Métrique en Ligne
ROL_1/ROL10
Maurice ROLLINAT
Dans Les Brandes
Poèmes Et Rondels
1877
LA MARE AUX GRENOUILLES
Cette mare, l'hiver, devient inquiétante, 6+6 a
Elle s'étale au loin sous le ciel bas et gris, 6+6 b
Sorte de poix aqueuse, horrible et clapotante, 6+6 a
Où trempent les cheveux des saules rabougris. 6+6 b
5 La lande tout autour fourmille de crevasses, 6+6 a
L'herbe rare y languit dans des terrains mouvants, 6+6 b
D'étranges végétaux s'y convulsent, vivaces, 6+6 a
Sous le fouet invisible et féroce des vents ; 6+6 b
Les animaux transis, que la rafale assiège, 6+6 a
10 Y râlent sur des lits de fange et de verglas, 6+6 b
Et les corbeaux — milliers de points noirs sur la neige 6+6 a
Les effleurent du bec en croassant leur glas. 6+6 b
Mais la lande, l'été, comme une tôle ardente, 6+6 a
Rutile en ondoyant sous un tel brasier bleu, 6+6 b
15 Que l'arbre, la bergère et la bête rôdante 6+6 a
Aspirent dans l'air lourd des effluves de feu. 6+6 b
Pourtant, jamais la mare aux ajoncs fantastiques 6+6 a
Ne tarit. Vert miroir tout encadré de fleurs 6+6 b
Et d'un fourmillement de plantes aquatiques, 6+6 a
20 Elle est rasée alors par les merles siffleurs. 6+6 b
Aux saules, aux gazons que la chaleur tourmente, 6+6 a
Elle offre l'éventail de son humidité, 6+6 b
Et, riant à l'azur, — limpidité dormante, — 6+6 a
Elle s'épanouit comme un lac enchanté. 6+6 b
25 Or, plus que les brebis, vaguant toutes fluettes 6+6 a
Dans la profondeur chaude et claire du lointain, 6+6 b
Plus que les papillons, fleurs aux ailes muettes, 6+6 a
Qui s'envolent dans l'air au lever du matin, 6+6 b
Plus que l'Ève des champs, fileuse de quenouilles, 6+6 a
30 Ce qui m'attire alors sur le vallon joyeux, 6+6 b
C'est que la grande mare est pleine de grenouilles, 6+6 a
— Bon petit peuple vert qui réjouit mes yeux. — 6+6 b
Les unes : père, mère, enfant mâle et femelle, 6+6 a
Lasses de l'eau vaseuse à force de plongeons, 6+6 b
35 Par sauts précipités, grouillantes, pêle-mêle, 6+6 a
Friandes de soleil, s'élancent hors des joncs ; 6+6 b
Elles s'en vont au loin s'accroupir sur les pierres, 6+6 a
Sur les champignons plats, sur les bosses des troncs, 6+6 b
Et clignotent bientôt leurs petites paupières 6+6 a
40 Dans un nimbe endormeur et bleu de moucherons. 6+6 b
Émeraude vivante au sein des herbes rousses, 6+6 a
Chacune luit en paix sous le midi brûlant ; 6+6 b
Leur respiration a des lenteurs si douces 6+6 a
Qu'à peine on voit bouger leur petit goitre blanc. 6+6 b
45 Elles sont là, sans bruit rêvassant par centaines, 6+6 a
S'enivrant au soleil de leur sécurité ; 6+6 b
Un scarabée errant du bout de ses antennes 6+6 a
Fait tressaillir parfois leur immobilité. 6+6 b
La vipère et l'enfant — deux venins ! — sont pour elles 6+6 a
50 Un plus mortel danger que le pied lourd des bœufs : 6+6 b
A leur approche, avec des bonds de sauterelles, 6+6 a
Je les vois se ruer à leurs gîtes bourbeux ; 6+6 b
Les autres que sur l'herbe un bruit laisse éperdues, 6+6 a
Ou qui préfèrent l'onde au sol poudreux et dur, 6+6 b
55 A la surface, aux bords, les pattes étendues, 6+6 a
Inertes hument l'air, le soleil et l'azur. 6+6 b
Ces reptiles mignons qui sont, malgré leur forme, 6+6 a
Poissons dans les marais, et sur la terre oiseaux, 6+6 b
Sautillent à mes pieds, que j'erre ou que je dorme, 6+6 a
60 Sur le bord de l'étang troué par leurs museaux. 6+6 b
Je suis le familier de ces bêtes peureuses 6+6 a
A ce point que, sur l'herbe et dans l'eau, sans émoi, 6+6 b
Dans la saison du frai qui les rend langoureuses, 6+6 a
Elles viennent s'unir et s'aimer devant moi. 6+6 b
65 Et près d'elles, toujours, le mal qui me torture, 6+6 a
L'ennui, — sombre veilleur, — dans la mare s'endort ; 6+6 b
Et, ravi, je savoure une ode à la nature 6+6 a
Dans l'humble fixité de leurs yeux cerclés d'or. 6+6 b
Et tout rit : ce n'est plus le corbeau qui croasse 6+6 a
70 Son hymne sépulcral aux charognes d'hiver : 6+6 b
Sur la lande aujourd'hui la grenouille coasse, 6+6 a
— Bruit monotone et gai claquant sous le ciel clair. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
forme globale type : suite périodique
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