+6 b
Derrière le buisson qui lui sert de complice. 6+6 a
Qu'importe ? Les raisins bannissent leurs effrois. 6+6 a
D'ailleurs, le pays triste et d'une âpre ossature 6+6 b
15 Est désert, aux trois quarts en friche, et se sature 6+6 b
Du mystère embrumé qui sort des ravins froids. 6+6 a
Alors, se rassurant avec des cris folâtres, 6+6 a
La troupe s'éparpille et tous ces jolis becs, 6+6 b
Ensemble, à petits coups saccadés, drus et secs, 6+6 b
20 Piochent avidement dans les feuilles rougeâtres. 6+6 a
Mille oiseaux picoreurs, leurs amis coutumiers, 6+6 a
S'en vont papillonner autour de ces coquettes 6+6 b
Qui, telles qu'un volant fouetté par les raquettes, 6+6 b
Ont de gais va-et-vient des pampres aux pommiers. 6+6 a
25 Sur les branches qui sont leurs mouvantes alcôves, 6+6 a
Elles font la risette aux merles déjà saouls, 6+6 b
Et montrent au pivert qui les lorgne en dessous 6+6 b
Leur petit ventre blanc semé de taches fauves. 6+6 a
En vain l'écho du gouffre apporte jusqu'en haut 6+6 a
30 Le fracas de la Creuse au loin battant ses rives, 6+6 b
Le tapage des geais, des merles et des grives 6+6 b
Couvre ce grand murmure et remplit le coteau. 6+6 a
Et tout cela se cogne aux vieux échalas maigres 6+6 a
En piétinant des peaux de raisins verts et bleus, 6+6 b
35 Et sur l'arbre, ou par terre, en quelque trou sableux, 6+6 b
Fouille jusqu'aux pépins la chair des pommes aigres. 6+6 a
Mais déjà les oiseaux, à force de pinter, 6+6 a
N'ont plus cet œil perçant qui vous voit d'une lieue, 6+6 b
Et le dandinement moins souple de la queue 6+6 b
40 Annonce que leur vin commence à fermenter. 6+6 a
On dirait maintenant de mauvais acrobates 6+6 a
Qui marchent sur le ventre, un barreau dans le cou ; 6+6 b
L'ivresse qui les prend leur met du même coup 6+6 b
De la colle sur l'aile et du plomb dans les pattes, 6+6 a
45 Et lorsque le soleil éclabousse de sang 6+6 a
Le sommet de la côte où broutent les ânesses, 6+6 b
Enfin, n'en pouvant plus, les grives ivrognesses 6+6 b
Trouvent le sol fugace et le rameau glissant. 6+6 a
Adieu bombance ! Adieu l'orgie et les roulades ! 6+6 a
50 Tout tourne et se confond en leur petit cerveau. 6+6 b
Elles vont dans le soir comme dans un caveau 6+6 b
Avec des rampements et des dégringolades. 6+6 a
Et tandis que la nuit apprête son fusain, 6+6 a
Chacune au pied du cep ou sur le haut de l'arbre 6+6 b
55 Ferme l'œil et se tient comme un oiseau de marbre. 6+6 b
Ou vole en titubant vers le taillis voisin. 6+6 a
Et maintenant qu'aux cieux a tinté l'heure brune, 6+6 a
Les grives ont sommeil et vont cuver sans bruit 6+6 b
Tout ce cidre et ce vin bus à même le fruit, 6+6 b
60 Dans la fraîcheur de l'ombre où rit le clair de lune. 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
forme globale type : suite périodique
schéma : 15(abba)
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