Métrique en Ligne
ROD_2/ROD147
Georges RODENBACH
Les Vies Encloses
1896
LES MALADES AUX FENÊTRES
IV
La maladie est si doucement isolante : 6+6 a
Lent repos d'un bateau qui songe au fil d'une eau, 6+6 b
Sans nulle brise, et nul courant qui violente, 6+6 a
Attaché sur le bord par la chaîne et l'anneau. 6+6 b
5 Avant ce calme octobre, il ne s'appartient guère ; 6+6 c
Toujours du bruit, des violons, des passagers, 4+4+4 d
Et ses rames brouillant les canaux imagés. 6+6 d
Maintenant il est seul ; et doucement s'éclaire 6+6 c
D'un mirage de ciel qui n'est plus partiel ; 6+6 e
10 Il se ceint de reflets puisqu'il est immobile ; 6+6 f
Il est libre vraiment puisqu'il est inutile ; 6+6 f
Et, délivré du monde, il s'encadre de ciel. 6+6 e
*
* *
Car cet isolement anoblit, lénifie ; 6+6 a
On se semble de l'autre côté de la vie ; 6−6 a
15 Les amis sont au loin, vont se raréfier ; 6+6 b
À quoi donc s'attacher ; à qui se confier ? 6+6 b
On ne va plus aimer les autres, mais on s'aime ; 6+6 c
On n'est plus possédé par de vains étrangers, 6+6 d
On se possède, on se réalise soi-même ; 6−6 c
20 Les nœuds sont déliés ! Les rapports sont changés ! 6+6 d
Toute la vie et son mensonge et son ivraie 6−6 e
Se sont fanés dans le miroir intérieur 6−6 f
Où l'on retrouve enfin son visage meilleur, 6+6 f
Celui de pure essence et d'identité vraie. 6+6 e
*
* *
Les maladies des pierres sont des végétations.
Novalis.
25 Quand la pierre est malade elle est toute couverte 6+6 a
De mousses, de lichens, d'une vie humble et verte ; 6+6 a
La pierre n'est plus pierre ; elle vit ; on dirait 6+6 b
Que s'éveille dans elle un projet de forêt, 6+6 b
Et que, d'être malade, elle s'accroît d'un règne, 6+6 c
30 La maladie étant un état sublimé, 6+6 d
Un avatar obscur où le mieux a germé ! 6+6 d
Exemple clair qui sur nous-mêmes nous renseigne : 6−6 c
Si les plantes ne sont que d'anciens cailloux morts 6+6 e
Dont naquit tout à coup une occulte semence, 6+6 f
35 Les malades que nous sommes seraient alors 6−6 e
Des hommes déjà morts en qui le dieu commence ! 6+6 f
mètre profil métrique : 6÷6
forme globale type : suite de strophes
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