Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
ROD_2/ROD156
Georges RODENBACH
Les Vies Encloses
1896
LES MALADES AUX FENÊTRES
XIII
Le malade, quand vient la tristesse nocturne, 6+6 a
Est sensible comme une cendre dans une urne. 8+4 a
Il écoute, et perçoit dans l'air le moindre bruit : 6+6 a
Frisson d'arbre, pas d'un passant, plainte de cloche ; 6+6 b
5 Vigie exacte de tout bruit, il se raccroche 6−6 b
À ces vagues rumeurs dont s'image la nuit 6+6 a
Et par qui le silence apparaît plus immense ; 6+6 a
Ce sont les bruits qui font la preuve du silence, 6+6 a
Tandis que les reflets font la preuve de l'eau. 6+6 a
10 Puis il regarde, et voit des lueurs inconnues : 6+6 b
Lumières qu'on dirait la fuite d'un flambeau ; 6+6 a
Rayon brusque par qui les glaces semblent nues ; 6+6 b
Étincelles qui s'en viennent on ne sait d'où ; 6+6 a
Or sorti d'un bouquet, projeté d'un bijou ; 6+6 a
15 Phosphorescence de l'ombre ; clarté qui rôde ; 6−6 a
Feux follets brefs ; scintillement intermittent… 4+4+4 b
Le malade les suit et son émoi s'en brode. 6+6 a
Mais ces frêles clartés ne durent qu'un instant, 6+6 b
Gouttelettes de couleur qui sont vite bues, 8+4 a
20 Car c'est d'elles que les ténèbres sont embues ; 6−6 a
Le malade pourtant de ses yeux les atteint 6+6 a
— Papillons épinglés à travers la nuit noire 6+6 b
Et fixe ces lueurs au vol trop vite éteint 6+6 a
Sous le verre silencieux de sa mémoire. 8+4 b
25 Maintenant, c'est l'émoi plus subtil des odeurs ! 6+6 a
Soudain la chambre close est toute viciée 6+6 b
Par on ne sait quels aromes lourds et rôdeurs ; 4+8 a
Puis flotte une senteur qui semble émaciée 6+6 b
Et si faible qu'elle est sur le point de mourir ; 6+6 a
30 Le malade sent tout : qu'un parfum se cramponne ; 6+6 b
Que d'autres sont épars dont la présence est bonne : 6+6 b
Calmes fruits pour la soif achevant de mûrir, 6+6 a
Bouquet fleurant à peine et qui se neutralise, 6+6 a
Survivance dans le linge d'un vieux sachet 6−6 b
35 Qui, depuis des matins d'autrefois, s'y cachait, 6+6 b
Tel un encens d'anciens saluts dans une église. 6+6 a
Puis il perçoit aussi des aromes brutaux 6+6 a
Comme un attouchement d'instruments d'hôpitaux ; 6+6 a
Des relents volatils d'éther et de morphine 6+6 a
40 Sortis de la fiole où dort leur senteur fine 6+6 a
Qui procure un sommeil frais comme dans un bois ; 6+6 a
Puis des parfums aigris de potions, de ouates, 6+6 b
Des odeurs en sourdine et qui se tenaient coites, 6+6 b
Des poisons condensés, tout à coup aux abois, 6+6 a
45 Qu'on jugeait prisonniers dans les pastilles closes 6+6 a
Mais qui s'évadent, tel l'hiver hors des flocons, 6+6 b
Et tournent en vertige, exaspérant leurs doses, 6+6 a
Ô câlins, ô rusés, ô furieux poisons, 6+6 b
Qui font soudain que le malade qui s'étonne 6−6 a
50 Croit, dans l'air fermenté de la chambre, qu'il tonne 6+6 a
Et s'être assis dans un jardin trop vénéneux. 6−6 a
Ah ! cet affinement des soirs de maladie, 6+6 b
Quand tout crispe les nerfs, se répercute en eux ! 6+6 a
Araignée aux aguets dans une toile ourdie ; 6+6 b
55 Sens aiguisés jusqu'à l'infinitésimal. 6−6 a
Qui les disait bornés ? Chacun est une embûche 6+6 b
Qui capture tout bruit, où toute odeur trébuche, 6+6 b
Si bien que le cerveau s'en paraît anormal, 6+6 a
— Ruche désordonnée où, dans l'or des cellules, 6+6 a
60 Avec l'essaim de ses abeilles qu'elle attend, 6−6 b
Entreraient, comme des intrus, au même instant 6−6 b
De minimes fourmis, de folles libellules. 6+6 a
mètre profil métrique : 6=6
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