Métrique en Ligne
ROL_2/ROL210
Maurice ROLLINAT
Les Névroses
1883
LES REFUGES
Les Serpents
À Fernand Icres.
Auprès d'une rivière où des broussailles trempent, 6+6 a
Dans des chemins perdus, monticuleux et roux, 6+6 b
On les voit se traîner aux abords de leurs trous, 6+6 b
Onduleux chapelets de vertèbres qui rampent. 6+6 a
5 Oh, le serpent ! Le si fantastique animal 6+6 a
Qui surgit brusquement des feuilles ou des pierres 6+6 b
Et qui laisse couler de ses yeux sans paupières 6+6 b
La lueur magnétique et féroce du mal ! 6+6 a
Car il a des regards aussi froids que des lames, 6+6 a
10 Qui tiennent en arrêt les moins épouvantés ; 6+6 b
Car il pompe l'oiseau de ses yeux aimantés 6+6 b
Et fait mourir de peur les crapauds et les femmes. 6+6 a
Hideux comme la Mort et beau comme Satan 6+6 a
Dont il est le mystique et ténébreux emblème, 6+6 b
15 Son apparition rend toujours l'homme blême : 6+6 b
C'est le fantôme auquel jamais on ne s'attend. 6+6 a
Et tandis que suant le crime et le mystère, 6+6 a
Tout un perfide essaim du monde végétal 6+6 b
Recèle inertement plus d'un venin fatal, 6+6 b
20 Il est le charrieur des poisons de la terre. 6+6 a
Le talus, le fossé, l'ornière, le buisson 6+6 a
Brillent de sa couleur étincelante et sourde ; 6+6 b
Et la couleuvre agile et la vipère lourde 6+6 b
Allument dans la brande un tortueux frisson. 6+6 a
25 Il en est dont la peau, comme dans les féeries, 6+6 a
Surprend l'œil ébloui par de tels chatoîments 6+6 b
Qu'on dirait, à les voir allongés et dormants, 6+6 b
Des rubans d'acier bleu lamés de pierreries. 6+6 a
Complices de la ronce et des cailloux coupants, 6+6 a
30 Ils habitent les prés, les taillis et les berges ; 6+6 b
Et l'on voit dans l'horreur des grandes forêts vierges ; 6+6 b
Maints troncs d'arbres rugueux cravatés de serpents. 6+6 a
Là, non loin du python qui fait sa gymnastique, 6+6 a
Le boa, par un ciel rutilant et soufré, 6+6 b
35 Digère à demi mort quelque buffle engouffré 6+6 b
Dans l'abîme visqueux de son corps élastique. 6+6 a
En hiver le serpent s'encave dans les rocs ; 6+6 a
Il va s'ensevelir au creux pourri de l'arbre, 6+6 b
Ou roule en bracelet son pauvre corps de marbre 6+6 b
40 Sous les tas de fumier que piétinent les coqs. 6+6 a
Mais après les frimas, la neige et les bruines, 6+6 a
Il gagne les ravins et le bord des torrents ; 6+6 b
Il remonte le dos écumeux des courants 6+6 b
Et grimpe, ainsi qu'un lierre, aux vieux murs en ruines. 6+6 a
45 Comme un convalescent par les midis bénins, 6+6 a
Parfois il se hasarde et rôde à l'aventure, 6+6 b
Impatient de voir s'embraser la nature 6+6 b
Pour mieux inoculer ses terribles venins. 6+6 a
Alors du fouillis d'herbe au monceau de rocailles, 6+6 a
50 Bougeur sobre et muet, sournois et cauteleux, 6+6 b
Il rampe avec lenteur et s'arrête frileux 6+6 b
Sous le soleil cuisant qui fourbit ses écailles. 6+6 a
Solitaire engourdi qu'endort l'air étouffant, 6+6 a
Il écoute passer la brise insaisissable ; 6+6 b
55 Et les crépitements d'insectes sur le sable 6+6 b
Bercent son sommeil long comme un sommeil d'enfant. 6+6 a
Réveillé, le voilà comme une ombre furtive 6+6 a
Qui se dresse en dardant ses crochets à demi, 6+6 b
Et qui, devant la proie ou devant l'ennemi, 6+6 b
60 Siffle comme la bise et la locomotive. 6+6 a
Mais il aime le sol et la lumière ; il est 6+6 a
Le frôleur attendri des menthes et des roses ; 6+6 b
Sa colère se fond dans la douceur des choses, 6+6 b
Et cet empoisonneur est un buveur de lait. 6+6 a
65 Aussi l'infortuné reptile mélomane 6+6 a
Qui se tord sous le poids de sa damnation 6+6 b
M'inspire moins d'effroi que de compassion : 6+6 b
J'aime ce réprouvé d'où le vertige émane. 6+6 a
Et quand j'erre en scrutant le mystère de l'eau 6+6 a
70 Qui frissonne et qui luit dans la pénombre terne, 6+6 b
J'imagine souvent au fond d'une caverne 6+6 b
Les torpides amours du Cobra-Capello. 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
forme globale type : suite périodique
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