Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
ROL_1/ROL29
Maurice ROLLINAT
Dans Les Brandes
Poèmes Et Rondels
1877
LA LAVEUSE
Voici l'heure où les ménagères 8 a
Guettent le retour des bergères. 8 a
Avec des souffles froids | et saccadés, le vent 6+6 b
Fait moutonner au loin | les épaisses fougères 6+6 a
5 Dans le jour qui va s'achevant. 8 b
Là-bas sur un grand monticule 8 a
Un moulin à vent gesticule. 8 a
Les feuilles d'arbre ont des | claquements de drapeaux, 6−6 b
Et l'hymne monotone | et doux du crépuscule 6+6 a
10 Est entonné par les crapauds. 8 b
Des silhouettes désolées 8 a
Se convulsent dans les vallées, 8 a
Et, sur les bords herbeux | des routes sans maisons, 6+6 b
Les mètres de cailloux | semblent des mausolées 6+6 a
15 Qui donnent parmi les gazons. 8 b
Déjà plus d'un hibou miaule, 8 a
Et le pâtre, armé d'une gaule, 8 a
Par des chemins boueux, | profonds comme des trous, 6+6 b
S'en va passer la nuit | sur l'herbe, au pied d'un saule, 6+6 a
20 Avec ses taureaux bruns et roux. 8 b
Dans la solitude profonde 8 a
Les vieux chênes à tête ronde, 8 a
Fantastiques, ont l'air | de vouloir s'en aller 6+6 b
Au fond de l'horizon, | que le brouillard inonde, 6+6 a
25 Et qui paraît se reculer. 8 b
Mais les choses dans la pénombre 8 a
Se distinguent : figure, nombre 8 a
Et couleur des objets | inertes ou bougeurs, 6+6 b
Tout cela reste encor | visible, quoique sombre, 6+6 a
30 Sous les nuages voyageurs. 8 b
Or, à cette heure un peu hagarde, 8 a
Je longe une brande blafarde, 8 a
Et pour me rassurer | je chante à demi-voix, 6+6 b
Lorsque soudain j'entends | un bruit sec. — Je regarde, 6+6 a
35 Pâle, et voici ce que je vois : 8 b
Au bord d'un étang qui clapote, 8 a
Une vieille femme en capote, 8 a
A genoux, les sabots | piqués dans le sol gras, 6+6 b
Lave du linge blanc | et bleu qu'elle tapote 6+6 a
40 Et retapote à tour de bras. 8 b
— « Par où donc est-elle venue, 8 a
« Cette sépulcrale inconnue ? » 8 a
Et je m'arrête alors, | pensif et répétant, 6+6 b
Au milieu du brouillard | qui tombe de la nue. 6+6 a
45 Ce soliloque inquiétant. 8 b
Œil creux, nez crochu, bouche plate, 8 a
Sec et mince comme une latte, 8 a
Ce fantôme laveur | d'un âge surhumain, 6+6 b
Horriblement coiffé | d'un mouchoir écarlate, 6+6 a
50 Est là, presque sur mon chemin. 8 b
Et la centenaire aux yeux jaunes, 8 a
Accroupie au pied des grands aunes, 8 a
Sorcière de la brande | où je m'en vais tout seul, 6+6 b
Frappe à coups redoublés | un drap, long de trois aunes, 6+6 a
55 Qui pourrait bien être un linceul. 8 b
Alors, tout à l'horreur des choses 8 a
Si fatidiques dans leurs poses, 8 a
Je sens la peur venir | et la sueur couler, 6+6 b
Car la hideuse vieille | en lavant fait des pauses 6+6 a
60 Et me regarde sans parler. 8 b
Et le battoir tombe et retombe 8 a
Sur cette nappe de la tombe, 8 a
Mêlant son diabolique | et formidable bruit 6+6 b
Aux sifflements aigus | du vent qui devient trombe ; 6+6 a
65 Et tout s'efface dans la nuit. 8 b
— « Si loin ! pourvu que je me rende ! » 8 a
Et je me sauve par la brande 8 a
Comme si je sentais | la poursuite d'un pas ; 6+6 b
Et dans l'obscurité | ma terreur est si grande 6+6 a
70 Que je ne me retourne pas. 8 b
Ici, là, fondrière ou flaque, 8 a
Complices de la nuit opaque ! 8 a
Et la rafale beugle | ainsi qu'un taureau noir, 6+6 b
Et voici que sur moi | vient s'acharner la claque 6+6 a
75 De l'abominable battoir. 8 b
Enfin, ayant fui de la sorte 8 a
A travers la campagne morte, 8 a
J'arrive si livide, | et si fou de stupeur 6+6 b
Que lorsque j'apparais | brusquement à la porte 6+6 a
80 Mon apparition fait peur ! 8 b
mètre profils métriques : 8, 6−6
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